Dans cet article publié par Mediapart on trouve un court paragraphe lénifiant proposant que les soignants suspendus puissent bénéficier d'une rupture conventionnelle, de quoi se donner bonne conscience à bon compte (cf. mon commentaire).
Certaines personnes qui luttent pour que soit enfin résolue la situation des soignants (et assimilés), suspendus sans salaire le 15 septembre 2021 pour une durée indéfinie, disent qu'il faut maintenant soit les réintégrer, soit les licencier. S'agit-il de deux propositions exclusives l'une de l'autre ? L'idée serait-elle, ou bien de tous les réintégrer, ou bien de tous les licencier ?
Après les avoir laissés sans travail ni salaire pendant plus d'un an, se séparer de tous les soignants qui ne sont pas vaccinés contre le covid ne serait-il pas un énorme scandale ? Dans un tel cas, les soignants libéraux concernés seraient donc radiés ?
Pour quel crime cela se produirait-il, de quoi parle-t-on ? A ceux qui ont lu mes autres billets, pardon pour les répétitions qui vont suivre ...
On parle d'un refus de vaccins contre le covid en phase expérimentale 3, qui présentent de nombreux effets indésirables, dont personne ne connaît les effets à long terme, et qui n'empêchent ni de contracter ni de transmettre le covid.
On parle d'une obligation vaccinale imposée sans nuances, incluant les CMPP qui accueillent pourtant en consultations ambulatoires des enfants et des adolescents scolarisés. Là, les suspensions ont gravement impacté les soins psychiques et le travail des équipes.
On parle d'une obligation vaccinale qui n'existe plus qu'en France. Ailleurs, soit elle n'a jamais existé, soit les gouvernements sont revenus en arrière et ont réintégré les soignants suspendus.
Très concrètement, quelles seraient les conséquences pour nous de licenciements ou de ruptures conventionnelles ? Après une carence d'au minimum deux mois et demi, l'allocation chômage touchée se monte à priori à 57 % du salaire brut. Reste à préciser ce qu'il en serait pour nous du fait de la carence de salaire.
Retrouver une activité professionnelle nous demanderait soit une expatriation si nous voulons rester soignants, soit une réorientation. Lorsqu'on a fait des études (parfois très longues) pour exercer une profession s'inscrivant dans le soin, qu'il soit somatique ou psychique, aller vers autre chose n'est pas facile voire devient quasiment impossible avec le temps.
Dans un tel cas de figure, qu'en serait-il pour moi ?
Retrouver du travail à un certain âge - ce que j'ai essayé sans succès - est un vœu pieux, et tenter d'autres modalités (installation en libéral en Allemagne puisque je suis frontalière, ou avec une reconversion vers du soin ne nécessitant pas d'être vaccinée contre le covid) me demanderait un important investissement psychique et financier et ne me permettrait de toute façon plus d'en vivre.
Si mon contrat de travail devait être arrêté par licenciement ou rupture conventionnelle, je me retrouverais à vivoter des allocations chômage, dépendante de la solidarité collective alors que je suis une professionnelle expérimentée, en bonne santé, et que je veux continuer à exercer mon métier. La chanson de Félix Leclerc Les 100 000 façons de tuer un homme donne une idée de ce que je ressentirais.
Dans ma situation, la période de chômage pourrait aller jusqu'à l'âge légal de la retraite. Mais je toucherais ensuite une retraite très amputée. En effet, travaillant dans le privé où elle est calculée sur les vingt-cinq meilleures années, j'effectuais avant ma suspension ces "meilleures années" de ma carrière professionnelle. Je comptais travailler au-delà de l'âge légal, par motivation pour mon métier et pour compenser un peu une activité à temps partiel durant une longue période puisque j'ai poursuivi des études et que je me suis par ailleurs occupée de mes enfants.
Si je n'étais pas réintégrée je serais donc sanctionnée financièrement à vie, en plus d'un arrêt prématuré de ma carrière. Une telle issue ajouterait un très grave préjudice à l'infamie de la situation de suspension. En exposant cela je ne cherche pas à apitoyer, je décris juste la réalité qui est la mienne, une parmi tant d'autres que vivent les milliers de personnes suspendues depuis le 15 septembre 2021.
Pour suspendre quelqu'un sans salaire pour une durée indéfinie, et plus encore pour le licencier ou le pousser dehors par rupture conventionnelle, il faut une raison impérieuse.
Sommes-nous dans ce cas ? Dans une configuration où son système de soins est extrêmement délabré, la France peut-elle se permettre de licencier des soignants simplement parce qu'ils ne sont pas vaccinés contre le covid ?
Ce qui est certain, c'est qu'il faut absolument que la situation soit enfin résolue. A mon sens la seule solution acceptable est la réintégration pour ceux qui la souhaitent, et une rupture conventionnelle pour ceux qui ne veulent plus être réintégrés. Et dans les deux cas, il ne serait pas incongru que nous soit versée une indemnisation ...
Quant au préjudice subi par les patients dont les soins se sont arrêtés du fait des suspensions ou des fermetures de cabinets libéraux, et à la dégradation supplémentaire du système de soins liée au départ d'un très grand nombre de soignants non vaccinés qui se sont déjà réorientés ou ont pris prématurément leur retraite et qu'on ne comptabilise donc plus, rien ne pourra les réparer.
Mais qui s'en préoccupe ?
Pourquoi n'y a-t-il pas plus de réactions face à ce qui est en cours ? Des réactions fortes, de médias, de syndicats, de tout un chacun ? Cela me laisse très perplexe sur les effets de ce qui a fait irruption il y a près de trois ans dans nos vies, sur ce qui est devenu acceptable et qui ne choque même plus.
Les personnes qui approuvent les suspensions des soignants avec des arguments fallacieux sont complices de l'aggravation du délitement du système de soins - somatiques et psychiques - qu'elles ont entrainée, et sont complices d'une maltraitance jamais vue auparavant vis à vis des personnes concernées, dont les droits fondamentaux (droit de disposer de son corps, droit d'exercer son métier et d'en vivre) ont disparu.
D'autres personnes sont simplement indifférentes ou ne veulent rien en savoir.
"Rester neutre face à l'injustice c'est choisir le camp de l'oppresseur" a dit Desmond Tutu, cité par le député Jean-Philippe Nilor en conclusion de son intervention à l'assemblé nationale le soir du 24 novembre où le vote de la réintégration des suspendus - qui allait se faire - a été empêché par le gouvernement et ses députés.