Après sa suspension, la psychomotricienne appelle régulièrement ses petits patients pour garder le contact avec eux en attendant la reprise du travail. Beaucoup d'entre eux ne sont pas en mesure d'exprimer leurs questions et de mettre des mots sur ce qu'ils ressentent à propos de l'arrêt des séances mais elle sent que tous, à leur façon, sont dans l'incompréhension de ce qui se passe. Pour certains de ces enfants en très grave difficulté d'accès à la représentation, l'absence de l'autre peut être vécue comme un vide, une disparition.
Des enfants questionnent.
Il y a celui qui lui demande où elle est, est-ce qu'elle travaille, est-ce qu'elle est en vacances ? Il y a celui qui, à chaque appel, lui demande quand est-ce qu'elle reviendra au CMPP. Celui qui n'a pas souhaité être appelé formule à la psychologue, au CMPP, diverses hypothèses sur les raisons de l'absence de la psychomotricienne. Il imagine en particulier qu'elle est malade.
Lorsqu'elle avait annoncé aux enfants et à leurs parents qu'elle allait être absente pour une durée indéfinie, elle avait précisé face à leur inquiétude que ce n'était pas pour maladie. Malgré cela cette crainte restera présente, également pour une mère.
Au bout de quelques mois la psychomotricienne estime qu'il lui faut leur dire, ainsi qu'à leurs parents, la raison de son absence. Une telle explication sort totalement du cadre de travail, qui exclut de parler de sa santé à ses patients. Mais dans une situation aussi insolite, à l'heure où la peur de la maladie est exacerbée et où toute confidentialité sur la question de la vaccination a disparu, quoi d'étonnant de devoir en arriver là ?
A peu près au même moment des relais sont souhaités pour certains patients de la psychomotricienne, en libéral ou au CMPP, alors le lien qu'ils avaient avec elle est rompu. Ces relais ont pris les places d'autres enfants qui auraient pu démarrer un travail.
Petit à petit le contact avec certains des enfants qu'elle appelle encore s'effiloche, le rendez-vous téléphonique est oublié, peut-être n'est-il parfois plus souhaité par les parents.
Trop de temps passe.
Un jour elle n'arrive plus à appeler les enfants pour lesquels elle le faisait encore, c'est devenu trop dur pour elle. Alors elle demande à ses collègues de leur dire, ainsi qu'à leurs parents que malgré cet arrêt elle pense à eux.
Bien avant ce jour-là un enfant a demandé à la psychopédagogue, au CMPP : "pourquoi elle est exclue ?"
Cette question condense parfaitement aux yeux de la psychomotricienne l'absurdité et la gravité de ce qui est en cours, qui a de toute évidence entraîné une profonde perplexité chez ses patients et le délitement du travail thérapeutique engagé avec chacun d'eux.
Y a-t-il une seule raison valable sur le plan médical ou sanitaire, en particulier en CMPP, pour justifier que cela ait pu arriver ?