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Billet de blog 27 septembre 2023

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Yassine Belattar, la justice et nous

L'affaire Yassine Belattar, c'est 23 témoignages concordants, principalement de femmes, évoquant des violences de la part de l'humoriste. À la fin, ce sont 3 personnes qui auront gain de cause, seulement des hommes. J'ai fait partie des victimes, mon témoignage a été mis de côté et aujourd'hui je me sens lésée. J'ai donc décidé de l'enregistrer et de le publier sur mon podcast. En voici le texte.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette semaine j’interromps ma programmation initiale pour vous parler à chaud de ce que je suis en train de traverser avec plus d’une vingtaine de personnes, principalement des femmes, toutes impliquées à des degrés différents dans ce que l’on appellera avec simplicité « L’affaire Yassine Belattar ».

Et si j’enregistre aujourd’hui ce podcast c’est pour, modestement, à mon échelle, porter à la connaissance du public les coulisses d’une enquête et son perturbant dénouement : Yassine Belattar n’aura pris que quatre mois de prison avec sursis après que la police ait pourtant constitué un dossier de vingt-trois témoignages concordants, dont le mien, de personnes qui pour la plupart ne se connaissaient pas entre elles, témoignages composés des récits quasi identiques et détaillés des violences psychologiques, physiques et harcèlements en tout genre perpétrés par Yassine Belattar sur une période à ce jour de 14 ans.

S’ajoute à ces vingt-trois témoignages une enquête de Mediapart, pour les besoins de laquelle le journaliste Dan Israël a entendu les témoignages d’une dizaine de femmes, accusant toutes Yassine Belattar d’intimidation, de harcèlement sexuel ou de violence.

Résultat : Sur vingt-trois personnes se déclarant auprès des autorités victimes ou témoins des agissements de Yassine Belattar, le 18 septembre seulement cinq personnes verront leurs accusations prises au sérieux par un juge et seulement DES HOMMES. Alors, la parole des femmes dans tout ça ? Pourquoi nos témoins n’ont pas été convoqués lors de l’enquête ? Pourquoi vingt-trois témoignages concordant ne constituent pas en eux-mêmes une preuve tangible de la dangerosité d’un homme ? Quelle est cette justice qui ne prend même pas le temps de prévenir des femmes que leur plainte n’aboutira pas ? J’ai personnellement appris dans la presse que mon témoignage serait mis de côté. Autant de questions qui m’ont donné des envies de tout foutre en l’air cette semaine…

En effet, après le procès, je me suis dis « Allez, je n’ai plus rien à perdre, puisque c’est comme ça, je vais faire un épisode de Gamberge dans lequel je raconterai l’intégralité de ce que Yassine Belattar m’a fait subir pendant deux ans, de septembre 2009 à juin 2011 ! ». Mes proches ont alors paniqué : "Il va te poursuivre en diffamation !". Ce à quoi j’ai répondu que ce serait génial ! Enfin je serais entendue par un juge ! Enfin on convoquerait mes témoins ! J’adorerais que Yassine Belattar me poursuive en diffamation, ce serait un cadeau merveilleux tant mes arrières sont déjà solidement assurées  par un nombre important de témoins et autres victimes qui ne demandent qu’à être entendues ou ré-entendues.

Et puis j’ai réfléchi. Mon moteur ne doit pas être la soif de vengeance, mais une envie saine de changer le monde comme je le peux avec mes humbles outils. 

Je ne souhaite pas la destruction d’un homme qui, de toute façon, même si la punition est légère ne peut plus sévir. Mais la modification d’un système qui laisse ici une quinzaine de femmes traumatisées sans réparation d’aucune sorte.

Je vais donc essayer avec un minimum d’éléments, sans prendre le risque d’être accusée de diffamation, non pas par peur de lui mais parce que je veux apporter un témoignage inattaquable aux yeux du monde, ou en tout cas aux oreilles de mes trois milles fidèles auditeurs, de vous dépeindre l’horreur du personnage et du chaos dans lequel il nous a plongés. Et pour cela, je vais m’appuyer sur un de ses instrument de violence préféré dont il a admis l’usage à Médiapart sans manifester de regret : les menaces.

