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Billet de blog 20 octobre 2010

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Mhamed Lachkar : bourreaux et victimes

La torture est une méthode de pouvoir tellement pratiquée à toutes les époques et dans tous les domaines, politiques, religieux, militaires, qu'on peut se demander comment ces pratiques si cruelles, si inhumaines, apparemment exceptionnelles, se mettent en place avec autant de facilité.

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La torture est une méthode de pouvoir tellement pratiquée à toutes les époques et dans tous les domaines, politiques, religieux, militaires, qu'on peut se demander comment ces pratiques si cruelles, si inhumaines, apparemment exceptionnelles, se mettent en place avec autant de facilité.

Le très beau récit de Mhamed Lachkar sur les tortures que lui ont infligées les polices d'Hassan II, à l'époque des années de plomb, nous éclaire, avec une précision clinique sur les mécanismes de destructions induites par les bourreaux et la façon dont eux-mêmes se motivent à la barbarie. Compte tenu de la violence du phénomène, les meilleures explications sont à rechercher à mon avis dans nos instincts fondamentaux.

Des instincts puissants

L'homme est un primate, un mammifère qui a acquis, sous l'effet de l'évolution , des instincts puissants , lui permettant de survivre dans la grande compétition des espèces. Le développement exceptionnel de notre néocortex enrichit nos instincts de connaissances rationnelles variées, sur notre environnement matériel et social. Ces connaissances viennent contrôler, moduler ces instincts, mais ils sont toujours là, prêts à s'exprimer dans leur brutalité voir leur perversité. Certes chacun d'entre nous ne peut se transformer en bourreau mais constatons qu'à des degrés divers nous somment tous capables de comportements cruels et violents. Habitant la campagne, il m'arrive d'être obligé de tuer un poulet de ma basse-cour. Il me faut un réel effort pour surmonter mon dégoût pour la souffrance que je vais infliger à ce pauvre poulet, et puis curieusement ce sentiment s'efface brutalement et sans la moindre arrière-pensée, le moindre remord le bourreau fait son œuvre. Il me semble qu'il se produit alors un basculement entre des comportements empathiques et ceux d'un prédateur sans aucune pitié pour sa victime.

Des instincts pervers

Pour que chez l'homme s'opère ce basculement en prédateur cruel vis-à-vis de ses semblables qui conduit à la torture, il faut évidemment créer des conditions favorables au blocage de toute empathie. Il faut tout d'abord qu'une idéologie forte permette comme le montre fort bien Mhamed Lachkar retirer à la victime, le statut d'être humain: ici il devient un infâme communiste, une bête méprisable que l'on insulte et brutalise en permanence. Il faut aussi pour ce travail recruter des exécutants peu sensibles mais toutes ces conditions semblent assez faciles à réunir et permettent à des bourreaux responsables de piloter l'ensemble sans avoir besoin de se salir les mains.

Des dégâts collatéraux

Le tort fait aux victimes ne se limite pas aux blessures physiques même graves mais porte surtout sur les blessures psychologiques qui conduisent à des états psychiatriques très difficiles à soigner. Les états dépressifs que produisent les tortures sur des esprits sains au départ sont difficiles à comprendre si l'on ne connait pas le problème. La honte, la culpabilité, le dégoût de soi, le renoncement à la vengeance qui nous apparaissent ici complètement injustifiés ne sont en fait que les symptômes bien connus de la dépression dont on ne peut se sortir sans aide extérieure. Le récit quasi psychanalytique de Mhamed fait bien comprendre la mécanique de destruction psychique à l'œuvre, rapide , brutale et l'efficacité de cette forme de terrorisme politique qui prolonge les persécutions, en menaçant les familles des victimes et fait peser la chape de plomb sur toute une société.

Responsabilités

Les régimes marxistes ont usé et abusé de ces méthodes, les régimes coloniaux les ont utilisées pour lutter contre les mouvements d'indépendance, l'anticommunisme a été un inépuisable pourvoyeur de tortures pour les dictatures et les oligarchies de toutes sortes.

Les étudiants marocains généreux et idéalistes au sortir de la domination coloniale ont été les victimes idéales d'un pouvoir autoritaire qui se voulait monarchie absolutiste et d'un autre âge.

En général les procès des tortionnaires et leurs responsables sont très rares. Les sociétés évitent le plus souvent le déballage de leur inhumanité. Dans une société mondialisée où l'individu s'exprime de plus en plus librement, des témoignages comme celui de Mhamed sont très utiles car ils dénoncent des pratiques inacceptables au niveau de l'individu cette fois et non comme d'habitude au nom de la morale et de l'idéologie.

Puisse ce récit être lu et apprécié par ceux pour qui le mot humanisme a un sens.

Les illustrations sont réalisées d'après Jérôme Bosch.

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