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Billet de blog 29 mars 2012

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Cérémonie d’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage – Nantes 25 mars 2012

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Extrait de l’intervention de Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane (l’intervention complète est disponible sur le site : ) http://www.christiane-taubira.net/

…Des réticences proviennent aussi de la société, elles sont partiellement le fait d’une grande méconnaissance des faits et des constructions idéologiques fabriquées pour justifier ce système économique basé sur le meurtre légal et l’exil massif forcé. Il reste à expliquer plus largement que là love la source du racisme et des représentations façonnées pour légitimer cet esclavage racial. Nous voyons bien par ailleurs que la journée nationale du Souvenir, instaurée par la loi, semble s’installer après 2 belles années solennelles au Luxembourg à Paris (2006 et 2007) et 2 célébrations a minima (2008 à Bordeaux, 2009 sous présidence sénatoriale) puis un retour présidentiel avec un contenu substantiel, non plus sur l’abolition, mais sur la traite et l’esclavage. Et de plus en plus de collectivités, mairies, communautés de communes, départements, régions, prennent des initiatives pour le 10 mai, en plus des associations…

Quant au monde politique, on voit bien que certains ne font pas relâche sur les obstructions, les blocages, les regimbements. Ils continueront à venir à chaque ressac s’échouer sur le rivage d’un pays qui, malgré ses égarements, reste profondément attaché aux valeurs humanistes. Comprenons bien que, dans ces cas, contrairement aux citoyens ignorants des faits ou frileux, il s’agit d’une vraie confrontation idéologique, d’un réel affrontement de valeurs, d’une conception antagonique de la dignité de toute personne.

La première mondialisation, économique, généra une mondialisation de la pensée, des luttes, des arts, des causes : la liberté, les libertés, l’égalité entre les hommes, l’égalité entre les hommes et les femmes, les rapports entre les cultures. Bref, les idéaux qui inspirent les luttes au-delà de son quartier, de sa ville, de son pays, de son continent, au-delà des fausses proximités avec le pouvoir, pour atteindre aux vraies solidarités de valeurs, pour atteindre à la fraternité. Les sociétés qui ont subi l’esclavage sont des sociétés plurielles. De fait. De force. Elles le sont restées par choix, en servant cette injonction de Louis Delgrés : « La résistance à l’oppression est un droit naturel ».

Cette longue période, d’une exceptionnelle violence, fut celle de l’oppression, de la déshumanisation, de part et d’autre ; celle de l’homme, captif, vendu, acheté, fouetté, asservi mais qui trouve les ressorts pour se battre ; celle du maître devenu esclave de sa cupidité et de sa peur. Cette période fut aussi celle d’une époustouflante créativité. Le plus spectaculaire est dans les langues. Inventées sous la nécessité des solidarités de survie, puis des luttes, inventées dans le secret, la tension, puis la relation ; la relation horizontale entre les esclaves de langues différentes, entre esclaves et Amérindiens ; puis la relation verticale entre esclaves et maîtres. Puis ces langues furent enrichies et embellies par un sens de la vie qui suggérait de ne renoncer ni aux rires, ni aux chants, ni à la dérision, ni à la beauté. C’est ainsi que les esclaves furent invaincus, survivants et invaincus. Ils inventèrent des langues, des religions, des expressions artistiques, de la littérature, d’abord orale puis écrite, des techniques, des modèles économiques, ils composèrent des savoirs à partir de leurs milieux naturels, dans l’échange et dans l’observation. Ce fut, quoiqu’il paraisse, un âge d’or de la créativité, de l’inventivité, de l’ingéniosité. De la générosité.

La question qui nous est posée est de savoir dans quel monde nous voulons vivre. Le voulons-nous plus amical ? La fraternité est un combat. Quels efforts sommes-nous prêts à faire, dans nos vies quotidiennes, pour un monde moins hostile, moins injuste, moins brutal ?

Ce Mémorial nous dit qu’il n’est pas question de passer vite sur l’esclavage colonial. Qu’il faut prendre le temps d’en saisir les enseignements, d’en repérer les traces, d’en suivre le sillage, d’en neutraliser, d’en corriger, d’en éradiquer les effets. Mais le Mémorial nous rappelle aussi que les luttes contre l’esclavage colonial furent des luttes pour les droits de l’homme, pour la liberté de chacun, pour les libertés de tous. Qu’elles perdraient leur sens profond si nous restions indifférents aux situations contemporaines de traite, d’esclavage, de servitude qui frappent des millions de personnes.

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