Je le cite : « Que je menace des gens c’est un fait. Il y a plein de gens qui en menacent d’autres ». 

C’est acté. Ça, il a admis. Et j’attire votre attention sur le « il y a plein de gens qui », car il faut savoir que Yassine Belattar vit dans un monde construit sur l’anticipation de la violence, c’est typique des gens qui ont eu une enfance traumatique ce qui est son cas, et pense que tout le monde lui veut du mal tout le temps. Il met donc en permanence en place des systèmes de défense violents, basés donc entre autres sur la menace, pour se prémunir de ce qui relève en réalité de la paranoïa.

J’ai mis les pieds dans son monde toxique en septembre 2009 en rejoignant l’équipe de son émission « On achève bien l’info », produite par Luc Besson et cela a son importance car, moi, du jour où j’ai rencontré Luc Besson, Yassine a eu toute ma confiance. Je partais du principe naïf, j’avais 27 ans à l’époque, que si un gars comme Luc Besson, qui incarnait en ce temps-là la réussite Hollywoodienne, faisait confiance à Yassine Belattar, c’est que Yassine Belattar était factuellement un génie, ou en tout cas un homme responsable et compétent, et que j’étais dans la bonne équipe pour apprendre et prospérer artistiquement.

C’est ce qui a fait que j’ai subi les premières violences sans moufter, et quand j’ai commencé à me plaindre, notamment auprès du producteur de Yassine Belattar, il m’a été répondu « C’est comme ça la télé, c’est partout pareil ». Très vite j’ai arrêté de réclamer des comptes car mes doléances remontaient directement à Yassine qui me les faisait payer en me menaçant de me virer et de me griller auprès de tout le métier. Je le croyais et prenais ça très au sérieux. Il faut se rappeler qu’à l’époque, ce n’était pas si évident que ça de faire carrière seul sur les réseaux sociaux comme aujourd’hui. Internet était bien plus lent, on ne regardait pas de vidéos sur son téléphone, les gens ne consommaient pas le contenu comme ils le consomment aujourd’hui, pour moi c’est alors sans appel que j’ai besoin des médias traditionnels et que s’il me « grille », c’est effectivement la fin de ma carrière. Oui, je crois alors en son pouvoir, pourtant imaginaire, tout simplement parce que lui-même y croit très fort. Il y croit d’ailleurs encore, j’ai pu le constater au tribunal.

J’ajoute, et ce ne sera pas non plus de la diffamation car j’ai les bulletins de salaire qui le prouvent, que Yassine Belattar et son équipe nous ont mis dans un état de précarité financière. En nous payant moins que le smic, pour des semaines de facilement 40 à 50 heures, on travaillait même parfois la nuit, le tout en nous interdisant de travailler pour d’autres, car les autres c’était toujours l’ennemi. Il disait qu’on allait nous utiliser pour lui nuire. Sa phrase fétiche, mot pour mot, je n’oublierai jamais c’était « Quand on veut faire du mal à Dieu, on s’en prend à ses saints ».  Vous avez bien entendu, il se prenait littéralement pour Dieu.

J’étais donc payée pour ma part environ 1000 euros net par mois pour co-écrire une émission hebdomadaire de 52 minutes dans laquelle j’avais une chronique et apparaissais dans les sketchs. C’est 4 à 7 moins les tarifs du métier à l’époque et très étonnant pour une chaîne qui appartient au groupe France Télé.

 Oui mais c’était mon premier contrat d’autrice, moi qui vivais de petits boulots depuis mon arrivée à Paris, l’année précédent ma collaboration avec Yassine Belattar, j’avais même été strip-teaseuse. Avoir un contrat en télé, un bureau, des collègues eux-mêmes auteurs, quelque chose d’un peu concret à raconter quand on me demandait ce que je faisais dans la vie, cela représentait beaucoup pour moi.

