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Billet de blog 9 juin 2011

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Les médecins, boucs émissaires du Mediator

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http://www.votresante.org/chroncor.php

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Les médecins, boucs émissaires du Médiator.

Les développements de l’affaire du Mediator ont au moins le mérite de nous mettre en scène, à la manière de Feydeau, tous les personnages nécessaires pour parvenir au plus grand comique sauf que, dans ce cas, il est question de milliers de victimes.


Déjà ce bon M. Servier avait eu l’amabilité de jouer les innocents de service alors même qu’il savait parfaitement depuis des années que ce produit était dangereux et interdit dans plusieurs pays. Il put même jouer les surpris comme s’il ne connaissait pas tous les dessous pas très reluisants de ces basses combines qui expliquent comment ce produit n’a pas été retiré de la circulation à la première alerte. De notre simple expérience, nous savons tous à quel point les organismes censés défendre les patients ont été et restent corrompus jusqu’à l’os par toutes les petites combines de ce genre d’oiseau.


Mais les autres acteurs de ce vaudeville macabre restent à la hauteur de leur rôle : Haute autorité de santé (HAS), agences sanitaires françaises en tout genre, caisses de Sécurité sociale, mutuelles, ministère de la Santé et ses directions, associés dans cette mascarade d’enfer en chantant tous en chœur : “Nous ne savions rien, nous n’avions rien vu, on ne nous avait rien dit, etc.” Dans cet esprit, l’audition par une commission parlementaire de l’Assemblée nationale des anciens ministres de la Santé, ces jours-ci, a représenté un sommet d’hypocrisie, d’inconscience et d’irresponsabilité. A l’exception de M. Mattéi dont les silences pouvaient s’interpréter comme une forme d’acquiescement, aucun ministre n’a reconnu la moindre responsabilité ni exprimé le moindre regret : à croire que nous sommes dirigés par des incapables…


Selon le canevas politique bien rodé, en vigueur actuellement, tout événement à retentissement social fait l’objet d’une intervention présidentielle au cours de laquelle les responsabilités sont réparties selon un schéma un peu simpliste : il y a les victimes, les fauteurs de troubles et les responsables de l’ordre public, les deux dernières catégories désignées à la vindicte populaire. Nous avons eu ainsi la racaille, les cons, les roms, le fous, les juges, les enseignants, j’en passe et des meilleures.


Dans l’affaire du Mediator, la curiosité du système a l’air de résider dans trois éléments nouveaux : l’entreprise suspectée coupable s’attache, avec l’aide du pouvoir, à dégager sa responsabilité pour en payer le moins possible sur l’argument imbécile qu’elle n’était au courant de rien, les autorités politiques responsables sont hors de cause et les médecins commencent à apparaître en première ligne comme coupables d’une sorte d’abus de faiblesse : avoir cru aux discours des visiteurs médicaux, représentants de commerce des laboratoires, et n’avoir pas su repérer la dangerosité du produit malgré la promotion commerciale permanente...sans aller voir sur le site de la revue : "PRESCRIRE" est une faute profétionelle très GRAVE...car mortelle pour les pauvres victimes.Devant les premières réactions indignées du corps médical, le ministre Xavier Bertrand s’est dépêché d’assurer qu’il s’agissait d’un faux bruit et que l’on ne ferait pas participer les médecins à l’indemnisation de patients.
Il n’en reste pas moins que cette menace pose un problème de fond : dans quel système sommes-nous pour que le verrouillage de l’information par les laboratoires empêche les médecins de savoir qu’un produit est dangereux au prix d’une publicité mensongère dont nous payons le coût à travers le prix du médicament en cause ?
Devant tant de défaillances des systèmes publics d’autorisations, de contrôles, d’alarmes et de surveillances et devant les complicités inavouables qui les sous-tendent, il semble que nous en arrivions à la nécessité absolue de re-responsabiliser tous les acteurs et de les rendre indépendants des pressions insupportables qu’exercent sur eux les puissances d’argent. Si nous ne sommes pas capables d’organiser un dispositif transparent et indépendant, prenons exemple sur nos voisins qui semblent gérer autrement ce difficile problème d’indépendance et d’intégrité de l’information du corps médical. Ainsi, un jour, il y a bien longtemps, où j’évoquais, devant des collègues suisses, la difficulté pour les médecins français d’accéder à des informations sur les médicaments indépendamment des laboratoires pharmaceutiques, je fus accueilli fraîchement : on m’expliqua que les médecins suisses disposaient d’une information indépendante alors que la plupart des médecins français ignoraient encore que le Vidal,> bible du médicament, était une production publicitaire des laboratoires.
Et c’est là qu’apparaît l’un des plus grands vices de forme de notre système médical : avec la complicité des plus grands noms de la profession, les médecins ont été ramenés à la condition de prescripteurs fidélisés, à leur insu et sans aucun moyen d’y échapper. Combien de lecteurs savent-ils que les médecins sont surveillés, suivis dans leurs prescriptions dans le plus grand secret à partir des ordonnances qu’exécutent les pharmaciens et qui permettent de connaître l’impact des visiteurs médicaux auprès de chaque médecin, et d’orienter ainsi une politique commerciale personnalisée, faite de petits cadeaux, de voyages de “formation” et, si besoin, de pressions diverses sur les récalcitrants. En replaçant l’affaire du Médiator dans un tel contexte, on comprend aisément que le médecin de base soit livré sans défense à des commerciaux déguisés en savants. Changer tout cela représente plus qu’un fier coup de menton ou une belle déclaration à la télévision : au-delà des efforts louables de la revue Prescrire, il s’agit en fait de construire de toutes pièces un système d’évaluation et d’information sur les médicaments, en toute indépendance de l’emprise commerciale des laboratoires avec les moyens scientifiques et financiers correspondants. Vaste chantier digne des écuries d’Augias…
Pour terminer, on lira avec délectation, dans Le Monde du vendredi 13 mai 2011, ce titre sans appel : Le laboratoire Servier connaissait la nocivité du Médiator depuis au moins 1995. L’article en dit long sur les “dissimulations,… les fraudes…, la tromperie aggravée” dénoncées en particulier par le député Gérard Bapt qui préside la commission parlementaire sur le sujet.

Pierre CORNILLOT


Pierre Cornillot est médecin, professeur de médecine et biologiste hospitalier. Il a fondé la faculté de santé, médecine et biologie humaine de Bobigny, dont il a été le doyen de 1968 à 1987. Il a présidé l’université Paris-Nord (1987-1992), puis a créé et dirigé l’IUP Ville et Santé sur le campus de Bobigny (1993-2001). Il est président de l’association Santé internationale. Après s’être investit parallèlement dans des actions d’aide au développement des pays du Sud, il se préoccupe aujourd’hui de la rédaction d’ouvrages sur la santé et la formation médicale, le système de santé et la recherche.


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