Ce 8 mai 2012
Yeeeeaaaaaaaah ! He did it ! C’est le sms que m’envoya ma fille, étudiante au Canada, en cette soirée du 4 novembre 2008. Je lui répliquai aussitôt They did it ! Qu’elle accueillit par un instantané Yes, y’re right, they did it ! Cette génération tape plus vite que son ombre et ses réponses à mes sms arrivent toujours avant que j’aie fini de taper mon message. Dans la foulée je répondais, plus calmement, à un ami dont le sms révélait la même fébrilité. Cet ami est chirurgien, spécialiste de greffes du poumon pour traiter la mucoviscidose. Il exerce dans un grand hôpital parisien. Son statut professionnel est une illustration du plafond de verre. Né en Algérie, bien qu’ayant obtenu sa spécialité en France, il n’est pas nommé professeur, malgré son parcours, ses performances, son profil, malgré sa réputation internationale et sa participation à de grands évènements scientifiques et médicaux. Mais en ce soir du 4 novembre, l’heure n’est pas à l’étude des mécanismes du mandarinat. Il est à New York. Barack Obama est élu Président. Christiane, Christiane, où es-tu ? C’est plein de monde ici, et il y a plein plein de Blancs, c’est la folie. C’est ce que dit son sms. Et je lui réplique Evidemment, Kouyon, les Blancs sont plus nombreux. Et c’est leur victoire sur eux-mêmes. J’écris ‘couillon’ à la créole, car chez nous son sens n’est pas le même qu’en français, et ‘grand kouyon’ est encore plus chargé d’affection. J’imagine sans peine son émotion, peut-être moins son trouble.
Ce 9 mai 1994, je suis à Johannesburg. C’est aussi la folie, la liesse. Et il y a aussi plein plein de Blancs, même si ici, ils sont au contraire minoritaires. Ils l’ont fait. Nelson Mandela est élu Président. La ferveur collective est telle qu’individuellement, on frise la transe létale. C’est une dignité moite aux yeux et cet état de paix inopiné qui, alors, nous sauvent tous. Fulgurance de la grandeur et de la force de ce peuple sud-africain.
Nulle comparaison avec ce 6 mai 2012 en France.
Le Président élu n’a pas connu la paille humide des cachots. Il n’a, comme nous, aucune sensation de la rigueur nue grise et tranchante du froid austral puis du soleil rageur de Robben Island.
Le Président élu n’a pas eu à justifier la légitimité de sa présence. Malgré les sujets épineux, les rumeurs et les remugles, il n’eut pas à fendre l’ombre compacte qui commençait de se vautrer dans les esprits jusqu’à ce que Barack Obama, habité par ces mondes et ces cultures souvent tentés de s’affronter, s’attelle à tracer à mots ciselés ce layon étroit mais éblouissant sur la race en Amérique. Se mettre ensemble, sans rien oublier, sans rien négliger, mais sans se laisser engluer.
Nulle comparaison donc, sinon qu’ici aussi, Ils l’ont fait.
Changer d’ère. Changer d’air. Ouvrir grand les fenêtres. Retrouver la cadence d’un pays qui, après s’être à ce point projeté dans le monde qu’il lui infligea sa Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, s’était mis à douter de lui-même, à trembler d’apercevoir quelque silhouette insolite, à renoncer aux mystères de l’autre et à la curiosité, à se croire en péril existentiel.
Dimanche, ils l’ont fait. Nou fè’l !
Christiane Taubira, ce mardi 8 mai ( Voir aussi : le blog de Christiane Taubira )