Christian Ciganer

Abonné·e de Mediapart

7 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 février 2009

Christian Ciganer

Abonné·e de Mediapart

L'alternative du diable

Nous assistons depuis le début de cette crise à un phénomène très particulier : le bal des sycophantes. Pour ceux qui n’en connaissent pas la signification, le sycophante était dans la Grèce antique, un délateur professionnel athénien mettant en accusation ses concitoyens devant le tribunal populaire de l’Héliée en vue de s’enrichir.

Christian Ciganer

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous assistons depuis le début de cette crise à un phénomène très particulier : le bal des sycophantes. Pour ceux qui n’en connaissent pas la signification, le sycophante était dans la Grèce antique, un délateur professionnel athénien mettant en accusation ses concitoyens devant le tribunal populaire de l’Héliée en vue de s’enrichir. Nous sommes donc confrontés au spectacle de ces experts totalement déstabilisés par une crise dont ils feignent d’être capables d’en appréhender les tenants et les aboutissants. Tels les sycophantes, ils dénoncent les dérives d’un libéralisme financier dont la cupidité a été le moteur principal de tous les excès.

Totalement dépourvus, les responsables politiques payent l’abandon de l’un des pouvoirs régaliens de toute République ; celui de frapper monnaie.

L’indépendance du système financier et celui de la Banque Centrale Européenne, les conduisent à être spectateurs d’une situation qu’ils ne comprennent pas et pour laquelle ils ne savent quelles sont les réponses à apporter aux interrogations soulevées par l’évolution actuelle des marchés.

Prête à toutes les compromissions et tous les nationalismes, l’Europe vacille et confie son sort à ceux-là mêmes qui sont à l’origine de cette crise financière.

Les besoins de refinancement sont tels qu’ils vont contribuer à créer une trappe à liquidités sans précédent.

Trois chiffres sont symboliques :

-Le total des pertes «subprimes» est évalué à 350 milliards de dollars.
- L’insuffisance d’actif de la banque Lehmann se situe autour de 5 à 6 milliards de dollars.
- La destruction de valeurs depuis le début de cette crise est de plus de 30.000 Milliards de dollars.

Un quart environ du PNB Mondial a disparu dans ce cataclysme qui marque la fin de notre modèle économique dont la finance constitue l’alpha et l’oméga. Aux Etats-Unis, le PNB a été multiplié par 3 depuis 1971 alors que dans le même temps la masse monétaire a progressé de 14 fois.

Dans ce contexte, les Etats si fortement décriés pour leurs déficits abyssaux et leurs endettements qui obèrent notre avenir, sont aujourd’hui les derniers remparts face au tsunami qui menace de déferler sur la planète financière.

Une crise sociale sans précédent

Nous surmonterons une fois de plus la crise économico-financière que nous affrontons, mais les choses ont changé. Rien ne sera plus comme avant, l’incompréhension, face à cette alliance objective entre le pouvoir et le monde de la finance alimente l’amertume et contribue à déstabiliser les fondations de nos sociétés. Si nous n’acceptons pas une remise en cause de notre modèle économique, nous devrons affronter la crise sociale qui inéluctablement naîtra de ce sentiment de frustration ressenti par la majeure partie de ceux sans qui ce monde ne serait pas ce qu’il est et à qui nous devons d’avoir connu au cours du siècle qui vient de s’achever, la plus extraordinaire progression de niveau de vie qu’aucune génération passée n’aurait pu imaginer .

Nous ne pourrons durablement occulter les fondamentaux de l’économie qui ont été conçus pour donner à l’individu du travail et une digne rémunération, la richesse doit renaître de la création d’une valeur ajoutée et non plus de valeurs financières dont on constate l’aspect totalement virtuel.

Le débat ne se limite plus à une relance de l’offre ou de la demande, il existe des situations de détresse telle que notre priorité doit se tourner vers ceux qui travaillent et ne peuvent plus vivre du fruit de ce travail. En améliorant la valeur travail, nous apporterons une réponse constructive à la destruction systématique de notre outil industriel.

Le futur de notre indépendance industrielle et commerciale en dépend, un pays se doit de préserver ses moyens de production et tous les emplois qui en découlent. Nous garderons tous en mémoire ces grandes déclarations sur l’efficacité de ces entreprises sans usines, et de l’impact sur la capitalisation boursière de ces annonces de vastes plans sociaux !

Une politique monétaire adaptée !

Les Etats-Unis ont depuis quelques années déjà perçu l’importance du redéploiement industriel qu’ils tentent d’opérer actuellement par une politique monétaire particulièrement agressive.

Un dollar bas constitue un atout majeur dans les grands combats de conquêtes qui se mènent face à une concurrence commerciale de plus en plus violente. Les responsables de notre politique monétaire restent fidèles à leurs convictions dont les anticipations n’ont pas manqué de nous surprendre.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en juillet 2008, le comité de la Banque centrale européenne maintenait un niveau d’alerte élevé sur les risques inflationnistes en zone euro, une telle décision n’est pas sans conséquence sur la situation économique de l’Europe. La question qui se pose lorsque nous tentons une analyse objective des motivations qui contribuent à cet acharnement intellectuel nous conduit à la conclusion que la préservation de la valeur du capital est l’axe essentiel de la politique monétaire européenne.