 Très vite, nous avons été épuisés, psychologiquement, émotionnellement, intellectuellement mais à l’époque on ne parlait pas de burn-out et surtout on ne se plaignait pas quand on avait la chance de travailler à la télé, tant font des métiers pénibles, même dans le chaos je me sentais chanceuse. En tout cas au début…

Et si on restait c’est aussi parce qu’il nous disait toujours que le jackpot et le confort allaient arriver très bientôt, qu’après le pain noir viendrait le pain blanc, il avait toujours un film en préparation dans lequel on jouerait, on y croyait…

Enfin, malgré ce climat toxique, on était un groupe d’auteurs, de comédiens et une programmatrice qui s’aimions bien. Nous subissions, soudés, la violence, et étions là les uns pour les autres. Je me rappelle un jour avoir été convoquée seule par Yassine Belattar dans son bureau, je ne peux pas vous dire ce que j’y ai subi, j’étais seule avec lui donc c’est ma parole contre la sienne. Si je veux tout révéler dans ce podcast, déontologiquement je dois le confronter, ce que je n’ai pas du tout envie de faire vous le comprendrez. Toujours est-il que je suis sortie de l’entretien en état de choc, j’ai des témoins dont un collaborateur qui, par la suite a eu le courage de me protéger toute l’année notamment en m’accompagnant ou en me rejoignant systématiquement toutes les fois où je risquais d’être seule avec Yassine Belattar. Je ne le remercierai jamais assez. J’ai donné les coordonnés de ce témoin et protecteur à la police, il était d’accord pour témoigner mais n’a jamais été convoqué au commissariat. 

Des témoins, j’en avais vraiment un paquet qui était tout prêts à témoigner dont la comédienne Elise Larnicol qui a commenté publiquement il y a deux semaines un de mes posts concernant cette affaire, je la cite :

 « Je me souviens très bien de ton mal être. J’étais venue faire un sketch avec toi et tu m’avais dit à demi-mot combien ça ne se passait pas bien…». 

Tellement de gens ont subi devant témoins les mises en scène humiliantes de Yassine. En ce qui me concerne, pour me faire aller mal et solidifier son emprise, il organisait des entretiens de jeunes femmes dans son bureau. Comment les trouvait-il ? Les pauvres je ne sais pas... Et quand elles étaient sur le pas de sa porte, qui comme par hasard était face à mon bureau, il me disait droit dans les yeux, devant elles : « C’est ta remplaçante ».

 Ou encore il lui arrivait d’organiser des réunions de 6 à 12 personnes, en gros il rameutait tous ceux qui étaient là, pour humilier une seule personne devant tout le monde. Pour assoir son pouvoir, montrer l’exemple, ou, comme je le soupçonne, juste pour le plaisir. C’est souvent tombé sur moi, car une de ses grandes passions était de scander à qui voulait l’entendre que je n’avais pas de talent, ou que j’avais des problèmes psychiatriques quand ce n'était pas des remarques désobligeantes sur mon physique. Les autres avaient beau me rassurer, eux-même n’échappant pas à leurs propres humiliations savamment personnalisées, cette version de moi que Yassine Belattar avait créée, j’avais fini par y croire. Ce qui me donnait encore moins envie de reprendre ma liberté artistique, qui allait vouloir de moi ? Il avait réussi à me mettre dans une prison mentale.

Au même titre que les autres étaient toujours les ennemis, sauf les gens puissants dont il cherchait toujours l’attention et l’approbation, il arrivait que Yassine Belattar décide arbitrairement que les ennemis, c’était nous. Il s’auto-persuadait que nous étions en train de monter un complot contre-lui, de préparer un putsch. C’était alors des inquisitions absurdes « Je sais que tu as parlé, on me dit tout, on vous surveille, quoique tu fasses je finirai par le savoir… ». Il anticipait toujours une supposée violence qui viendrait de l’extérieur quand la plus grande des violences était en fait en lui. Il était si convaincant qu’il arrivait à nous faire douter, je me rappelle m’être considérablement méfiée de gens qui pourtant ne m’avaient rien fait.

