Christian Laval (avatar)

Christian Laval

chercheur en sociologie, écrivain

Abonné·e de Mediapart

27 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 juillet 2008

Christian Laval (avatar)

Christian Laval

chercheur en sociologie, écrivain

Abonné·e de Mediapart

L'école et le refus de penser

  La période que nous vivons est marquée par le refus de penser. Plus que jamais, il y aurait danger à faire le rapport entre la situation présente (dans tous ces registres) et un certain nombre de raisons qui l’expliquent. Il y aurait même quelques risques pour l’ordre publicà imaginer des portes de sortie.

Christian Laval (avatar)

Christian Laval

chercheur en sociologie, écrivain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La période que nous vivons est marquée par le refus de penser. Plus que jamais, il y aurait danger à faire le rapport entre la situation présente (dans tous ces registres) et un certain nombre de raisons qui l’expliquent. Il y aurait même quelques risques pour l’ordre publicà imaginer des portes de sortie. Pour reprendre la fameuse formule de Max Weber, nous sommes bel et bien dans la « cage d’acier » : celle des contraintes de la « machine économique », celle du monde tel qu’il va sans qu’on y puisse rien.Pour s’y sentir à l’aise, ne pas penser est encore la meilleure des solutions. Nous avons des dirigeants qui dirigent et pensent pour nous.

Quelques mauvais esprits laissent croire cependant qu’il faudrait former, plus encore qu’hier,des citoyens éclairés, capables de penser par eux-mêmes grâce à leurs connaissances et à une intelligence exercéeà la réflexion. Parmi ces mauvais esprits, on trouve de nombreux enseignants (naturellement irresponsables tant ils ignorent la « réalité de l’entreprise et du marché du travail »). Les uns, professeurs de philosophie, résistent à la mutation de leur discipline en « histoire des idées », laissant entendre que ce serait abandonner l’un des objectifs de leur enseignement, la réflexion sur des concepts,au profit d’un cataloguede « conceptions du monde ». Les autres, professeurs de sciences économiques et sociales, ne veulent pas se soumettre aux injonctions de plus en plus menaçantes de l’Institut de l’Entreprise (dirigé par Michel Pébereau) et d’autres petitslobbies patronaux qui voudraientse débarrasser de la sociologie trop « compassionnelle »et réduire les cours à la petite mécanique « microéconomique », au détriment de la réflexion sur des problèmes sociaux et économiques. Les professeurs d’école, quant à eux,estiment qu’avec moins d’heures de cours dans la semaine, le nouveau programme centré sur les « compétences fondamentales » et le poids croissant de l’évaluation quantitative des « performances » des élèves, ne laisserontplus guère de place pour un véritable apprentissage à la réflexion.

Ces contestations enseignantesrejoignent les appels des chercheurs qui protestent contre le dirigisme politique des réformes entreprises dans leur domaine. Le point commun de ces mouvements n’est en effet pas difficile à percevoir. L’air du temps est de nouveau au dogmatisme autoritaire. Il y a des connaissances certaines(les « fondamentaux ») qu’il faut « inculquer »aux élèves. Ces connaissances « indiscutables » doivent êtresélectionnées par des« scientifiques » eux-mêmes « indiscutables ». Les scientifiques « indiscutables » seront évidemment choisis par les autorités politiques, lesquelles, puisque élues, sont par définition« indiscutables ».En un mot, la « discussion » dans le domaine du savoir est regardée aujourd’hui comme « contre-productive ».Le récent « rapport Guesnerie » destiné à« karchériser »l’enseignement des sciences économiques et sociales au lycée donne le ton de l’époque : lutter contre « la sinistrose », et non plusfavoriser l’épanouissement de l’esprit critique.

Il vaut mieux le savoir : le refus de penser est un programme politique armé d’un silencieux. Le citoyen est sa cible.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.