Vers une meilleure répartition des richesses

En effet, l’inflation est avant tout un impôt sur le capital particulièrement efficace puisqu’il frappe tous les actifs.

Il existe aujourd’hui une inégalité dans les sources de création de richesse.

La convergence de l’évolution de la démographie de nos pays développés et d’une fiscalité très favorable a contribué au déséquilibre de la répartition des fruits de notre croissance dans les cinquante dernières années. Priorité a été ainsi faite aux revenus non gagnés générés par la seule détention d’une valeur d’actif de quelque nature que ce soit «la rente» au détriment des revenus gagnés dont l’origine réside dans la valeur ajoutée qui en est le fait générateur.

Un homme avait perçu les risques que pourraient entrainer une dérive de ce principe, Maurice Allais Prix Nobel d’Economie. Dans son ouvrage écrit en 1977 : «L’impôt sur le capital et la réforme monétaire», il stigmatise les erreurs qui prévalurent à la définition des politiques fiscales qui se sont succédées depuis le milieu du vingtième siècle et la charge sans cesse croissante qu’elles font peser sur les forces vives de nos sociétés.

Notre économie de reconstruction a fait la part belle à la création de richesses en général et au capital en particulier, comme en témoigne toute notre fiscalité qui depuis sa conception et au cours de toute son évolution, a toujours favorisé les revenus du capital au détriment des revenus du travail.

Nous sommes arrivés à une situation paradoxale où ceux qui ont des besoins n’ont pas de moyens et ceux qui ont des moyens n’ont plus de besoins. La lecture de ce remarquable ouvrage met en évidence certaines vérités qui trouvent dans les circonstances actuelles tout leur sens. Lorsque Maurice Allais nous dit qu’il ne faut pas confondre «Société libre et libéralisme», il expose l’un des principes d’une doctrine que nous n’avons pas su ou voulu respecter. L’auteur nous rappelle que le fonctionnement de toute économie libérale ou collectiviste peut se caractériser par la recherche de surplus réalisable ou valeur ajoutée.

Les grands équilibres se doivent de respecter ce principe fondamental que nous n’avons pas voulu appliquer avec les conséquences que nous connaissons aujourd’hui.

La crise revêt un caractère mondial, offrant ainsi une opportunité exceptionnelle de reformer en profondeur les règles de gouvernance politique et sociale.

Nous devons remettre le clocher au milieu du village en redonnant sa place à l’individu, le centre de toutes nos préoccupations. Pour cela, seule une refonte de la fiscalité des grandes puissances mondiales permettrait d’ouvrir la voie au retour de la confiance, maître mot de toute sortie de crise.

L’économie de flux face à l’économie de capitaux

Nous devons accepter de passer d’une économie de capitaux à une économie de flux, dans cette optique seule une détaxation des revenus serait la solution et non pas la mise en place du énième plan de soutien dont les résultats semblent de moins en moins probants.

Nous sommes contraints d’accepter que la problématique n’est plus de savoir si nous allons favoriser l’offre ou la demande.

La révolution qui se profile est inéluctable et si nous ne l’acceptons pas, elle entraînera la disparition de notre système libéral.

Il faut favoriser le mouvement, comme un fleuve qui s’écoule de sa source à son estuaire, la richesse doit pouvoir circuler librement pour irriguer très largement les zones traversées.

Nous ne devons plus faire peser les charges de la santé et de la solidarité quasiment exclusivement sur le travail.

Un salarié voit plus de la moitié de ce qui lui revient être prélevé en charges diverses et variées.

Nous balayerons l’idée selon laquelle les bas salaires ne sont pas taxés, cette assertion est totalement erronée comme le prouve la lecture d’une fiche de paye dont suivant le niveau de rémunération, les charges peuvent représenter jusqu’à quatre-vingt pour cent du total.

Ces chiffres démontrent si besoin est l’aberration du système.

Il parait concevable d’imaginer que le brut devienne le net, et que la CSG soit ajoutée à ce montant, en supprimant les charges, nous obtiendrions une progression sensible de la rémunération du salarié.

L’augmentation du pouvoir d’achat et la baisse du coût du travail doit être la priorité de nos responsables politiques.

Il n’est pas inutile de rappeler que notre pays a le privilège de cumuler un coût horaire de travail très élevé avec proportionnellement une rémunération des salariés beaucoup plus basse que celle de nos voisins.

Notre réflexion se doit d’explorer des pistes nouvelles visant à favoriser une perception faible sur des flux très importants, pour preuve du bienfondé de cette démarche, nous rappellerons que les deux premiers postes de recettes du budget de l’Etat sont la TVA et la TIPP (taxe sur les produits pétroliers).

Nous devons envisager de mettre en place ce que nous appellerons : «L’alternative du diable»

Plus de taxations de quelques natures sur les revenus et leur substitution par :
- une taxation sur les capitaux dont le montant serait variable pour représenter 50% du loyer de l’argent,
- une modification du barème de la tva et son application à toutes les transactions,
- une taxation sur toutes les ressources visant à l’accroissement de la masse monétaire, dans cette optique, le crédit serait particulièrement visé.

