"Il était une fois un pays où une maladie inconnue et une grande peur provoquèrent subitement un énorme chambardement et des mesures allant à l'encontre du bien-être et de la santé de ses enfants. Petits et grands, ils furent enfermés, éloignés de leurs copains, maintenus loin de leurs grands-parents, mis en garde, masqués. Il fallait se laver les mains, parfois leur maman ou leur papa nettoyait ce qu'il avait acheté aux courses. Quand ils sortaient, ils marchaient juste un petit peu dans leur quartier. Fini le parc, la forêt, les champs.
Heureusement cette maladie perdit un peu de sa vigueur et de sa férocité, alors les enfants purent à nouveau aller à l'école, au parc, jouer avec les autres. Mais rien n'était comme avant.
Certains enfants plus fragiles et plus perdus que les autres rencontraient auparavant chaque semaine au CMPP la dame qu'on appelle une psychomotricienne. Ils la retrouvèrent en même temps qu'ils retournèrent à l'école. Pendant le grand enfermement sans école et sans CMPP, la dame leur avait téléphoné à l'heure de leur séance, c'était un peu bizarre mais c'était bien quand même. Parfois ils attendaient l'appel et décrochaient eux-même le téléphone.
Longtemps, les enfants de ce pays continuèrent à devoir faire attention, se laver les mains, porter un masque, même en courant dans la cour de récréation, ne pas s'approcher des autres.
Plus tard, subitement, les enfants plus fragiles n'allèrent plus chaque semaine au CMPP rencontrer la psychomotricienne, elle disparut. Le travail des jeux dans la grande salle s'arrêta d'un coup. Eux et leurs parents ne comprenaient rien, alors pour ne pas qu'ils soient trop inquiets elle continua à leur parler grâce à cet outil magique appelé téléphone. Mais certains enfants ne pouvaient pas parler dans ce téléphone, d'autres demandaient à la dame pourquoi elle n'était plus au CMPP.
Longtemps, les enfants de ce pays continuèrent à ne pas voir une partie du visage de leur maîtresse, à l'entendre sans voir sa bouche lorsqu'elle leur parlait. Parfois ils devaient rester à la maison parce que la maladie avait atteint l'un des leurs. D'autres fois ils devaient aller dans la petite cabane et on leur mettait un truc dans le nez ou dans la bouche.
Quand même, petit à petit, la vie reprit un cours plus tranquille, les parents des enfants eurent moins peur et les rencontres avec les copains et la famille recommencèrent.
Mais, dans ce pays, les enfants fragiles qui avaient perdu leur psychomotricienne ne la retrouvèrent pas.
Beaucoup d'autres enfants furent très effrayés par ce qu'ils avaient vécu, très perturbés par tous ces bouleversements. Ils n'avaient pas joué et couru dehors, certains avaient eu très peur de la peur de leurs parents, d'autres avaient beaucoup fixé leur esprit sur les écrans. Ils étaient très déconnectés de ce qui les entourait, ne jouaient pas, ne parlaient pas, s'éparpillaient et tourbillonnaient. Alors leurs parents, leur maîtresse, leur docteur, s'inquiétèrent. Ils vinrent dans une maison où on écoute et on soigne et qui s'appelle le CMPP. Là, on dit à leurs parents qu'un travail avec une psychomotricienne pourrait grandement les aider, mais qu'il n'était pas possible pour l'instant et qu'il fallait attendre. Lorsque la psychomotricienne fut de retour pour quelques mois parce qu'elle avait eu la chance de rencontrer la maladie, ces enfants firent sa connaissance. Mais lorsqu'ils revenaient en salle d'attente après cette rencontre, la psychomotricienne disait à leurs parents qu'il fallait encore attendre.
Maintenant la maladie n'est plus bien méchante et ressemble comme une sœur à une autre bien connue, mais ces enfants continuent à attendre. Et à tourbillonner, à ne rien comprendre à ce qui se passe autour d'eux, à être perdus et à avoir peur."
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"La jeunesse va mal et la pédopsychiatrie est en déshérence, constate la Cour des comptes" : ainsi s'intitule cette "note de veille" de C. Coq-Chodorge que je vous invite à lire, ainsi que mes commentaires. Le sous-titre "Les magistrats financiers publient un rapport cinglant sur la pédopsychiatrie. Un hôpital public en crise bien seul pour prendre en charge des enfants qui vont de plus en plus mal, avec toujours moins de lits et de pédopsychiatres. La plupart des politiques publiques déployées relèvent de l’affichage" éclairera les non abonnés à Médiapart. Un rapport rendu le 21 mars par la Cour des comptes déplore que "la pandémie a(it) accéléré la dégradation de la santé mentale de la jeunesse en France", ainsi que que l'augmentation des syndromes dépressifs et des gestes suicidaires. "Il n’existe aucune donnée française sur le nombre d’enfants atteints de troubles psychiques", ils sont estimés à 13% des enfants et adolescents, dont à peine la moitié peuvent être suivis. Plus de la moitié des lits ont fermé en pédopsychiatrie, au profit de prises en charges en ambulatoire (CMP), plus d'un tiers des pédopsychiatres a disparu depuis dix ans. Les CMP sont débordés, avec de fortes inégalités d'accès aux soins en fonction des territoires. Conclusion de l'article : "Depuis 2018, le ministère de la santé communique beaucoup sur sa « feuille de route » pour la santé mentale des enfants et des adolescents. Mais il n’y a pas « d’objectifs clairs, tant en termes quantitatifs que qualitatifs », constate sobrement la Cour. Autrement dit, le ministère fait de l’affichage, rien de plus".
La situation décrite par C. Coq-Chodorge concerne la psychiatrie infantile, qui ne couvre toutefois pas (contrairement à ce que l'on pourrait penser à la lecture de cet article) la totalité de l'offre de soins en santé mentale en France, puisque plus de 300 CMPP proposent également des soins psychiques à des milliers d'enfants et d'adolescents, leur spécificité par rapport aux CMP étant l'apport de la psychopédagogie.
Donc en France on peut "en même temps" constater l'augmentation très préoccupante des difficultés de la jeunesse, et ne pas remettre d'urgence au travail les professionnels du soin psychique suspendus pour non vaccination covid. Alors je repose encore une fois la question : pourquoi continuer à se passer de thérapeutes motivés et disponibles ? Pourquoi des enfants et des adolescents restent-ils privés de soins alors qu'ils pourraient être assurés ?
Évidemment, notre réintégration ne règlerait pas les problèmes décrits.
Elle permettrait juste que notre CMPP extrêmement impacté pour la deuxième année consécutive puisse enfin recommencer à travailler normalement. Et que chacun des dizaines d'enfants et d'adolescents qui attendent puisse commencer sa thérapie psychomotrice ou son travail en psychopédagogie.