Il fallait que la lumière soit sur lui et uniquement sur lui, s’il nous voyait parler à un invité, ce qui nous était interdit, il nous accusait de lui la faire à l’envers, de vouloir prendre sa place. Là encore je me rappelle de la phrase exacte qui nous tombait dessus comme un couperet, il nous disait « Tu crois que je te vois pas ? Tu veux devenir Calife à la place du Calife ! ». Quand ce n’était pas des hurlements et des objets qui volaient. Parfois dans notre direction.

On est huit ans avant #metoo et moi, en plus de ça, il faut savoir que j’ai grandi dans une famille dysfonctionnelle où j’ai subi de nombreuses violences. Mon demi-frère était trait pour trait un Yassine Belattar, son casier judiciaire en témoigne. Mon père quant à lui était un homme manipulateur et colérique, qui utilisait l’argent pour maintenir une emprise. Je fréquente encore ma famille à cette époque et fin 2010, je me mets même en couple avec un garçon qui a été condamné à des travaux d’intérêt général pour avoir frappé un homme au sol et qui sera même plus tard accusé de viol. C’est ce dont à quoi je suis habituée depuis ma naissance et, dans ma tête, l’amour et la violence vont de pair, c’est ce que j’ai toujours connu.

Pour moi, à ce moment-là, ça ne fait aucun doute que la violence est le lot d’une femme, que c’est comme ça. Qu’il faut subir. Et c’est ce qui fera de moi la victime idéale pour Yassine Belattar.

Jusqu’à la naissance de ma fille, j’ai toujours été déprimée voire dépressive. Sa venue au monde m’a fait prendre conscience de ma force et de ma valeur.  J’ai regardé ma vie avec un œil nouveau et, à force de thérapies, de lectures et d’introspection, j’ai pu mettre des mots sur les sévices qui avaient ponctué ma vie. Ceux imposés par Yassine Belattar sont des délits qui aurait du être punis par la justice.

France 4, ça a été un an d’enfer, il n’y a pas d’autres mots. C’est la pire année de ma vie. C’est aussi l’année des décès de mes deux grands-mères. J’ai pu aller à l’enterrement de la première, Yassine Belattar m’a empêchée à grands coups de menaces dont il avait le secret d’aller à celui de la seconde. Se moquant même de moi en disant que toutes les semaines j’avais quelqu’un qui mourrait dans ma famille. Bref, il ne respectait rien et me terrorisait. Je pourrais vous en raconter tellement plus, comme je l’ai fait à la police, mais bon, vous comprenez, la magistrate a décidé que tout cela ce n’était pas du harcèlement donc, avançons…

L’année suivante j’ai suivi Yassine Belattar au Mouv’, parce que faire de la radio était mon rêve et que le contrat ne m’engageait à ne voir le personnage qu’une fois par semaine. Ce qui m’a permis progressivement de me libérer de son emprise et de fréquenter d’autres cercles plus sains. Ce fut une année beaucoup plus paisible, en tout cas pour moi, car bien sur j’ai été témoin d’une grande partie des violences qu’il a fait subir à Emilie Mazoyer, son nouveau souffre-douleur. M’a-t-on demandé de confirmer les accusations de cette dernière ? Pas du tout, son témoignage pourtant glaçant se trouve maintenant dans les limbes de l’administration judiciaire française.

Je me rappellerai toujours de la dernière fois où j’ai vu Yassine Belattar, on était donc sur la fin de la saison et, comme toujours, il faisait croire aux uns et aux autres qu’il était sur des projets qui allaient rapporter plein d’argent à tout le monde mais que, si on voulait en être, on devait lui prouver une dévotion sans faille.

Nous sommes dans un couloir de la Maison de la radio, Yassine Belattar me questionne sur mes projets pour la rentrée, d’un ton mi menaçant mi laissant entendre qu’il a quelque chose de fantastique à me proposer. Ce ton qui n’appartenait qu’à lui.