Nous devons considérer avant d’engager la polémique sur ceux qui seront les plus «avantagés» par ces mesures, ce que pourra représenter pour les plus défavorisés une augmentation de revenu net de plus de 30%.

Si l’on considère le transfert de valeurs qui s’est opéré dans les dernières années entre le capital et le travail, il parait quasiment obligatoire de rééquilibrer les politiques fiscales en concertation au niveau mondial.

Le prochain G20 offre une occasion exceptionnelle pour rechercher un consensus sur cette reforme de la fiscalité à l’échelon planétaire.

De plus, une telle approche réglerait de fait la problématique des paradis fiscaux, puisque tous les revenus de quelques natures que ce soient, seraient libres d’impôts.

Comme le suggérait Maurice Allais dans son ouvrage dont les idées forces sont reprises ci-dessous, nous devrions accepter d’ouvrir un chantier visant à reformer notre fiscalité.

Pour que l’économie soit efficace, il faut qu’elle s’organise sur la base d’une économie de marché ou d’échange.

La particularité de cet ouvrage était de démontrer que les rentes pures ou revenus non gagnés seront de plus en plus considérées comme non légitimes.

Par opposition, tous les revenus nets résultant du fonctionnement de l’économie de marché, seront à l’avenir considérés comme des revenus gagnés, c’est-à-dire des revenus correspondant à des services effectivement rendus.

Les revenus légitimes doivent rester libres d’impôts, en opposition seuls les revenus non gagnés doivent être frappés.

La fiscalité actuelle pénalise les activités les plus créatrices de valeurs. L’impôt ne doit pas avoir comme objectif de lutter contre les inégalités de revenus lorsque cette inégalité provient de l’importance et de la qualité du service rendu. Du point de vue dynamique du progrès économique, la taxation d’une meilleure gestion diminue l’incitation.

Le principe suivant lequel seuls sont légitimes et justifiés les revenus correspondant à un service effectivement rendu parait bien correspondre à l’éthique admise par la majorité politique et sociale.

On peut approuver ou désapprouver ce principe mais on doit reconnaitre que tout système économique donnant des résultats en désaccord trop grand avec ce principe pourra difficilement fonctionner.

Quiconque relit les thèses de Maurice Allais, publiées en 1977, sur le capital et la réforme monétaire, dont s'inspire ce texte, peut en juger: celui que l’on a qualifié de prophète maudit, Maurice Allais, a su faire preuve de clairvoyance et de réalisme sur les dérives de nos économies occidentales.

Dans l’hommage qui lui est rendu unanimement aujourd’hui, il me parait essentiel de ne pas s’arrêter dans l’analyse de son œuvre à ses positions au lendemain des accords de Breton Wood tels que repris dans «la crise mondiale d’aujourd’hui » paru en 1999.

Son jugement n’a pas été que critique puisqu’il a su par anticipation, appréhender les risques d’impact social en nous permettant de mieux comprendre quelles sont les raisons qui nous ont conduits à cette impasse.

Dans l’esprit des lois, Montesquieu écrivait : «La finance détruit le commerce par ses injustices et ses vexations, par l’excès de ce qu’elle impose ; mais elle le détruit encore indépendamment de cela par les difficultés qu’elle fait naitre et les formalités qu’elle exige». Cette citation a tout son sens de nos jours.

Un New Deal fiscal

Une des causes de la révolution française fut une application discriminatoire et dans certains cas excessive d’une fiscalité.

Nous n’arriverons certainement pas à de telles extrémités, mais nous devons accepter la remise en cause des fondamentaux qui régissent notre fonctionnement publique.

Tout d’abord la dette publique, son importance nous oblige à accepter le principe que pour une grande part celle-ci puisse s’intégrer dans une réflexion européenne visant à examiner sa mutation vers une perpétualité et cela, pour notamment ne pas connaitre une nouvelle crise qui naitra inévitablement de l’impossibilité que vont connaitre certains Etats à faire face aux remboursements que tôt ou tard la communauté financière cherchant à reprendre le pouvoir, va tenter de leur imposer.

Cette situation a l’avantage de constituer une forme de régulation de la masse monétaire en circulation, les remboursements ne pouvant être opérés qu’à l’initiative des Etats, ils disposeront donc d’un outil supplémentaire de contrôle moins coercitif que l’évolution parfois irrationnelle des taux.

Comme le prouve l’afflux de capitaux vers le livret A et les produits publics, il n’existe pas réellement de problématique de placement pour ces emprunts dont la rémunération sera en fonction de critères objectifs intégrant le caractère aléatoire du remboursement.

Dégagés de la charge sans cesse croissante de la dette, les Etats devront mettre en place un «New Deal fiscal» ou les efforts devront être partagés entre le capital et le travail.

Conscient des gigantesques obstacles qui se dressent devant nous sur ce chemin, faisons nôtre la phrase du philosophe Nietzsche : «Ce qui ne nous détruit pas nous renforce».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.