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Billet de blog 12 mai 2023

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"Réintégration des soignants", de quoi parle-t-on ?

Derrière la volonté affichée que la réintégration des soignants suspendus depuis 20 mois se passe le mieux possible dans leurs services ou leurs institutions, c'est la foire du n'importe quoi.

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Derrière la volonté affichée que la réintégration des soignants suspendus depuis 20 mois se passe le mieux possible dans leurs services ou leurs institutions, c'est la foire du n'importe quoi.

Lors de la discussion sur la loi d'abrogation de l'obligation vaccinale du 4 mai à l'assemblée nationale (début à 2:00:30), le ministre de la santé exprime sa mauvaise humeur et se crispe au fur et à mesure du vote qui lui ferme la possibilité de pouvoir suspendre à nouveau les soignants non vaccinés à tout moment s'il le jugeait nécessaire. Il insiste pour que le texte de loi ne soit pas voté ou même soit retiré, et dit par ailleurs clairement aux députés qu'il a prévu la réintégration des soignants pour le 15 mai
Le lendemain de l'entrée en vigueur d'un décret qui sera donc pris le ... dimanche 14. Plus de six semaines et un très long silence après l'annonce ministérielle du 30 mars suite aux conclusion de la HAS indiquant que la vaccination obligatoire covid n'est plus nécessaire.
Certains décrets sont donc bien plus longs et compliqués à concevoir et élaborer que d'autres.

Dans l'"INSTRUCTION N°DGOS/RH3/RH4/RH5/2023/63 du 02 mai 2023 relative aux modalités de réaffectation des agents à la suite de la levée de l’obligation vaccinale contre la COVID-19" (lien dans l'article), les modalités pensées pour la réintégration servent surtout les intérêt des employeurs, la procédure a été réfléchie de manière à leur permettre de s'organiser au mieux. 

"La levée de l’obligation vaccinale contre la Covid interviendra via un décret qui devrait être publié le 14 mai prochain. Elle entrera en vigueur le lendemain de la publication de ce décret". Comme on peut s'y attendre, cette formulation laisse la porte ouverte à toutes les interprétations.

Alors dans la réalité, que se passe-t-il pour nous ces jours-ci ?

Eh bien, en fonction des lieux et des employeurs, toute une palette de (non) réactions et de dispositions.

Certains réagissent immédiatement, contactent les personnes, les invitent à un entretien pour parler de l'organisation concrète de leur reprise. Ils ont effectivement réfléchi pour qu'elle se passe au mieux, demandé à leur personnel de faire bon accueil à ceux qui reviennent, pensé leur retour de façon concrète, par exemple avec une affectation au même endroit mais dans un service différent pour ne pas retravailler avec des collègues éventuellement mal disposés, ou un tuilage durant quelques semaines pour se remettre au mieux au travail après près de deux ans d'éviction. Cela, c'est le cas de figure idéal, exceptionnel dans les faits.

Car d'autres soignants, nombreux, les deux tiers environ, n'ont toujours encore aucune nouvelle de leur employeur, ce qui les laisse dans l'expectative et pour certains dans un état d'angoisse ou de colère. Doivent-ils réagir, prendre les devants ?
En effet ceux qui reçoivent des lettres annonçant leur reprise sont parfois menacés de sanctions s'ils ne se présentent pas le 15 mai à leur poste de travail.
Alors que beaucoup d'entre nous hésitaient encore sur leur désir et leur capacité à reprendre, une telle invite est évidemment fortement dissuasive.

Enfin, il y a toute la palette des intermédiaires, à laquelle appartient ma direction. Sans nouvelles quelques jours après la parution des "instructions" et dix jours avant la date théorique de la réintégration, je l'appelle. Elle n'a rien reçu d'officiel, me dit-elle. Alors je lui envoie le document, en lui demandant des nouvelles rapidement pour pouvoir m'organiser. Près d'une semaine plus tard, quatre jours avant le 15, le courrier que ma collègue et moi-même recevons par mail annonce un retour au CMPP "dès l'entrée en vigueur du décret permettant la réintégration des personnels non vaccinés".

Après 20 mois, on claque donc des doigts, d'une façon brouillonne et à géométrie variable, et les soignants devraient être à leur poste le jour-dit.

Tout cela peut paraître anodin vu de l'extérieur, tâtonnements et ajustements inévitables et de peu d'importance au regard du fait que les choses reviennent enfin à la normale.
Mais après 20 mois d'exclusion et d'une maltraitance inouïe, il faut avoir gardé suffisamment de sang-froid pour le supporter. Et, surtout, il faut être sûr de vouloir retourner à son travail. Les hésitants en seront pour beaucoup d'entre eux dissuadés. Beaucoup vont de toute façon partir parce qu'ils ne se voient pas retourner dans le système de soins dont ils ont été brutalement exclus. Certains s'apprêtent à prendre des décisions allant à l'encontre de leur intérêt, se coupant de tout recours à l'aide sociale. D'autres espèrent encore pouvoir quitter dans les moins mauvaises conditions possibles, mais la possibilité de rupture conventionnelle mentionnée dans l'"instruction" sera-t-elle suivie par les employeurs ?

Une "évaluation du dispositif" est annoncée. Il ne faudra pas s'étonner si assez peu de soignants retournent effectivement à leur poste, ce qui permettra au final de confirmer les annonces répétées d'un nombre extrêmement réduit de personnes concernées. Et la boucle sera bouclée.

En fait, derrière une réintégration officiellement annoncée comme réfléchie au mieux, ce qui est en train de se passer dans la réalité entrainera la poursuite de la dégradation du système de soins puisque le privant d'encore plus de soignants que les milliers qui l'ont déjà quitté depuis le 15 septembre 2021. Pour certains médecins cela sera sûrement une bonne nouvelle puisqu'ils sont convaincus que ces soignants ne "croient pas en la science". Mais pour les patients, ce qui est en cours depuis l'été 2021 en France est très grave.

Je vous laisse également apprécier le paragraphe suivant (2.3) concernant les libéraux : "La levée de l’obligation ne valant qu’à partir de son entrée en vigueur, les professionnels suspendus qui auraient continué à exercer pourront ainsi toujours être poursuivis pour avoir exercé illégalement leur activité au titre de la période pendant laquelle l’obligation vaccinale était en vigueur". Ces professionnels s'il y en a ont juste continué à soigner des patients qui avaient besoin d'eux.

Que se passe-t-il également ces jours-ci ?

Eh bien certains d'entre nous sont contactés par des médias pour témoigner de leur vécu de la réintégration. Après vingt mois de silence, nous serions donc subitement susceptibles de faire de l'audience ?
Mais rassurez-vous, rien de tel chez Médiapart.

Que se passe-t-il enfin ?

Il n'est évidemment pas question de réparation (cf 2.2.3 "Effets de la suspension sur la carrière du salarié suspendu"), encore moins d'excuses.

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