Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour que la honte change de camp et se développe dans le cœur logeable des hommes. L'accusation de culpabilité au moins celle « d’indifférence ordinaire » doit s’imposer à eux (Camille Froidevaux Metterie, le Monde, 19 septembre 2024 )
Si le rôle de la masculinité ou du masculinisme dans le système d’oppression qui régit les rapports sociaux, économiques et culturels dans nos sociétés semble incontestable, on a plus de mal à comprendre en quoi la honte pourrait être une solution. Qu’espère-t-on construire sur le sentiment de honte ? Quel progrès, quel changement en attend-on ? Qu’a de positif le sentiment de honte ?
Logique de l’enfermement, logique de camp
La honte est le sentiment de l’enfermement. Survivance d’une logique patriarcale ou non, la honte est le sentiment dans lequel on cherche à enfermer un être réputé fragile, inachevé, (un enfant ? une femme ?) lorsqu’ « on » estime qu’il ou elle a dépassé par une faute lourde, la norme de l’acceptable. La marge d’appréciation laissé à « on » qui entend détenir un pouvoir est grande. Le résultat est plus qu’incertain. « On » fait appel à ce qu’ »on » pense être un sens moral commun pour amener l’autre à baisser la tête et à reconnaître une erreur ou une faute. La sincérité de l’intéressé dépend d’un nombre de facteurs si grand et si insaisissables qu’elle échappe le plus souvent à celui qui tance l’intéressé.e et le résultat est souvent un échec et un traumatisme dont le temps seul révèle l’ampleur. Au sentiment de honte, les pédagogues préfèrent souvent d’autres mécanismes pour faire comprendre à une personne qui s’est mise dans son tort que d’autres choix étaient préférables.
La honte est aussi un sentiment que peut éprouver une victime lorsqu’elle est fragilisée par les circonstances. Elle peut naitre devant le déballage au grand jour d’une situation qu’on n’a pas choisie. C’est le cas de Gisèle Penicot, victime de viols à répétition odieux mais dont on cherche à prouver qu’elle a d’une manière ou d’une autre cherché ou favorisé par son comportement les actes dont elle est victime. Cette honte qui doit être reconnue en faveur des victimes peut être paralysante et on admet qu’il faut beaucoup de courage pour la combattre.
La honte n’est certes pas un marqueur de gauche ou de droite mais elle peut encore prendre un sens politique et/ou devenir le levier de convictions personnelles. On peut l’exiger pour assoir le pouvoir d’un camp sur un autre. Musulman, on peut être fortement invité à témoigner de sa honte devant des actes de terreur qu’il faudra dénoncer sous peine de ne pas être vu comme un bon citoyen. Catholique on vous enjoint de ressentir de la honte devant les actes pédophile de l’église. On peut aussi évoquer la honte pour un camp ou pour son pays lorsque le gouvernement qui nous représente vend des armes à une puissance qui s’en sert contre des populations civiles mais la honte devrait avant tout être frapper ceux qui se discrédite par des actes, ceux qui commette la faute ou prennent les décisions honteuses. Elle ne devrait ne pas naître dans l’esprit des personnes trahies.
On le voit la honte est aussi une affaire de camp. On peut donc parfaitement revendiquer avoir honte pour se situer ou ne pas déplaire à un camp.
Sexualité et innocence
Il est difficile de parler de nos sexualités dont la plupart d’entre nous choisissent peu les contours. Aujourd’hui, la liberté nous est donnée dans nos démocraties (en théorie du moins) de la vivre telle qu’elle nous vient. – je ne parle évidemment pas d’une époque pas si lointaine où certaines sexualités étaient considérées comme déviantes et/ou maladives –. Nos sexualités se développent dans des limites que la loi et l’éthique peinent à réguler. Les mouvements Me too, Balance ton porc, les procès comme celui de Mazan sont les preuves que les dispositifs qui naissent ou ceux mis en place par la société pour la contenir, la contrôler ou protéger les plus faibles restent insuffisants, inefficaces ou inappropriés. Femmes et hommes, nous sommes contraints à inventer et à contrôler notre sexualité par nous-même. Comment cela pourrait-il avoir lieu autrement qu’ensemble ? En quoi la honte si souvent invoquée dans ce domaine pourrait-elle y trouver une quelconque utilité ?
Pour un nombre indéterminé d’hommes, qui pour de multiples raisons, morales, défaut de circonstances ou encore parce qu’ils se sentent suffisamment bien dans leur vie sexuelle n’ont jamais pensé passer par le fantasme de la domination ou du viol pour atteindre le plaisir sexuel, le sentiment de honte dans lequel on veut les enfermer est aussi incompréhensible qu’inacceptable. Il est peu probable qu’un appel au sentiment de honte trouve un écho dans leur cœur quand bien même la conscience du caractère systémique de la domination masculine est présente dans leur esprit. Sont-ils innocents individuels au sens où l’était le fol Parsifal ? ignorants de ce qui agite d’autres autour d’eux ou coupable d’indifférence ? C’est un des points du débat que je ne me hasarderais pas à développer ici mais voir leur figure s’empourprer de honte et la culpabilité s’emparer de leur esprit ne peut être qu’un semblant de victoire.
Les expressions « personnes ordinaires, » qui fleurissent dans les médias, ou « monsieur tout le monde » messieurs dont on cite les professions comme on fait part d’une révélation sont plus les marqueurs d’un mépris qu’une preuve de compréhension. L’expression « Monsieur tout le monde » en particulier qu’on a opposé aux cibles médiatiquement reconnues pour leur célébrité donne la désastreuse impression que deux standards s’appliquaient à deux milieux différents.
Enfin, Parmi les hommes qui ont suivi l’étalage du caractère odieux des viols subis par Gisèle Pénicot, certains sont certes restés dans une indifférence ou une inaction qu’on peut juger négativement mais on peut difficilement affirmer qu’il n’y ait pas eu réflexion sur le sujet. Il est de notre devoir à tous de faire en sorte que cette dernière soit la plus large possible sans essentialiser les uns ou les autres.
Les tartuffes de la honte
Le sentiment de honte éprouvé par les victimes de viol lorsqu’elles ont à témoigner de ce qui leur est arrivé est terrible même si elle le surmonte avec courage pour aller au procès. Mais si la honte est insupportable, pourquoi ce renversement qui voudrait que ce sentiment se développe chez ceux qui ne sont pas auteurs de viols. Par le biais de la honte n’est-ce pas plutôt une société de Tartufes qu’on prépare. Ne vaut-il pas mieux parier sur l’intelligence individuelle, collective et la sensibilité des hommes qui n’en manquent pas pour faire évoluer la situation vers une société où le respect mutuel tiendrait meilleure place.