Il y a quelque temps, le ministre de la Santé a déclaré que réintégrer les soignants poserait un problème d'"éthique professionnelle". Il explicite cela en amenant une fois de plus l'argument de la "protection des plus fragiles" et en évoquant la réticence supposée des vaccinés vis à vis du retour de leurs collègues non vaccinés. En réalité, de quoi s'agit-il dans cet acharnement à prolonger une mise au ban de la société de milliers de personnes parce qu'elles ont fait le choix de ne pas se faire vacciner contre le covid ?
Le 13 juillet 2022, le professeur Emmanuel Hirsch (directeur de l'espace de réflexion éthique de la région île de France et professeur d'éthique médicale à la faculté de médecine de l'Université Paris-Saclay) a argumenté en faveur de notre réintégration.
Dans cet article, E. Hirsch questionne les raisons mises en avant pour imposer l'obligation vaccinale et souligne qu'au vu de l'évolution des connaissances sur l'efficacité du vaccin contre le covid, le maintien des suspensions n'est plus justifié.
Il revient sur une résolution du Conseil de l'Europe datant de début 2021.
Dans un remarquable document adopté le 27 janvier 2021, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : « […] Demande [donc] instamment aux États membres et à l’Union européenne : de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. » (« Vaccins contre la Covid-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques », Conseil de l’Europe, Résolution 2 361 (2021), 7.3.1, 7.3.2, 27 janvier 2021). Qu’a-t-on fait de cette préconisation ?
Oui, qu'a-t-il été fait de ces demandes de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, formulées dans le cadre de "considérations éthiques" ?
Ce qui était préconisé là a été balayé par les (quelques) pays qui ont instauré une obligation vaccinale contre le covid, estimant sans doute que des considérations sanitaires primaient sur l'éthique. Le fait que seuls certains pays aient appliqué une telle obligation devrait en soi déjà poser question. Entre-temps ces pays sont revenus en arrière, en prenant en compte l'évolution de l'épidémie et des connaissances sur l'effet des vaccins en terme de protection d'autrui.
Seule la France persiste, reste arc-boutée sur sa position, et continue à appliquer des mesures de privation de droits jamais vues, avec des suspensions de professionnels sans salaire et à durée indéfinie, au détriment des soins lorsque ce sont des soignants. Tout en n'ayant pas rendu le rappel vaccinal obligatoire.
Alors cela pose de toute évidence d'autres questions que celle de la "protection des plus fragiles" ou de réticences de vaccinés.
Un second écrit, billet publié dans le journal Marianne le 18 novembre 2022 aborde le sujet sous l'angle juridique.
Nicolas Leblond (maître de conférence de droit privé, doyen de la Faculté de droit et d'administration publique, Université Polytechnique Hauts-de-France) montre que le refus de réintégrer n'est plus au service de la santé. Il évoque l'avis de l'Académie de Médecine datant du 19 juillet (juste avant le verdict de la Haute Autorité de Santé maintenant l'obligation vaccinale), qui affirme que "réintégrer les soignants non-vaccinés serait une faute". N. Leblond pointe le "rôle politique" de la loi et questionne la "volonté" voire le "projet" qu'exprime ce refus. Pour justifier le maintien des suspensions, des arguments moraux (les soignants refusant de se faire vacciner ne croiraient pas en la science) sont mis en avant, déplaçant les soins du champ de l'expérience et de la compétence vers celui des valeurs. La "faute" serait là non plus vis à vis des autres, du groupe, mais d'une absence de "foi" en la science, la science n'étant alors plus constituée de connaissances mais devenant une croyance et glissant du côté du scientisme.
"Il apparaît alors qu’en refusant encore aux personnels non-vaccinés le droit d’exercer, la loi sert une volonté et devient l’instrument d’une morale dont le non-respect doit déboucher sur l’exclusion : les purs ont le droit pour eux et les impurs doivent être exclus. Le refus de réintégrer les personnels non-vaccinés trahit ainsi le développement d’une conception scientiste et puritaine de notre société et donc, de notre droit."
N. Leblond pointe la régression du droit que cette évolution indique.
Un autre texte datant du 15 janvier 2023, écrit par Barbara Houbre (psychologue, psychanalyste, maitresse de conférence en psychologie clinique et psychologie de la santé à l'Université de Lorraine) reprend ces arguments sous un angle différent. B. Houbre questionne certains aspects liés à la vaccination elle-même. Elle souligne le sentiment de toute-puissance dont certains semblent saisis, faisant fi du recul du temps nécessaire pour connaître les effets à long terme des vaccins contre le covid. Ainsi, dans leurs modalités d'évaluation la dimension temporelle a disparu. Elle questionne également le fait qu'il ait pu être affirmé que la vaccination ne peut pas être mise en cause. Elle souligne que "la science ne relève pas de l'idéologie" et "ne peut pas reposer sur la foi", car sinon elle bascule du côté du scientisme, une science d'où le doute a disparu et qui se place du côté de la vérité.
B. Houbre qualifie le refus de réintégrer de "décision politique". Elle analyse ce qui est nommé "éthique" par le ministre de la santé et le place elle aussi du côté de la morale, en différenciant les deux notions. Il n'est en effet pas question d'"éthique" puisque la "réflexion du sujet sur son action" propre à l'éthique a disparu. La position prise relèverait donc de la morale, voire du dogme. B. Houbre va même plus loin, en pointant que comme la morale implique que l'"homme puisse se sentir libre de son choix", "l'attitude du gouvernement évoque plutôt celle du parent prêt à punir l'enfant indocile".
S'appuyer sur les connaissances scientifiques a permis aux autres pays de revenir en arrière sur des mesures qui n'ont plus lieu d'être et qui par ailleurs contreviennent à l'éthique.
Dans cette affaire de suspensions, la France quant à elle continue à tenir une autre position, en prétendant qu'il s'agirait d'éthique alors qu'il s'agit d'une position politique, une politique de coercition et de sanction appliquée scrupuleusement à tous les échelons, qui bafoue les droits fondamentaux, dans l'indifférence générale. Indifférence de la population, des syndicats, des médias, des parlementaires. En dehors de quelques exceptions, qui dénoncent, luttent, et ne parviennent à rien.
Alors il y a de quoi s'inquiéter.