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La LOPPSI 2, un Patriot Act français...
La Loi d’Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure : copie du Patriot Act états-unien
Le Parlement français vient d’adopter une nouvelle loi fourre-tout qui transcrit en droit français diverses mesures du Patriot Act états-unien. Pour le sociologue Jean-Claude Paye, l’inefficacité du vaste système de surveillance progressivement mis en place atteste que sa finalité réelle est autre que le but annoncé. Les sociétés occidentales évoluent vers un modèle infantilisant où seul le fait de se placer sous le regard enveloppant du pouvoir génère un sentiment de sécurité.
La loi française « LOPPSI 2 », Loi d’Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure, a été définitivement adoptée ce 8 février 2011 [1]. Ce texte présente de fortes similitudes avec le Patriot Act états-unien, voté immédiatement après les attentats du 11 septembre 2001. Ces deux législations se présentent toutes deux comme un fourre-tout sécuritaire pour "espionner" les peuples, une collection de mesures disparates, visant à réduire les libertés fondamentales, et contiennent des réformes importantes destinées à assurer un contrôle du Net. La loi française dite LOPPSI 2, s’inscrit, quant à elle, directement dans la permanence. Toutes ses mesures sont votées pour une période indéterminée. Ne devant pas être renouvelées, les dispositions ne sont pas limitées dans le temps. La référence principale de cette loi n’est plus l’image de la guerre contre le terrorisme, mais directement celle d’un état d’urgence, exhibé par l’Etat, afin de se défendre contre ses propres populations. La loi mélange des mesures générales de surveillance et de suppressions des libertés individuelles de tous les citoyens avec des dispositions qui stigmatisent des catégories particulières de la population, celles placées dans la précarité ou bien les jeunes. Les « chevaux de Troie »Sous le couvert de la lutte contre la « criminalité organisée », la LOPPSI 2 prévoit la possibilité, avec l’autorisation d’un juge d’instruction, de mettre en place, à l’insu de l’utilisateur, un dispositif technique enregistrant les frappes au clavier ou des captures d’écran. Cependant, ce système permettra de retenir toutes les infractions constatées à l’occasion de cette surveillance, même si cela ne concerne pas des faits relevant de la criminalité organisée. Ces dispositifs pourront être installés, sur place ou en s’infiltrant à distance, durant une période renouvelable de huit mois. Afin de mettre en place ce « mouchard », les enquêteurs ont ainsi le droit de s’introduire dans le domicile ou le véhicule de la personne mise en cause, à son insu et, si nécessaire, de nuit. A cet effet, la loi annule les protections constitutionnelles de la vie privée. Le filtrage du NetLa loi prévoit également un système de filtrage des sites diffusant des images de mineurs à caractère « manifestement pornographique ». Sans intervention d’un juge, elle donne à une autorité administrative, l’Office central de lutte contre la criminalité, la possibilité de priver ces sites de l’accès au Net. Cependant, l’administration peut saisir le juge pour les contenus « non manifestement pédopornographiques » [3]. Présenté comme une limitation des pouvoirs de l’exécutif, cette disposition a en fait une conséquence perverse : elle permet d’étendre le filtrage à un contenu qui manifestement n’est pas pédophile. Tel est bien l’enjeu de cet article. Une fois le principe du blocage adopté, il suffit d’étendre progressivement le champ des sites filtrables, comme cela a été fait pour le fichier national des empreintes génétiques. La loi introduit ainsi une brèche qui annonce d’autres motifs de blocage. Un simple amendement à la LOPPSI permettrait d’inclure les sites qui ne respectent pas le droit d’auteur. La « cybercriminalité »La LOPPSI établit une série de délits spécifiques s’ils sont exercés sur le Net. Est créé le délit d’utilisation frauduleuse, sur un réseau de communications électroniques, de l’identité d’un individu ou de données à caractère personnel « en vue de troubler sa tranquillité ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération ». L’interconnexion des fichiersCette loi coordonne les fichiers dits « d’antécédents » [4], tel le STIC et le JUDEX, qui contiennent des « données à caractère personnel » concernant les personnes suspectées..."sans preuve" d’avoir participé à la commission d’un crime, d’un délit ou d’une contravention de 5ème classe. Le texte prévoit que les décisions d’acquittement ou de relaxe conduisent à un effacement des données personnelles, « sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien pour des raisons liées à la finalité du fichier ». Il lui donne aussi le pouvoir d’effacer les données personnelles ou de les maintenir dans le fichier, en cas de non-lieu ou de classement sans suite...c'est de la dictature...! Big MotherA première vue, la loi est illisible. Elle apparaît comme un fourre tout, une collection de mesures disparates, allant de la constitution de fichiers sur l’ensemble des habitants et la légalisation des mouchards électroniques, à la criminalisation des squatters ou à la possibilité d’installer un couvre-feu pour les enfants de 13 ans. Il y a cependant une forte cohérence entre les différentes dispositions, non pas au niveau des objets sur lesquels portent les différents articles, mais en ce qui concerne l’intention du pouvoir. Les délits créés n’ont d’ailleurs pas d’autres finalités que d’être des supports du regard du gouvernement, des supports de l’image de l’insécurité et de son alter-ego, la sécurité.
L’enfermement dans le « regard » du pouvoirLa LOPPSI 2, tout comme son antécédent états-unien l’USA Patriot Act, opère un renversement de l’ordre juridique. Il s’agit d’abord d’appliquer aux populations des procédures qui, autrefois, étaient uniquement utilisées vis-à-vis d’agents d’une puissance ennemie. Il s’agit ensuite d’inscrire ces mesures dans le droit, c’est à dire d’obtenir le consentement des populations à l’abandon de leur existence...c'est de la dicture intégriste. [1] « Projet de loi d’Orientation et de programmation pour la performance et la sécurité intérieure », texte adopté n° 604, 8 février 2011. [2] « De l’état d’urgence à l’état d’exception permanent », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, 29 mars 2008. [3] « La Loppsi revient à l’assemblée nationale, les amendements bloqués », par Marc Rees, Numera.com, 3 novembre 2010. [4] Article 2 de la LOPPSI 2. [5] « En 2008, la CNIL a constaté 83% d’erreurs dans les fichiers policiers », par Jean-Marc Manach, Bug Brother, 21 janvier 2009. [6] « Le quart des 58 fichiers policiers est hors la loi », par Jean-Marc Manach, Bug Brother, 19 septembre 2009. | |
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