Une forte hétérogénéité sociale de la profession agricole
La présente révolte paysanne doit nous conduire à repenser notre mode d’agriculture. Les acteurs de cette contestation et la plupart des commentateurs dans les médias considèrent généralement « les Agriculteurs » comme une entité sociale homogène.
Or, ce n’est absolument pas le cas. Quels points communs peuvent exister entre le président de la FNSEA, qui exploite 700 ha de terres agricoles, tout en étant directeur général d’Avril, la 4ème entreprise française de l’agroalimentaire, et un petit éleveur du Limousin ou d’ailleurs, dont le revenu est inférieur à 1000 euros par mois ? Aucun. Si ce n’est, qu’à priori, les deux exploitants peuvent prétendre aux aides de la PAC (Politique Agricole Commune de l’Europe).
En effet, chaque année, l’agriculture française reçoit entre 9 et 9,5 milliards d’euros de subventions en provenance de Bruxelles. A cela, s’ajoutent 4 à 5 milliards d’aides au niveau national. Le secteur agricole français dispose donc, chaque année, de 14 à 15 milliards de subventions. Aucun autre secteur d’activités ne bénéficie d’aides de cet ordre de grandeur.
Une répartition très inégalitaire des aides de la PAC
Par ailleurs, l’agriculture française a subi le plus grand plan social de l’après guerre ; de 2 millions d’exploitations agricoles en 1950, nous sommes passés à 380 000 aujourd’hui. Un calcul simple, voire simpliste mais éloquent, montre tout de même qu’une répartition « égalitaire » de ces aides européennes et nationales conduirait à une subvention de 37500 euros par an et par exploitation agricole, soit un revenu mensuel de 3125 euros.
A ce stade de la réflexion, il faut tout de suite préciser que cette répartition égalitaire ne correspond pas du tout au mode d’attribution des subventions, puisque ces dernières sont, en grande partie, proportionnelles à la taille, c’est-à-dire au nombre d’hectares des exploitations ou au nombre d’animaux élevés. Ainsi, un grand céréalier de la Beauce ou de la Brie touche des subventions beaucoup plus élevées qu’un petit éleveur du Massif Central. Savez-vous par exemple que le président de la FNSEA, propriétaire avec son épouse de 700 hectares, touche, chaque année, 173 000 euros (!) de subventions de la PAC ? Alors que l’aide moyenne par exploitation n’est que de 25 000 euros. En résumé, l’essentiel des aides vont aux agriculteurs qui ont les plus grandes exploitations, et qui en ont le moins besoin ; sans oublier bien sûr quelques lobbys intermédiaires de l’agroalimentaire, de l’agro-industrie et de l’agrochimie qui soutirent également une bonne part de cette manne financière. Dans le contexte actuel du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la pollution généralisée des eaux par les pesticides et autres intrants chimiques, produits impliqués par ailleurs dans le développement de différentes maladies humaines, je pense qu’il est impératif maintenant que l’essentiel des aides soit attribué aux pratiques agriculturales respectueuses de l’environnement et de la santé humaine. Cela permettrait de réaliser progressivement la transition indispensable, et même vitale, de l’agriculture intensive chimique actuelle vers l’agro-écologie.
Le bilan du mode agricole actuel : un échec
Le bilan de l’agriculture chimique et productiviste de ces dernières décennies est, en effet, un échec social, économique et environnemental :
• Appauvrissement généralisé des petites et moyennes exploitations agricoles,
• Agrandissement des plus grandes propriétés agricoles au détriment de l’installation de jeunes agriculteurs,
• Perte de 75 % de la biodiversité agricole (variétés végétales et espèces animales),
• Transformation des terres agricoles en des sols devenus infertiles nécessitant l’apport d’intrants chimiques,
• Pollution généralisée de l’environnement (eau, air, sol) par les pesticides et autres produits chimiques,
• Perte de 78 % des effectifs d’insectes volants, parmi lesquels de nombreux pollinisateurs,
• Baisse de 55 % des effectifs d’oiseaux, notamment pour les espèces liées aux milieux agricoles,
• Etc., Le mode actuel de notre agriculture n’est donc, de toute évidence, pas viable et les mesures récentes annoncées par le gouvernement en réponse aux manifestations paysannes (réduction des friches et des zones humides, arrêt du plan Ecophyto, etc.) constituent une fuite en avant irresponsable, non conforme à l’intérêt général et qui relèvent surtout de la démagogie politicienne.
L’agro-écologie : une perspective d’avenir pour l’agriculture
A contrario, l’agro-écologie est un nouveau mode de production agricole qui respecte les écosystèmes naturels et la santé et qui intègre les dimensions économiques, sociales et politiques de la vie humaine. C’est une approche globale qui concilie donc agriculture, écologie, productivité, activité humaine et biodiversité dans une perspective de développement durable. L’arrêt de l’usage intensif des intrants chimiques, la reconstitution du bocage, l’obtention de sols vivants et le choix d’espèces animales et de variétés végétales adaptées au milieu, figurent parmi les principes de base de l’agro-écologie. Par ailleurs, contrairement aux affirmations des détracteurs de l’agro-écologie, les travaux de l’INRAE ont montré que ce mode de production agricole a un niveau de productivité largement suffisant pour nourrir toute la population française. De plus, l’agro-écologie est, par nature, créatrice d’emplois notamment pour l’installation de jeunes agriculteurs. Enfin, à rebours de toutes les affirmations officielles, le coût de revient des produits de l’agriculture biologique est largement inférieur au coût des produits issus de l’agriculture chimique intensive, si l’on prend en compte les externalités négatives de cette dernière, à savoir la pollution généralisée de la ressource en eau et l’impact négatif, maintenant reconnu, sur la santé humaine, dommages extrêmement couteux pour l’ensemble de la société.
Ainsi, contrairement à ce que répètent, à l’envi, beaucoup d’agriculteurs et les responsables de leur syndicat majoritaire, la FNSEA, il existe bien une alternative à l’emploi inconsidéré, irresponsable, mortifère et sans avenir des intrants chimiques, notamment des pesticides, il s’agit de l’agroécologie. Christian Amblard Directeur de Recherche Honoraire au CNRS