Prévoir le futur est risqué, les prévisions se révélant à peu près toujours fausses. Cela n’implique pas qu’il faille négliger l’innovation et les conceptions hardies et rester en retrait par frilosité technologique.
Pourtant, ces derniers temps, apparaissent des déclarations de gens sérieux dont on ne sait si le but est de proposer des idées prophétiques ou de se faire « mousser ».
Tout cela ne serait pas bien grave, si certaines idées ne reposaient sur aucune réalité technique ou financière, voire sur des mensonges par omission.
Une polémique par tweets interposés a, ces derniers temps, opposé Dmitry Rogozine le Directeur Général de Roscosmos (une sorte NASA russe) à Elon Musk le propriétaire de SpaceX, mais aussi à des collègues russes.
On admire la volonté d’entreprendre d’Elon Musk qui multiplie les projets, dont celui, réalisé de belle manière, d’étages de fusée récupérables et réutilisables. Elon Musk est fort en communication : ses lanceurs et ses vaisseaux Dragon sont beaux. Cette beauté vient d’un design extérieur léché, et pour l’intérieur de ceux qui seront pilotés, c’est encore mieux. Même design « futuriste » pour la coursive qui permettra aux astronautes de gagner le vaisseau en haut de la tour de service. Elle ressemble à une salle d’embarquement, moderne, d’un aéroport ! Les scaphandres ont tout du pilote de moto de vitesse, et bien sûr les astronautes se rendront sur le pas de tir en voiture Tesla… Quant à son Starship on a du mal à comprendre l’intérêt véritable des grandioses ailerons sinon qu’il fait penser à Tintin sur la Lune ou à Jules verne en prenant l’aspect des fusées comme on les dessinait avant l’ère spatiale : en forme d’obus.
Tout cela est si beau, si « high tech », ou au contraire si daté que c’en est presque douteux : n’y aurait-il pas derrière cela quelque chose de moins respectable ?
Le réutilisable comme idée passe-partout
De fait, il s’agit de nous faire rêver. Car là est sans doute le véritable but. C’est comme ça qu’il fait son business, Musk. Il nous fait tellement rêver que les dirigeants politiques (donc financiers) sont assez facilement à ses pieds.
Pourtant la réalité est tout autre : prenons le concept, respectable, de réutilisation des étages de fusée : cette idée a tellement envahi les consciences que le concept, en tant que producteur d’économies, de réduction des coûts, voire d’une voie verte de l’astronautique, ne semble plus questionnable. Pourtant, chacun s’accordera à admettre que l’équation n’est pas si simple : faire revenir un étage de fusée même partiellement vide de ses ergols va coûter en énergie. Pire : la charge utile lancée va diminuer puisqu’il faut lancer « en plus » les ergols nécessaires au retour sur Terre de l’étage. Sans compter qu’il faudra rapatrier l’étage, le vérifier, le nettoyer, etc… Au final y-a-t-il économie ?
Mais, comment fait-il alors, Musk, pour proposer des lancements à bas coût (relatifs), à ses clients ? Il n’est pas inintéressant d’examiner ce que disent les concurrents russes de Musk : des études ont montré qu’en réalité les coûts bas (coups bas ?) des lancements commerciaux de SpaceX étaient possibles parce qu’il (Musk) finançait ceux-ci en facturant les lancements institutionnels (en particulier ceux du département de la défense) 2,5 fois plus chers ! Et Musk refuse de communiquer sur les vrais coûts de développement/production/exploitation de ses lanceurs. Même fin businessman, Musk vit surtout sur les deniers de l’État que ce soit au travers de la défense américaine ou de la NASA qui lui attribuent de larges commandes. L’entrepreneur spatial et de la voiture électrique pour milliardaire ne se « fait pas tout seul ».
Les Russes, qui sont réputés aussi durs que les autres en affaires, ont réalisé des études à la fois techniques et financières de différents concepts du réutilisable, et leurs conclusions étaient qu’il n’y avait pas d’intérêt net économique au réutilisable dans l’état actuel des technologies (et de l’économie). Qui croire ?
Il semble que les arrêts de la navette américaine, tout autant que celle de l’URSS (système Energia-Bourane), aient été oubliés : il s‘agissait de prouesses technologiques, ô combien réutilisables, aux coûts d’exploitation…exorbitants ! Pas même supportables par les USA.
Le réutilisable, ce n’est donc pas gagné. Elon Musk, d’une certaine façon, ne s’y trompe pas : il ne fait revenir que le premier étage de ses lanceurs et rien d’autre, car c’est le moins couteux en énergie à récupérer.
Le voyage vers Mars
La seconde mystification concerne l’installation sur la Lune ou le voyage vers Mars.
On voudrait nous faire croire que cela pourrait devenir banal, un peu comme les voyages en avion aujourd’hui. À l’heure où ceux-ci sont montrés du doigt !
Mais surtout, tout expert en astronautique qui se respecte connait bien les coûts financiers d’un simple voyage d’humains vers Mars et les défis technologiques à relever si l’on veut que ceux-ci reviennent de ce voyage ou colonisent la planète rouge.
