Monsieur le Président du Sénat,
Cette sollicitation vous est destinée en première intention, et elle sera également librement accessible sur mon blog publié sur Médiapart, témoignage de mon vécu de psychomotricienne en Centre Médico-Psycho-Pédagogique suspendue le 15 septembre 2021 pour non vaccination covid.
Le 5 août 2021, une obligation vaccinale contre le covid pour les soignants (et assimilés) a été votée. À défaut d'être à jour de leur schéma vaccinal, des milliers de professionnels (incluant des personnes qui n'étaient pas au contact de patients) ont été suspendus du jour au lendemain. Interdits d'exercer leur profession, ils se sont retrouvés sans salaire ni aucune aide sociale, et cela pour une durée indéfinie. On ne peut que constater qu'une telle mesure - appliquée sans nuance ni adaptation d'aucune sorte - n'avait jamais existé auparavant.
Les chiffres de "suspendus" annoncés ensuite ne correspondent pas à la réalité puisqu'ils ne prennent pas en compte les démissions, demandes de disponibilité, départs prématurés à la retraite, arrêt des études etc. Pour chaque praticien libéral suspendu, des dizaines ou parfois même des milliers de patients se sont retrouvés en rupture de soins. Les services hospitaliers et les structures du médico-social ont été - plus ou moins gravement - désorganisés et impactés, des suivis de patients se sont interrompus.
La raison invoquée pour imposer l'obligation vaccinale et les suspensions était la "protection de populations vulnérables". Or beaucoup de pays n'ont pas appliqué d'obligation vaccinale covid à leurs soignants, et les quelques-uns qui l'avaient fait sont revenus en arrière depuis un moment. La France quant à elle l'a maintenue, de même que les suspensions.
Il était grand temps qu'une issue soit trouvée à cette situation.
Le 30 mars 2023, la HAS a enfin rendu un avis établissant que l'obligation vaccinale covid n'est dorénavant plus nécessaire, ce qui a ouvert la voie à la réintégration des soignants non vaccinés.
Auditionnée à la Commission des affaires sociales du Sénat le 5 avril, la présidente du collège de la HAS Dominique Le Guludec a apporté des précisions à ce sujet :"Il y a des critères pour imposer une vaccination à des personnes en fonction de leur métier. Ces critères sont clairs, c'est qu'une maladie soit sévère, grave, qu'il y ait un risque particulier pour eux, ou un risque particulier pour les personnes dont ils ont la charge, et puis évidemment qu'il y ait des vaccins sûrs et efficaces"
"Il faut être très prudent dans les obligations vaccinales et toutes les suites qu'elles entraînent".
Le 4 mai 2023, l'Assemblée nationale a voté en première lecture une loi d'abrogation de l'obligation vaccinale covid, puis elle l'a déposée au Sénat.
Le 14 mai, le gouvernement a pris un décret (précédé d'une "Instruction" destinée aux directeurs d'ARS et aux préfets) permettant la réintégration des soignants non vaccinés. Ce décret est entré en vigueur dès le lendemain.
Les mesures de suspension exercées depuis 20 mois ont entraîné des dégâts considérables et dont les conséquences seront durables, tant sur les personnes qui les ont subies que sur les soins.
Pour nous le préjudice financier est énorme, avec la perte des salaires et des cotisations retraite (devrions-nous être sanctionnés à vie ?) en particulier. Quant au préjudice moral, il n'est pas quantifiable. Certains d'entre nous y ont laissé la vie.
En ce qui concerne les soins, des milliers de soignants "suspendus" ont d'ores et déjà quitté le système de santé ou renoncé à y entrer, et beaucoup n'y retourneront pas. Cette perte est très grave car elle amplifie une situation déjà extrêmement tendue, en particulier à l'hôpital mais aussi dans des structures telles que les EHPAD.
N'est-il pas urgent de préserver au mieux ce qui peut encore l'être ?
Le gouvernement se contente d'un décret qui ne fait que "suspendre" l'obligation vaccinale, ce qui lui permet de revenir en arrière à tout moment.
Or cette obligation vaccinale a été instaurée par un vote, il est donc légitime qu'elle soit annulée également de manière législative et non par un simple décret du gouvernement.
Pour que la réintégration des soignants se passe au mieux, il est fondamental qu'après l'assemblée nationale, la loi d'abrogation de l'obligation vaccinale covid soit votée au Sénat, de manière à ce qu'elle puisse être promulguée. En effet, tant qu'ils se sentiront sur la sellette, avec la menace d'une possible nouvelle suspension par un autre décret, les soignants réintégrés ne pourront pas travailler dans de bonnes conditions et remplir au mieux leurs missions de soin.
Pour illustrer cela, je donnerai l'exemple du CMPP où j'exerce : je reçois en consultations ambulatoires des enfants en difficultés majeures de développement. Ces enfants sont scolarisés, ils ne présentent aucune vulnérabilité somatique mais une grande fragilité psychique, avec des troubles autistiques pour certains. Leur accompagnement s'inscrit dans la durée (plusieurs années parfois) et nécessite que leurs thérapeutes se sentent en sécurité pour pouvoir leur accorder toute la disponibilité et l'écoute dont ils ont besoin. Du fait des suspensions de plusieurs professionnelles, des dizaines de suivis ont été brutalement interrompus le 15 septembre 2021, le travail des équipes pluridisciplinaires gravement désorganisé durant plus d'un an et demi, enfin de très nombreux enfants sont actuellement en attente de bilans psychomoteurs et de thérapies psychomotrices. La carence de ces soins psychiques induite en pleine crise sanitaire est désastreuse, et ses conséquences seront durables.
Le travail doit pouvoir enfin reprendre de manière pérenne et stable, la bonne qualité des soins en dépend, et c'est le vote de l'abrogation de l'obligation vaccinale qui le permettra.
Espérant que vous serez sensible à ces divers arguments et restant à votre disposition pour toute précision, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président du Sénat, l'expression de ma considération respectueuse.
Christine Letz
Psychomotricienne en CMPP
réintégrée aujourd'hui 22 mai 2023,
après 20 mois et 1 semaine (soit 613 jours) de suspension.