Christophe Bousquet

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Billet de blog 3 novembre 2009

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Identité nationale

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aujourd'hui, la nationalité française s'acquiert de façon innée s'il s'avère qu'on naisse de parents français ou sur un territoire qui se trouve s'appeler France (même si cette dernière condition est de plus en plus restrictive).

Pour tous les autres cas d'acquisition, la nationalité française requiert la volonté et quelquefois le courage des postulants. Il y a donc une démarche civique bien plus importante, réfléchie et consciente dans le second cas que dans le premier.

Mais pour l'essentiel, l'identité française dépend de l'espace géographique appelé France.

Toute interrogation sur le fait d'être Français se doit donc d'inclure une interrogation sur la construction historique et politique de cette entité géographique physique qui a été fluctuante dans le passé. L'aspect fluctuant des frontières est un aspect extrêmement important que même les plus créationnistes historiques (ceux qui pensent que la Bretagne, la Savoie ou Paris furent français dès le commencement du monde) d'entre vous se doivent d'accepter.

Je fais partie de ces français qui n'ont pas eu le choix : j'ai la nationalité française acquise par ma naissance. Il faut donc faire avec. Il est facile de réaliser que cet état de fait me place dans la portion extrêmement privilégiée de l'humanité.

De ce point de départ, il y a à deux voies possibles. La première, qui n'est pas la mienne, consiste à accepter sans le questionner cet état de fait. Ce privilège est acquis, indépendamment de l'Histoire. Les Français du passé (sans questionner aujourd'hui qui ils ont été) ont réussi à nous mettre dans une situation dominante. On a donc une forme d'héritage inhérent qu'il convient de faire fructifier en bon père de famille avant de le transmettre à la génération suivante, avec l'espoir de donner plus à la future génération que ce que l'on a eu. D'autre part, il y a des gens d'autres pays sur cette Terre, des non-Français. Eux-aussi héritent du travail de leur prédécesseurs qui les ont mis dans une situation actuelle plus ou moins favorable. Par le même principe universel de bon père de famille, chaque non-Français essaie de transmettre plus que les générations précédentes. Il est alors tentant de créer une espèce de compétition actuelle entre peuples essentialisés. Compétition dans laquelle tout non-Français est un usurpateur potentiel, présent sur le territoire national uniquement pour profiter de ce que l'Histoire fait revenir de droit aux "Français de souche". Bien sûr, il y a des non-Français plus facile à identifier en tant que tel (qui sont alors victimes de discriminations récurrentes à différentes périodes souvent passées sous silence de l'Histoire de France) du fait de la couleur de peau, de l'accent ou autre (cf. Amin Maalouf, p. 10). Or, il me semble que le débat actuel s'oriente vers une délimitation irréconciliable non-Français / Français ou seulement sur le principe du "eux chez eux, nous chez nous". C'est typiquement le type de définition de l'identité qui me révulserait et me rendrait honteux de quelque pays que ce soit. Non pas que des français acceptent ce carcan, mais que des êtres humains (qui dans notre cas se révéleraient être français par accident) acceptent ce carcan. Une honte humaniste donc et non une honte nationaliste. Tout comme la honte humaniste de savoir des gens heureux de gagner plus que certains pays, indépendamment de la nationalité de ces gens heureux.

Bien souvent, quand on s'engouffre dans cette voie, on se glose d'avoir fait preuve d'action bienfaitrice grâce à notre œuvre coloniale (toujours sans questionner ce qu'il en a été). Et on en vient facilement à conclure qu'il est tout de même aberrant que les mêmes qui ont refusé notre apport civilisateur veuillent désormais incorporer notre grande épopée nationale. Il est dès lors légitime d'introduire ce débat sur l'identité nationale afin d'ouvrir les yeux à ceux qui refusent de voir que notre France se souille.

Les premières propositions vont clairement dans ce sens. Ainsi, la première proposition du 31 octobre de M. Besson ("Faire connaitre et partager l’identité nationale") ne parle de la notion d'identité nationale qu'en fonction… des ressortissants étrangers ! Conception assumée donc d'une définition par l'extérieur et non par l'intérieur ! La seule proposition pour une définition par l'intérieur met en exergue de chanter une fois par an l'hymne national, et encore que pour les jeunes français (comme si les vieux étaient moins français) !

Tout cela est bien beau, mais… ce n'est pas ma conception de l'identité nationale. Il me semble plus civique et utile d'emprunter une autre voie.

Voie qui commence par l'acception, selon moi évidente, que l'immense majorité des Français n'ont rien fait pour l'être. Certes, on pourrait me rétorquer les différents efforts de guerre et autres combats. Mais avant de partir au front, les soldats n'avaient rien fait pour être français. Souvent l'unique chance de la naissance. Et qu'y a-t-il de plus insupportable que ces monuments aux morts criants sur toutes les places de France : "Morts pour la patrie". Il est possible que cela soit vrai pour certains soldats et qu'il y ait de la noblesse dans cet acte. Mais d'autres soldats sont certainement morts pour d'autres idéaux irrémédiablement gommés à coup de burin. Cette mémoire tronçonnée renforce l'impression d'une volonté politique constante d'inscrire dans le marbre le roman de l'identité nationale.

