Arrivée à mi-parcours
de ma réintégration provisoire
je vis un bizarre état de flottement et d'irréalité
avec en perspective ma prochaine suspension
mais encore quelque part dans la tête
la toute petite lueur de l'espoir en soutien.
Dans la poursuite de l'interminable cauchemar
qui a démarré le 23 août 2021
avec l'arrivée du mail du CMPP
annonçant la suspension au 15 septembre
à défaut d'une première dose de vaccin covid,
c'est une expérience très étrange que cette "réintégration"
pour moins de quatre mois
parce que suite à un covid
je "satisfais à l'obligation vaccinale"
selon la médecine du travail ...
un tel degré d'absurdité dépasse l'entendement.
Je reçois des enfants en bilan,
puis je parle à mes collègues
en réunions pluridisciplinaires de synthèse
de ce que ces enfants ont exprimé lors de cette rencontre
de leurs difficultés, de leur manière d'habiter leur corps,
de leur rapport au monde, aux objets, à autrui.
Nous réfléchissons ensemble nous argumentons
nous élaborons une proposition de soins
des thérapies psychomotrices sont indiquées
mais elles ne pourront être démarrées
alors que pour certains de ces enfants
elles sont vraiment très urgentes
elles ne peuvent pas commencer
puisque le 17 mars je ne serai plus là
ces enfants (et leurs parents) attendaient ce bilan
depuis de nombreux mois
ils sont ensuite laissés sans soins psychomoteurs
alors que certains d'entre eux
devraient être suivis depuis un an déjà.
Je parle je déjeune avec mes collègues
des conversations se déroulent autour de moi
auxquelles j'essaie de me m'intéresser
à propos du travail, de l'institution,
sur des sujets plus personnels aussi
comme si tout était normal
alors que rien ne l'est,
normal.
On me demande gentiment comment je vais
mais à une exception près
personne ne semble se sentir concerné
par ce qui nous arrive à nous "suspendues"
et aussi,
personne ne semble scandalisé
des effets de cette maltraitance
sur les soins et sur le travail.
Alors j'évoque ce qui est en cours
directement avec certaines personnes
mais le plus souvent par petites touches
au sujet du travail impacté
aucun écho, aucune réaction.
un empêchement des soins est à l’œuvre
au CMPP rien n'en est dit
rien ne tente d'y faire obstacle
aucune parole aucun acte
une telle passivité m'effare.
Le jeune patient revu dernièrement a dit
que cela faisait "au moins deux ou trois ans"
qu'on ne s'était pas vus
il m'a dit aussi qu'il avait eu peur, peur que je sois malade
peur d'autre chose ?
Je l'avais appelé très régulièrement jusqu'au mois de juin
la psychologue qui le suit avait ensuite parlé avec lui de mon absence
mais cela n'a visiblement rien changé à sa peur.
Jusqu'au 8 septembre 2021, date de sa dernière séance,
cet enfant avait pu exprimer dans sa thérapie psychomotrice
les profondes angoisses corporelles que suscitait pour lui le covid.
Seize mois de rupture de suivi au vu de l'âge qu'a ce patient
et des difficultés qui sont les siennes
c'est une durée énorme
c'est un préjudice irréparable.