 Mais moi j’en ai marre, ça y est, et surtout je veux le faire chier. Alors j’invente plein de projets juste pour l’énerver. Je sais que je suis en train de signer la fin de notre relation toxique, peut-être même que je m’expose à des représailles, d’ailleurs  je m’étonne moi-même de la prise de risque, j’avais pas prévu de faire ça, de mentir à ce point là. J’ai compris bien plus tard que j’étais en train d’avoir un réflexe de survie.

Il m’a dit « Ok, attends moi là deux secondes, je reviens », est rentré dans un open space dont il a du ressortir par une autre porte. Parce que j’ai attendu au moins 25 minutes, il n’est évidement jamais revenu. Ce fut ma dernière humiliation, mais une humiliation paradoxalement très libératrice.

Quant aux représailles tant redoutées... Bah une fois je l’ai croisé dans la rue et en me voyant il a craché par terre. Voilà, super.

J’ai dû me porter chance avec ma mythomanie de survie car les années qui ont suivies m’ont vraiment gâtée professionnellement et j’ai pu constater que la télé, non ce n’était pas ce qu’on m’en avait dit, bien au contraire. J’ai toujours été respectée et traitée plus que correctement. J’ai connu encore évidemment quelques petits despotes des médias, autant de femmes que d'hommes d’ailleurs, mais vraiment à côté de Yassine c’était du gâteau à la crème. Surement parce que ces petits despotes des médias savent que ce qui était possible d’infliger il y a 20 ans ne l’est plus aujourd’hui. C’est factuel que le métier est en train de changer et heureusement. 

J’ai tourné la page Belattar comme on oublie un ex toxique. Cependant, très régulièrement, arrivaient à mon oreilles les récits préoccupants de ses méfaits. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’en avais vent, on venait m’en parler sciemment « Toi qui le connais, toi qui a travaillé avec lui… », c’était pour avoir des conseils ou alors juste se confier, avoir mon témoignage : comment je m’en étais sortie ? Comment je m’en étais relevée ?  Résultat, sans le vouloir j’ai pu établir une chronologie précise de ses agissements et le dernier témoignage que j’ai d’une femme relate de faits qui ont eu lieu lors de l’été 2022. Contrairement à ce qu’il a dit au juge il y a peu, il ne change pas du tout.

 Un jour j’entends que quelque chose est monté en épingle, que ça prend plus de proportions que d’habitude, ce qui m’est confirmé assez vite par un appel de l’ami et mentor Bruno Gaccio qui me dit que mon nom revient souvent dans une enquête en cours concernant Yassine Belattar et que la police aimerait m’entendre. Police qui me contacte donc les jours suivants et moi je minimise parce que minimiser, c’est ma méthode de survie. De plus, on est à l’époque où Yassine Belattar s’affiche avec nos présidents, François Hollande puis Emmanuel Macron. Pour moi ça ne fait aucun doute qu’il a réussi à se rendre intouchable et que quoiqu’il ait encore fait cela n’aboutira à rien.

Je me rends au commissariat, dis d’abord que je n’ai rien de spécial à dire, me lance quand même et là, tout me revient. Je vais parler pendant deux heures de toutes les violences psychologiques et physiques que j’ai subi, en signant ma déposition je prends la mesure de ce que je valide pour toujours aux yeux de la justice et à mes propres yeux  ce qui va m’engendrer un épisode dépressif très sévère, c’est l’effet boite de Pandore.

 Je pense pouvoir affirmer que sa garde a vue a fait plaisir à pas mal de gens… Oui mais après, plus rien. J’ai même cru que cela avait été classé sans suite, ne m’étonnant pas d’un fait d’impunité de plus, habitué que je suis à voir des bourreaux vivre leur meilleure vie.