S'il peut effacer les différentes conceptions individuelles de l'identité nationale comme on vient de le voir, le pouvoir politique ne peut destituer ses ressortissants de la nationalité française tant qu'ils n'en ont pas d'autres. En effet, l'État français ne peut produire d'apatrides. Je considère donc comme une chance de pouvoir exposer ce que j'entends par identité nationale.

Les Frances sont multiformes et en perpétuelle construction physique, démographique, confessionnelle,… Elles ne sont pas non plus superposables aux diverses Gaules (qui sont supposées avoir abrité nos prétendus ancêtres). À moins que l'on considère que certains Suisses, Luxembourgeois, Italiens, Allemands, Néerlandais et autres ne soient des Français qui s'ignorent et qui devraient profiter de ce débat pour faire une demande de naturalisation… On pourrait aussi considérer certains Narbonnais comme ne répondant pas à la définition de descendants de Gaulois ! Jules César lui-même parlait de la Guerre DES Gaules ! Et puis que dire plus tard des annexions de la Savoie (1860) ou de Nice (1860) postérieures aux annexions de la Guyane (colonie depuis 1604) ou de la Guadeloupe (colonie depuis 1635)? Quel statut identitaire attribuer à l'Alsace-Lorraine au passé géographique pour le moins… douloureux ? Quel autre statut pour les Algériens naturalisés français en 1834 et 1866 et aux départements français en Algérie de 1848 à l'indépendance ? Fort heureusement, cet aspect anarchique et non-linéaire de l'histoire de France tend à se répandre dans l'Histoire de France officielle… mais il semble toutefois bon de le rappeler de temps à autre.

Une telle mosaïque historique entraîne nécessairement des mouvements de populations. Du fait de sa situation de carrefour, la France présente même des avantages particuliers pour un brassage régulier de populations. Encore une fois, ce n'est pas une découverte incroyable mais il faut tout de même intégrer de manière forte cette réalité indéniable dans le débat actuel.

Qui dit populations diverses dit aussi langues diverses. Le français n'est parlé sur l'ensemble du territoire que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Encore une fois, je n'ai pas inventé l'eau chaude mais il est bon de le rappeler.

Qui dit populations diverses dit aussi confessions spirituelles diverses. Et il ne faut pas se creuser la cervelle trop longtemps pour voir les fantômes de la Saint-Barthélemy et autres faits des Guerres de religion. J'ose espérer que l'on ne remettra pas ça !

D'autant plus que l'immense majorité des aspirants à la nationalité française CHOISISSENT notre pays. Et il est rare de choisir un pays pour le mettre à feu et à sang. Cela peut arriver, mais il s'agit alors d'un phénomène Et les bienfaits de la colonisation, alors, il les oublie ?" Non, ne vous en faîtes pas ! Notre héritage colonial nous permet d'être actuellement dans la situation des privilégiés. Au prix du terrible système françafricain. Et si vous n'êtes pas convaincus que des frontières dessinées à la va-vite entraînent de fréquents conflits, regardez à nouveau les livres d'Histoire quand les successions de royaume se faisaient en parts égales entre prétendants. Combien de combats pour récupérer un bout de terre ou pour réunir deux peuples ?

Enfin, l'identité française devrait compter "respectueuse" parmi ses adjectifs descriptifs. L'identité actuelle en est bien loin : une Aide au Développement promise et toujours remise en bonne part directement en corruption et pour l'autre part simplement ajournée. Une identité encore irrespectueuse de l'environnement (même si les efforts sont louables et encourageants).

Donc, oui pour une identité prenant en compte les variations géographiques et populationnelles de son Histoire. Avec une emphase particulière sur les us et coutumes durant la colonisation et après. De cela devrait ressortir une nouvelle identité respectueuse de valeurs universelles et des personnes demandant d'y adhérer. On pourrait alors rejeter cette identité actuelle de beau parleur à double ou triple facette.

Il est aussi urgent de comprendre l'importance de ce changement. En effet, si l'Histoire aide à connaître son passé, elle permet aussi de faire quelques conjonctures. Espérons que quand nos générations futures devront aller en Chine, en Inde ou en Afrique (un continent si riche ne se fera pas éternellement pillé !) pour trouver du travail, elles ne trouveront pas dans ces pays des conceptions d'identité nationale aussi étriquée que l'actuelle identité nationale française (même si le travail semble être énorme aussi pour les futurs pays d'accueil).

Ce débat sur l'identité nationale est donc aussi un signal donné au monde de ce que nous sommes.

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