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Billet de blog 21 janvier 2023

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Suspension, cauchemar et angoisse

Cauchemar : "rêve pénible dont l'élément dominant est l'angoisse" ‌ Angoisse : "malaise psychique et physique, né du sentiment de l'imminence d'un danger, caractérisé par une crainte diffuse pouvant aller jusqu'à la panique" (Dictionnaire Le Robert)

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Il peut arriver à tout un chacun de faire un cauchemar quand il dort.
Moi je retombe dans le cauchemar chaque jour
le matin au réveil parfois plus tard dans la journée
quand l'angoisse me saisit.

          L'angoisse, avant ma suspension c'est

le choc du discours présidentiel du 12 juillet 2021
les soignants et autres professionnels au contact de personnes fragiles contraints de se faire vacciner contre le covid "sous peine de sanction"
la vaccination "pas tout de suite obligatoire pour tout le monde"
l'accès à de nombreux lieux soumis à un "pass sanitaire"

le mail du CMPP le 23 août
une semaine avant la reprise
annonçant de manière technique
l'obligation vaccinale covid au CMPP
texte de loi protocole modalités
suspension au 15 septembre
à défaut d'une première dose

la demande de la directrice
quelques jours plus tard au téléphone
de mon avis au sujet de mon remplacement
encore en congés pas encore suspendue
mais déjà la suite est réfléchie

les mots licenciement et rupture conventionnelle
prononcés par l'autre directrice
le jour de la rentrée.

          L'angoisse, depuis le 15 septembre 2021 c'est

chaque matin au réveil pendant de longs mois
le malaise profond la sensation d'effroi
lorsque je reprends conscience de ma situation
lorsque d'un coup je réalise que je ne vais
pas me lever pour ma journée de travail
pas aller au CMPP
pas recevoir mes patients
pas retrouver mes collègues
pas toucher mon salaire à la fin du mois

que rien de tout cela ne va se passer
toutes ces évidences d'un coup disparues
sol qui vacille vertige trou

Contracter le covid a calmé l'angoisse pour quelques jours
quel paradoxe ...
depuis ma réintégration provisoire elle est à nouveau là
elle se manifeste un peu différemment
elle affecte davantage le corps.

          L'angoisse, depuis ma suspension c'est

avoir perdu le droit d'exercer ma profession et d'en vivre
pour avoir refusé un vaccin qui n'empêche pas de transmettre la maladie
pour avoir fait un choix dont je pense qu'il préserve ma santé

constater que mon questionnement inlassable
sur la justification d'une obligation vaccinale covid
dans une structure telle qu'un CMPP
qui s'occupe de soins psychiques
et n'accueille pas une population fragile
mais, en consultations ambulatoires, des enfants et des adolescents scolarisés
reste lettre morte

alors que 70% du temps de psychomotricité
a disparu au CMPP du fait des suspensions,
avec des dizaines d'enfants laissés sur le carreau
des ruptures de soins, des bilans non assurés
réaliser que là-bas personne
ne va bouger protester agir fortement collectivement
espérer une vraie mobilisation et à une exception près
rencontrer indifférence passivité inaction
au mieux un soutien moral.

se retrouver face au vide au rien aux interrogations sans réponses

ne pas savoir combien de temps va durer cette situation kafkaïenne.

          L'angoisse depuis plus de seize mois c'est

s'entendre dire, toujours,
qu'il faut attendre
que ça va venir
il faut attendre le 15 novembre
il faut attendre que la situation sanitaire s'améliore
il faut attendre les élections présidentielles législatives
il faut attendre la levée des mesures sanitaires
il faut attendre des avis qui ne viennent pas

multiplier démarches courriers mails appels téléphoniques en vain
attendre des réponses et ne jamais les recevoir
développer des arguments qui même lorsqu'ils rencontrent un écho se révèlent inutiles
de manière répétée espérer croire que quelque chose va se produire
puis désespérer

s'entendre dire
que oui on comprend mais qu'on ne peut rien faire
qu'il faut s'adresser à quelqu'un d'autre
constater à quel point 'on' ne comprend rien 'on' ne réalise pas 'on' s'en fout

avoir la sensation d'être oubliée
ah bon tu ne travailles toujours pas ?
d'être dans un monde parallèle
de parler une langue étrangère
de ne plus faire partie de la vie.

          L'angoisse c'est également

en mai et à nouveau fin novembre
s'entendre dire que mes deux certificats médicaux
de contre-indication à la vaccination
ne sont pas valables
parce qu'ils n'entrent pas dans le cadre règlementaire
d'un formulaire cerfa non réactualisé depuis août 2021
refus qui invalide l'avis et l'expertise de deux médecins

se demander au bout d'un an sans cotisations
si mes droits à l'assurance maladie restent ouverts
constater à ma réintégration provisoire
que ceux à indemnités journalières ont disparu.

          L'angoisse c'est encore

en juin s'entendre dire par la direction
qu'il y aurait une "solution financière"
la rupture conventionnelle
proposition qui part d'une bonne intention
mais signifierait l'arrêt définitif et prématuré de ma carrière

à la rentrée s'entendre dire par la même personne
qu'il y aurait aussi la solution
via la médecine du travail
d'un "licenciement pour inaptitude" ...

craindre de finir par effectivement
être licenciée ou au mieux 'rupturée'
sans aucune raison valable juste comme ça
malgré les deux certificats médicaux

craindre d'être jetée définitivement
parce que ça serait "la loi"
(des centaines de fois j'ai entendu ça "c'est la loi")
une loi qui permettrait de virer
ceux qui n'ont pas obéi pas plié
craindre de finir par perdre mon travail
le poste que j'occupe depuis 26 ans

réaliser que si cela devait arriver
je ne verrais plus aucun petit patient
mon engagement mon expérience réduits à néant
et réaliser aussi qu'à l'âge que j'ai
je ne retravaillerais très probablement plus jamais
réfléchir rêver malgré tout à d'autres modalités de travail
puis prendre conscience qu'elles ne sont pas réalistes

constater que la sanction financière serait à vie
puisqu'au chômage succèderait une retraite très amputée
davantage encore sûrement si la réforme est votée.

          L'angoisse c'est

s'apercevoir que chaque personne à la place où elle est
applique les directives et les protocoles
applique les mesures absurdes et maltraitantes
à la lettre voire en rajoute
sans scrupule sans état d'âme sans malveillance
souvent sans même se rendre compte de ce qu'elle fait

suivre l'évolution dans les autres pays
constater que ceux qui avaient instauré obligation vaccinale et suspensions
sont revenus en arrière l'un après l'autre

sauf la France

entendre des ministres proférer des contre-vérités des énormités
les raisons de notre maintien au ban de la société 
restent sanitaires elles sont même éthiques disent-ils
sans quasiment que cela suscite de réactions

être soumise à l'absurde l'arbitraire l'implacable
à une autorité bornée et butée

réaliser que les droits fondamentaux peuvent disparaitre du jour au lendemain
sans que cela émeuve grand monde.

          Parfois

la révolte et la colère arrivent
à prendre le pas sur l'angoisse,
ça l'allège un peu ça la met à distance
durant un moment.

Le cauchemar lui ne s'arrête pas.

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