 Et puis il y a 15 jours, j’apprends que trois des mes amis, uniquement des hommes, Kader Aoun, David Azencot et Kévin Razy, sont convoqués, eux, pour le procès de Yassine Belattar, avec deux autres personnes. Mais pas moi. Ni la quinzaine d’autres femmes. Ca y est, l’enquête est bouclée et les violences que nous avons subies comptent pour du beurre. On nous dit « pas de preuve », alors que, pour certaines, si... Il y en avait. Sans compter les témoins…

 Cette injustice prend toute sa mesure au tribunal où nous nous sommes rendus en familles si je puis dire. Nous étions un groupe soudé devant la salle d’audience. Puis la police est venue chercher les personnes convoquées et nous sommes soudain restées entre femmes. Simples spectatrices du procès d’un homme qui nous a pourtant toutes agressées. Parfois la vie vous donne l’impression qu’elle est un film mis en scène par un réalisateur qui pense que plus c’est gros plus ça passe. Ce fut l’un de ces moments.

Puis c’est à nous d’avoir le droit de rentrer dans le tribunal. Et enfin Yassine Belattar qui semble étonné de voir l’équipe que nous formons. Je ne l’ai pas vu depuis plusieurs années et je m’étonne : j’avais quitté un tyran et je retrouve un gamin de 14 ans qui se prend pour Al Pacino. Mais comment ai-je pu tomber dans ce panneau ?

Avant nous sont entendus deux voleurs de voitures qui me font penser aux "Casseurs Flotteurs" du film « Maman j’ai raté l’avion ».  Leur audience va durer deux heures dont vingt minutes à parler de 27 doubles de clefs de voiture, d’où venaient-elles, pour qui étaient-elles ? Attention spoiler : on ne le saura jamais. Juste je me dis : la justice a tout ce temps à consacrer aux clefs d’une Toyota, mais moi, les sévices que j’ai subi et que la loi elle-même m’empêche de divulguer dans un podcast, ça, cette justice n’en parlera jamais. Et ni son producteur Vincent Demarthe ni son co-auteur Thomas Barbazan, n’auront à rendre de compte, eux à qui je me suis plainte tant de fois. 

 Vient notre tour, ou plutôt leur tour.

Le juge lit les menaces proférées par Yassine Belattar à Kader Aoun et qui ont été enregistrées. Effroi : ce n’est quasiment que le champ lexical du viol et de l’agression sexuelle : « Je vais violer ta mère, je vais t’ouvrir le cul… ». Comment la justice fait-elle pour ne pas voir ce que nous voyons ? Pour ne pas faire le parallèle entre ces propos et les témoignages des femmes qui l’accusent de harcèlement sexuel ?

 L’occasion également d’apprendre qu’il a même dit à un aveugle « Je vais te tazzer les yeux ».  Fin de la blague.

Yassine Belattar est ensuite appelé à la barre. Sa défense est tellement grossière et immature que je laisse échapper un rire sonore qui m’est aussitôt reproché par le juge, un policier vient alors m’avertir que si je recommence je serai invitée à sortir.

Évidemment, c’est la règle, et c’est normal. Mais à ma décharge : Yassine Belattar n’a jamais été aussi drôle, attribuant à Kader Aoun des faits qu’il ne devrait s’attribuer qu’à lui-même , je cite « Il est grillé, il se prend pour une racaille, il n’a plus aucune influence dans ce métier, il ne connait personne… ». Et c’est là que je ris. Parce que je me rappelle qu’au Paname Art Café, y a quelques mois j’ai vu Kader parler à Jerry Seinfeld, oui l’humoriste américain.

Il fait de la peine Belattar devant le juge, parce qu’on sent qu’il avait préparé des punchlines. Il traite Kader de « photocopieuse » et attend le rire en bon stand-upper habitué à tenir un rythme scénique. C’est évidemment le silence et l’occasion de me rappeler que nous, à l’époque, on riait à toutes ses blagues. Parce que si on ne riait pas, on savait qu’il nous le ferait payer.

Vient le moment d’aller chercher ma fille à l’école car oui, hors de question de prendre une nounou. Yassine Belattar m’a pourri deux ans de ma vie, il n’allait pas en plus me gâcher une soirée avec ma fille.

