Après sa suspension
qu'elle espérait courte sans trop y croire,
pour garder contact avec ses petits patients
la psychomotricienne avait continué à les appeler
comme lors du confinement.
Parfois, elle parlait également avec ses collègues
qui accompagnaient ces enfants au CMPP.
Les mois passant, poursuivre est devenu difficile.
Relais proposés à certains des enfants
parfois sans que son avis soit sollicité,
personnes embauchées pour compenser,
elle a commencé à sentir le vent tourner
et à avoir l'impression de disparaître, là-bas.
Bien avant cela, au début de la suspension,
elle avait alerté deux fois tous ses collègues
en les mettant face à l'ignominie
de ce que les "suspendues" subissaient
et les exhortant à agir.
En réponse quelques encouragements gentils
ou réactions plus critiques à son égard.
Une seule action concrète,
quasiment initiée par elle
et très peu suivie au CMPP.
De manière répétée elle interpelait les deux collègues
qu'elle voyait régulièrement et qui la soutenaient.
Ce soutien fut une autre illusion
à laquelle elle s'accrocha bien trop longtemps.
Car certes ces deux-là étaient fidèles, présentes,
supportant sa colère et son désespoir.
Mais d'elles-mêmes elles ne firent rien de plus
que questionner parfois et rappeler l'absence.
Aucune protestation ni prise d'initiative fortes
un seul acte, symbolique.
Après une année, à la dernière demande
au dernier appel au secours envoyé à certains
pour qu'enfin ils agissent vraiment
toutes deux quittèrent le navire.
***
À sa pseudo-reprise post-covid de quelques mois
elle découvrit avec stupéfaction qu'il avait été décidé
que la plupart de ses patients n'avaient "plus besoin"
de thérapie psychomotrice.
Travail en cours et lien noué avec eux
étaient tout simplement niés, annulés.
Elle constata des prises de décisions étonnantes,
des relais de suivis pour des enfants qui n'allaient pas trop mal
alors que d'autres qui en auraient eu un besoin urgent
étaient laissés sans soins psychomoteurs.
Tout lui renvoyait qu'elle n'était pas là pour rester
pour s'investir pour travailler
mais allait de toute façon repartir.
En même temps, une profonde indifférence régnait.
Elle tenta en vain d'interroger encore,
après plus d'un an de suspension et un covid tout récent
une collègue se permit de lui dire qu'il y avait une solution
c'était qu'elle se fasse vacciner.
Elle finit pas ne plus supporter de manger et parler
avec les autres comme si tout était normal.
Vers la fin, deux collègues entendirent enfin sa détresse
et alertèrent la direction sur leurs craintes
qu'elle attente à ses jours.
Cela fut suivi d'effet
écoute, sollicitude, inquiétude
mais d'aucun acte.
Inexorablement, la date fatidique
de la deuxième suspension
se rapprochait.
À l'une des fidèles de l'année précédente
elle dit encore que ne rien faire
c'était se rendre complice
de ce qui était en cours.
***
Depuis sa réintégration
aucune réaction négative.
Ses collègues
font avec son retour
en sont parfois contents.
Cependant combien d'entre eux y croyaient ?
Elle réalise qu'ils auraient pareillement accepté
qu'elle ne revienne jamais
et fait avec de nouveaux embauchés.
Peut-être certains l'auraient-ils regrettée
tout en restant convaincus que c'était son choix
qu'ils n'étaient pour rien et ne pouvaient rien
à ce qui s'était passé.
Elle imagine que d'autres auraient peut-être
été soulagés qu'elle ne revienne pas
le problème aurait disparu avec elle.
Elle, alors qu'elle travaille là-bas
depuis plus de 25 ans,
c'est avec cette prise de conscience
qu'elle doit se débrouiller.
Elle tente de retrouver ses marques
et de se dépêtrer de demandes absurdes
puisque découlant de décisions
avec lesquelles elle est en désaccord.
Elle réalise que ce qu'elle a traversé
a des effets importants
lui fait percevoir différemment la façon dont
le travail clinique s'élabore,
les décisions se prennent
les consultants sont accueillis et accompagnés.
Son regard a changé
elle se repose mille questions sur
l'organisation des soins
les enjeux relationnels
les fonctionnements institutionnels.
Elle comprend qu'il va falloir reprendre une place
et que les repères qu'elle avait dans la réflexion
et les prises de décisions sur les soins proposés
sont fortement modifiés
mais également
fragilisés
abîmés.
Ce décalage, cette remise en question
pourraient être stimulants
mais ils sont aussi très déstabilisants.