Christian Euriat

Retraité de l'Université de Lorraine

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 mars 2025

Christian Euriat

Retraité de l'Université de Lorraine

Abonné·e de Mediapart

Sonnerie aux morts

Morts pour qui ?

Christian Euriat

Retraité de l'Université de Lorraine

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un précédent billet, je me demandais si les talibans pleuraient. À présent, sans glisser dans l’indiscrétion, mais un peu quand même, voyons ce qui me fait pleurer, moi. Mes amis, que cela fait rire, vous diront que je ne peux pas entendre Berthe Silva chanter Les roses blanches sans fondre en larmes. C’est vrai. Je ne sais pas pourquoi. Mais il n’y a pas que Les roses blanches. Dès les premières notes d’une Sonnerie aux morts, je pleure. Immanquablement. Rien que d’y penser, j’ai les larmes aux yeux. Et là, je sais pourquoi.

Quand j’étais gamin, je montais de temps en temps au cimetière avec ma grand-mère pour y entretenir et fleurir la tombe de la famille. Reposaient là mon arrière-grand-mère, M’man Berthe, bien ancrée dans les souvenirs de ma première enfance, son mari, mort longtemps avant elle, et surtout, si je puis dire, trois de ses quatre fils, Henri, Louis et Georges. En août 14, Mémère avait quatre grands frères, moins de deux ans plus tard, elle n’en avait plus qu’un. On n’en parlait jamais, sauf au cimetière. A la mort de son deuxième fils, mon arrière-grand-mère était allée voir l’autorité militaire à Toul pour demander le retrait à l’arrière des deux survivants. On lui avait répondu : « Madame, le règlement, c’est trois ». Dans les semaines suivantes, un obus allemand arrangeait cela. Les Allemands sont très portés sur le règlement, c’est bien connu.

Concernant les Allemands, ma grand-mère témoignait d’une indulgence inattendue. Elle m’expliquait que, oui, bon, d’accord, c’était des boches qui avaient tué ses frères, mais que, au fond, les boches, c’était des « pauvres gosses » comme eux, qui n’avaient sûrement pas demandé à être là. Les vrais assassins, me disait-elle, c’est les généraux. Ils ordonnent des attaques inutiles pour se faire mousser et pendant que les soldats et leurs officiers se font étriper, ils font la noce à Paris avec des poules. Ce sont les mots de Mémère, et pour moi, définitivement, un général, c’est un type qui fait la noce avec des poules pendant que ses hommes se font massacrer sur le front.

Plus de soixante ans sont passés. Ce que j’ai pu apprendre et lire par la suite sur la Guerre de 14, au moins jusqu’en mai 17, n’a jamais vraiment contredit ma grand-mère. Ce souvenir d’enfance est toujours aussi vif. Alors dès que commence une Sonnerie aux morts, je pense à Henri, Louis et Georges, les frères de Mémère, mes grands-oncles que je n’ai pas connus, morts pour la France et la carrière de leurs généraux, et je pleure.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.