Christiane TAUBIRA
Députée de Guyane
Commission des Affaires étrangères
Le 18 mars 2007, entrait en vigueur la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité et des expressions culturelles.
Edouard Glissant affirme que, même s'il ne parle que sa langue maternelle, « l'écrivain écrit en présence de toutes les langues du monde ». Nous devons en comprendre que la créativité des auteurs est poreuse. Elle l’est, à dessein ou à leur insu, par les arts autant que par les faits divers, par la Relation autant que par l’Exister. Car les langues ne convoient pas que des mots, elles charrient des imaginaires, des univers, des silences mêmes, comme ceux, terriblement éloquents, des habitants de Fukushima.
La diversité originelle des cultures françaises fut sacrifiée à l’autel d’une République une et indivisible, adossée à une Nation qui croyait ne pouvoir prospérer que par l’uniformité. Voulant ses citoyens égaux, elle les supposa identiques. Pour éradiquer comtés et duchés et atteindre à l’unité, la Nation fit la guerre aux langues et cultures régionales.
Il y a un an exactement, deux militants étaient jugés devant la Cour d’appel de Rennes pour actes en faveur de la réunification de la Bretagne. Ils se sont exprimés en Breton. Le Président du tribunal a levé la séance au motif qu’il « ne comprend pas le baragoin ». Brutal ! Selon l’atlas de l’Unesco, le Breton fait partie des 2279 langues menacées.
Entre la loi Deixonne de 1951 sur l’enseignement des ‘langues et dialectes locaux’, et l’article 75-1 de la Constitution qui, depuis 2008, classe les langues régionales dans le patrimoine de la France, la loi Toubon de 1994, aveuglée par son corps à corps avec l’anglais et les anglicismes avait presque tout ravagé. Le Code de l’Education a préservé une partie des acquis gagnés par deux générations.
Les langues minoritaires sont souvent majoritaires en leurs lieux. Elles animent l’espace public par moult évènements culturels, et jusqu’à la toponymie. Elles peuvent être transfrontalières, voire continentales, comme les langues amérindiennes. Elles peuvent devenir officielles, quand les peuples en décident et que l’Histoire y conduit. C’est le cas du Créole en Haïti et aux Seychelles. Elles peuvent, sans être officielles, s’avérer d’usage dominant, comme le Créole à Maurice.
La crispation des adversaires des langues et cultures régionales est étonnante car, souvent, ils ne sont pas adversaires de la décentralisation. Sans doute le pouvoir émanant de la force culturelle est-il plus puissant que le pouvoir institutionnel qu’ils conçoivent davantage de partager.
Il ne s’agit pas d’évacuer paresseusement la crainte d‘ethnicité’ soulevée ou suggérée par l’effervescence que provoque le plein épanouissement des langues et des cultures. La France n’est pas près de devenir une Tour de Babel. Ses citoyens demeurent ceux de la Nation, liés par le Contrat républicain, concernés par un projet politique. Il en était ainsi avant même la définition d’Ernest Renan. Les risques d’entropie proviennent davantage des cracheurs de haine et métreurs de civilisations. La question sociale est autrement plus prégnante. La réfutation des langues et cultures mène à l’exclusion de locuteurs monolingues ou en diglossie, souvent âgés, parfois ruraux, toujours marginalisés. Or ces locuteurs sont des citoyens. Et la vitalité des langues et cultures conditionne la transmission des patrimoines. Demandez à Paco Ibanez ce qu’il a reçu de sa grand-mère en Euskera.
Le sujet n’est pas linguistique, il est politique : comment faire société en profusion culturelle ?
Sur les 98 dispositions de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Lionel Jospin en a retenu et signé 39 pour la France en 1999. Le Président de la République, Jacques Chirac, avait refusé d'en soumettre la ratification au Congrès. François Hollande s’est engagé sur la ratification. L’enjeu ? Edouard Glissant, encore : « Je devine peut-être qu’il n’y aura plus de culture sans toutes les cultures ». Soleil de la conscience.