Sur le chemin je m’en veux d’avoir ri, d’avoir été reprise par le juge, moi qui ai le syndrôme de « la bonne élève », je crains alors que cela n’entache le processus judiciaire. Effectivement, j’apprendrai plus tard que l’avocate de Yassine Belattar, dans sa plaidoirie, s’en prendra à moi et à une autre femme qui a été agressée. Utilisant par là même les tweets que j’ai pu faire sur l’affaire et nous accusera de chercher le buzz. Sans rancune, c’est son travail.

Plus tard une amie m’a dit « C’est génial que tu aies ri, tu lui as montré que tu n’avais plus peur de lui ». Mais c’est mieux que ça : je ME suis montré que je n’avais plus peur. Je n’aurais pas ri de ce rire là, joyeux et détendu, si je m’étais toujours sentie menacée. CQFD. C’est ma victoire à moi.

J’ai appris aussi que, lui qui plaidait d’avoir changé et d’être un bon père de famille, Yassine Belattar avait été condamnée en 2018 pour abandon de famille, cela lui a été rappelé lors de l’audience. La colère est alors officiellement devenu de la pitié,  et c’est bien pour ça que je ne veux pas détruire l’homme déjà à terre mais juste faire évoluer un système. Ce petit podcast à mon échelle c’est tout ce que je pouvais faire.

 Ce jour-là, Yassine Belattar a été condamné à 4 mois de prison avec sursis et obligation de se soigner. Sur ce point personne n’est dupe, l’obligation de se soigner, il l’avait déjà eu en 2019 et n’a pas pu prouver au juge avoir mis en place quelconque initiative thérapeuthique. Ce qui ne m’étonne pas. Yassine Belattar est un homme violent et paranoïaque dont l’existence est construite sur l’anticipation de menace extérieures imaginaires. Se remettre en question ce serait confronter le véritable danger, ses propres démons, et admettre que depuis le début la vraie menace était en fait à l’intérieur.  Il faudrait pour ça une soudaine force morale, un choc lucide qui à ce stade tiendrait du miracle. D’autant que la violence qu’il a créé lui a finalement été rendue, donnant raison à ses projections qui initialement relevaient du fantasme, l’étau s’est resserré et c’est lui maintenant qui se trouve dans une prison mentale.

En attendant, résumons : cinq hommes sont menacés, ils obtiennent gain de cause. Une quinzaine de femmes ne se connaissant pas accusent un homme des mêmes comportements violents ou stratégies d’humiliation et… rien de tout.

 Pour conclure, je voudrais vous lire le sms que m’a envoyé une des autres victimes de Yassine Belattar le soir du verdict :

 « J’essaie de construire une rhétorique pour parler aux victimes qui n’osent pas parler…Je pense  leur dire qu’il a cherché à les isoler et à leur faire peur mais qu’en définitive à nous toutes on est tellement plus fortes que lui. Que bien sûr, chacune fait ce qu’elle peut, à son rythme, mais la richesse d’un combat à plusieurs est réelle, que chaque femme qui parle protège les autres, que c’est libérateur et que même si bien-sûr, la justice est défaillante, chaque femme qui parle est un nouveau gravier dans sa chaussure qu’il ne pourra plus jamais enlever. Il devient de plus en plus faible, de plus en plus honteux, boiteux…

Bien sûr, celles qui ne peuvent pas parler n’ont pas à culpabiliser, elles font déjà au mieux pour survivre et là tu peux citer les victimes de PPDA et de Depardieu pour exprimer toute l’importance du lien qui s’est créé, de la force que ça nous donne chaque jour, de l’aplomb avec lequel on pose le regard sur l’horizon… On est ensemble et en définitive ça change tout et ça change tout quand la parole, pour chacune, est libérée. C’est douloureux de parler, douloureux de se remémorer, de raconter à nouveau, mais c’est un chemin, qui bien sûr est propre à chacune mais qui porte ses fruits pour celles et ceux qui l’ont emprunté ».

https://podcasts.apple.com/fr/podcast/gamberge/id1670261104?i=1000629131724

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