Christine LETZ

Abonné·e de Mediapart

78 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 décembre 2024

Christine LETZ

Abonné·e de Mediapart

La crise covid est-elle derrière nous ?

Alors que les premiers ministres se succèdent à un rythme de plus en plus rapide et que le budget du dernier gouvernement prévoyait la suppression de 4000 postes d'enseignants dans le primaire, que deviennent les enfants depuis le covid ?

Christine LETZ

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alors que les premiers ministres se succèdent à un rythme de plus en plus rapide et que le budget du dernier gouvernement prévoyait la suppression de 4000 postes d'enseignants dans le primaire, que deviennent les enfants depuis le covid ?

Avant le covid, dans ma pratique de psychomotricienne en CMPP j'accompagnais des enfants présentant des difficultés variées : perturbations dans leur développement, pour certains d'entre eux contact compliqué à établir et à supporter, empêchements dans leurs apprentissages. Certes, ces enfants souffraient de difficultés de structuration corporelle et psychique parfois graves mais ils parlaient, au moins un peu. Sauf exception, ils étaient entrés dans le langage et avaient également tous acquis la maîtrise de leurs sphincters.

Avant le covid, le dernier enfant hors langage que j'avais accompagné durant plusieurs années est entré progressivement en contact et a commencé à parler. Même si son rapport au monde reste particulier, ses angoisses massives ont disparu et il suit un cursus scolaire normal. 

Début 2020, le covid est arrivé. Nous avons subi cette épidémie inconnue et qui a entrainé des mesures sanitaires draconiennes, pour certaines d'entre elles totalement infondées sur le plan médical. La peur a été installée, alimentée et entretenue par la suite. Même lorsque la situation a commencé à s'améliorer, les annonces catastrophistes se sont poursuivies. 

Au premier confinement général avec limitations absurdes de sorties en a succédé pour certains d'entre nous un autre, puis des couvre-feux. 

Les enfants ont été enfermés, empêchés de bouger, privés d'école, entourés d'adultes masqués puis masqués eux-mêmes, privés de contacts avec certains de leurs proches. 

Le 15 septembre 2021, il a été décrété que des milliers de professionnels de la santé et du médico-social étaient dangereux car ils avaient refusé de se soumettre à l'obligation vaccinale covid instaurée pour eux quelques temps auparavant, et qu'ils devaient de ce fait être écartés de leurs patients. 

Cela a été mon cas. Arrêt des suivis, rupture brutales des liens thérapeutiques. 

Fin 2022 j'ai pu retourner durant quelques semaines au travail suite à un covid. Comme il avait été décidé par ma direction que du fait de la nouvelle suspension à venir dans un délai proche cela ne valait pas la peine que j'engage des suivis, j'ai essentiellement rencontré des enfants en bilan ou en observation. J'ai alors constaté que ces enfants présentaient pour beaucoup d'entre eux une importante aggravation et une modification de leurs difficultés. Ceci sans pouvoir commencer à les accompagner puisque j'allais devoir repartir.

À ma "réintégration" en mai 2023 après 20 mois de suspension, cette impression s'est confirmée. Depuis l'an dernier je reçois beaucoup d'enfants nés fin 2019-début 2020 c'est-à-dire qui ont vécu les débuts de leur vie à l'acmé de la "crise covid". 

Je vois des enfants totalement pris dans le virtuel, qui ne jouent pas, des enfants qui n'imaginent pas mais sont happés par ce qu'ils voient sur les écrans, des enfants qui sont les personnages des écrans. 

Alors qu'avant le covid je ne rencontrais que de temps à autre un enfant sans ou avec peu de langage, il y a six mois j'en accompagnais une petite dizaine qui ne se sont pas approprié le langage, qui jargonnent, baragouinent ou chantonnent, au mieux émettent parfois l'un ou l'autre mot. Quels effets auront eu pour certains une toute petite enfance entourés d'adultes masqués ?

Je travaille donc maintenant avec énormément d'enfants qui présentent des troubles d'apparence autistiques, troubles qui s'expriment pour beaucoup d'entre eux selon des modalités différentes d'avant.

Enfin je reçois actuellement deux enfants qui n'ont pas encore acquis la propreté. 

Le temps que beaucoup de ces enfants ont passé devant les écrans est de toute évidence énorme. Lorsque je demande à ceux qui parlent un peu avec quoi ils jouent à la maison, la réponse la plus fréquente est "la télé". En variante il y a "la switch" ou "la play" Et ces enfants oublient de mentionner le téléphone de leurs parents sur lequel beaucoup se précipitent dès qu'ils le peuvent. 

L'augmentation de l'exposition des enfants aux écrans n'est probablement qu'un des effets de ce qu'a enduré la population durant cette période, il faudrait enquêter et approfondir pour avoir une idée plus précise du vécu de cette crise et de ses conséquences. 

Car que s'est-il passé ? 

Quel abandon, quelles angoisses ont été ressentis par les parents de ces enfants ?

Que vont-ils devenir, ces "enfants covid" comme j'aurais envie de les nommer ? 

Plus généralement, qu'avons-nous fait (ou plutôt pas fait), nous adultes, pour qu'une telle catastrophe se produise ? À quoi avons-nous réfléchi pour protéger nos enfants durant cette période si tumultueuse ? À rien. Nous avons suivi les injonctions, sans penser, sans nous questionner, pétrifiés et passifs. 

Les enfants fragiles psychiquement ont été sacrifiés. Et sur les autres, plus solides, quels effets aura eu un tel vécu, quelles traces laissera-t-il ?

Et je ne parle pas des plus grands, des adolescents et des étudiants qui ont vu leur scolarité et leurs études bouleversées, je laisse à ceux qui les côtoient le soin et la responsabilité de le faire. 

Que s'est-il passé depuis ? Aucune réflexion, aucune leçon n'ont été tirées pour la prochaine fois, qui ne manquera pas d'arriver. 

Rien. L'oubli. Le trait tiré. C'est derrière nous. 

En fait, non.

Car pour les enfants dont je parle, leur vie est très gravement impactée par ce qu'ils ont traversé et subi.

Quel sera leur avenir ? Comment l'école parviendra-t-elle à les accompagner alors qu'aucune adaptation n'a été pensée, bien au contraire puisque le nombre de postes continue à dépendre du nombre d'élèves ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.