C’est irréalisable à l’échelle des cinquante prochaines années au moins. Tout au plus peut-on espérer un voyage vers Mars comme celui d’Apollo vers la Lune il y a 50 ans ! Une incursion brève, belle, mais sans suite.
C’est que s’arracher à l’attraction terrestre et à l’environnement si protecteur de notre planète a des coûts non seulement financier mais aussi énergétique énormes.
L’extraction de minerais
Et voilà qu’une autre idée folle refait surface : l’extraction de minerais précieux du sol lunaire, exprimée en Russie par Vladislav Shevchenko, le chef du département de recherche sur la Lune et les planètes de l'Institut astronomique Sternberg de l’Université d’État de Moscou.
Shevchenko a fait des calculs et a déclaré "que la cible principale des sociétés commerciales prêtes à extraire des minéraux sur la Lune serait les métaux précieux et non ferreux qui sont tombés à sa surface avec les astéroïdes". Selon ses calculs "les réserves de débris d'astéroïdes récemment constituées stockent environ un milliard de tonnes de fer, plusieurs millions de tonnes de nickel, 300 mille tonnes de cobalt et des milliers de tonnes de platine et d'autres métaux précieux. Le coût de ce dernier est à lui seul d'environ 50 milliards de dollars".
Trump lui avait-il suggéré l’idée ?
Il y a un mois, le président américain Donald Trump a signé un décret selon lequel Washington a officiellement autorisé l'extraction de divers métaux et autres ressources minérales précieuses sur la Lune, y compris dans le cadre des dernières phases du programme Artemis de la NASA qui a été sommée par le président de faire retourner des américains (dont une femme) sur la Lune en 2024. Veut-il se prendre pour Kennedy ?
Plus tôt, Reuters a rapporté, citant ses sources, que l'administration américaine prépare un projet de nouvel accord international sur l'extraction des ressources sur la Lune, auquel elle prévoit de connecter un certain nombre d'États partenaires, qui n'incluront pas la Russie au premier stade.
L'accord prévoit la création de "zones de sécurité" autour des futures bases sur la Lune pour "empêcher les dommages ou les interférences des pays concurrents ou des entreprises travaillant dans les environs immédiats", a indiqué l'agence. Il énoncera également les règles du droit international qui permettront aux sociétés minières sur la Lune d’établir la propriété de ces ressources.
Shevchenko a exprimé l'opinion que si ces plans des États-Unis se réalisaient, les premiers "mineurs" de l'espace ne se concentreraient pas sur la fouille des entrailles de la Lune, mais sur la collecte de ces métaux précieux qui sont venus à sa surface depuis l'espace à la suite de la chute d'astéroïdes assez gros…
C’est pure science-fiction.
Rogozine, plus réaliste, lui a répondu en ces termes :
"Et vous ne voulez pas calculer combien il vous en coûtera pour développer un projet de fusée de classe super-lourde et d'un vaisseau lunaire, construire une nouvelle infrastructure de lancement pour eux, organiser le lancement et l'atterrissage sur la lune, organiser la recherche des réserves précieuses et non découvertes…, créer sur la lune une unité de production pour leur extraction et leur fusion, le lancement du ou des vaisseaux de la Lune à la Terre avec une paire de lingots d'or ? D'une certaine manière, il est nécessaire de justifier plus sérieusement de tels projets, messieurs !".
Selon lui, la disponibilité de sources de carburant et de matériaux dans le sol lunaire pourrait en effet être nécessaire pour assurer le fonctionnement à long terme d’une station scientifique sur la Lune. "Mais d'abord, ils devront être trouvés, extraits et transformés en fournitures utilisables. C'est une longue chanson", a déclaré le chef de Roscosmos.
Rogozine estime que tout cela nécessitera d'énormes fonds et des technologies qui n'existent pas encore. Il a rappelé qu'en Russie, le lancement futur (en 2021) de la sonde Luna-25 était prévu. "Ce n'est que le tout début du chemin. Mais lorsque vous le choisissez, vous ne devez pas considérer des idées qui ne sont pas scientifiquement, technologiquement ou financièrement insolvables", a écrit le chef de Roscosmos.
Protéger la planète
Rogozine a aussi souligné que nous devons protéger la patrie, sa nature et la planète dans son ensemble, et non "la détruire sans réfléchir, en avalant les dernières ressources et commencer à épuiser l'univers". "L'humanité doit penser à préserver sa maison. Et si l'expansion dans l'espace est nécessaire, c’est pour résoudre d'autres problèmes", a écrit le chef Roscosmos.
Parmi ces tâches, il a appelé à mener des recherches fondamentales sur l'origine de l'Univers, la vie et notre civilisation. De plus, à son avis, nous devons aussi envisager de protéger la planète d'une proximité dangereuse avec des "invités non invités" de l'espace - astéroïdes et grandes météorites. De plus, il est nécessaire de créer une nouvelle qualité de vie sur Terre grâce aux services spatiaux, estime Rogozine.
On serait plutôt enclin à partager quelques-unes de ces idées-là, plutôt que celles des Jules Vernes de l’ère de la mondialisation capitaliste.