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Billet de blog 1 mai 2025

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Histoires de racines

Vous ne pouvez pas ne pas avoir remarqué à quel point il est commun de se réclamer de ses racines. Quelles racines ? Ce ne sont pas les racines qui manquent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Faisons un peu le point.

En mathématiques, les racines prennent des formes tantôt carrées, tantôt cubiques et même énièmes. On les devrait aux Babyloniens. Il faut dire qu’ils étaient fortiches, les Babyloniens, on se demande ce qu’ils n’ont pas inventé. Avant les calculettes de poche, l’extraction des racines carrées était un exercice aussi ardu que fastidieux, fierté bien ridicule des forts en calcul qui n’avaient rien compris aux mathématiques. Vous avez bien lu : l’extraction des racines, et non pas l’arrachage, car les racines carrées partagent avec celles des dents le noble privilège de relever d’une extraction.

En effet, les dents, je pense que je ne vous l’apprends pas, ont aussi des racines. Quand elles sont trop abîmées et trop douloureuses, on les extrait. Les patients pensent qu’on les leur arrache, mais les dentistes tiennent à les extraire. C’est plus chic. Et ce détail lexical fait la différence entre les dentistes modernes et les arracheurs de dents d’autrefois. Finalement, l’arrachage semblerait réservé aux mauvaises herbes, aux légumes, et aux plantes en général.

Car, mises à part les plantes des pieds, toutes les plantes ont des racines, des séquoias millénaires aux mauvaises herbes de nos jardins. Certaines sont bonnes à manger, comme les carottes, les navets et autres salsifis, sans oublier celles des pissenlits que tout le monde mangera un jour, sauf à se faire incinérer ou périr en mer. Mais la plupart sont immangeables, donc condamnées comme mauvaises, et on les arrache en toute bonne conscience.

D’évidence, ce ne sont pas de ces racines-là que chacun se revendique, pas plus que des racines carrées, cubiques ou dentaires. Vous le savez aussi bien que moi : celles dont on se réclame sont métaphoriques. En d’autres termes, elles n’existent pas ailleurs que dans l’imagination de ceux qui en parlent et la crédulité de ceux qui les écoutent. On a le droit d’en rire quand, comme moi qui compte des ancêtres lorrains jusqu’à la nuit des siècles, on en a à revendre. Mais pas quand elles servent à creuser les fossés entre « nous », qui avons nos racines sur place, et « eux », dont les racines sont ailleurs, si loin parfois que c’est comme s’ils n’en avaient pas. « Eux », les déracinés que d’aucuns se verraient bien éradiquer, radicalement, à coup de charters et d’OQTF.

Et là, avec ce « nous » et ce « eux », qui peut être un « elles », excusez-moi de vous la jouer grandiloquente, mais ce sont des racines autrement profondes que nous atteignons, celles de tous les racismes, de tous les fascismes et de tous les sexismes. Était-il inéluctable que ces racines-là repoussent ? Ont-elles jamais cessé de pousser ? Je ne sais pas, mais j’ai bien peur qu’aujourd’hui ce soit le cas. Et après… Alors, s’il-vous-plaît, au minimum, évitons de les arroser et d’y répandre de l’engrais. No pasarán !

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