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Billet de blog 8 mars 2021

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La réforme de la santé au travail renforce les approches technocratiques du travail

8 mars 2021 - Un an après le début de la crise, on constate que les institutions du travail ont tenu. Mais les risques d’une dérive technocratique se précisent, renforcés par certains aspects du projet de réforme de la santé au travail.

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2020 Un cadrage institutionnel

Dès le début de la crise, employeurs et travailleurs ont fait preuve de capacités d’adaptation pour inventer de nouveaux aménagements du travail. Les professionnels de santé ont surmonté la bureaucratie gestionnaire à l’hôpital. Les pouvoirs publics ont soutenu les activités, les rémunérations et l’emploi. Les organismes de prévention et les spécialistes du travail ont actualisé leurs analyses et leurs recommandations. Enfin, les partenaires sociaux ont su imaginer et négocier de nouvelles règles, dans les entreprises et au niveau interprofessionnel.

Progressivement le travail à distance s’est généralisé, avec le risque d’une déshumanisation du travail. En signant l’accord du 26 novembre 2020, les partenaires sociaux ont voulu établir un cadre pour limiter les dérives du télétravail. Ce faisant ils ont traité les questions fondamentales pour toute institution : comment s’exerce le pouvoir ? (aider l’encadrement à jouer son rôle dans les nouvelles conditions) et quelle place pour la parole ? (organiser les échanges et les rencontres).

Mais les entreprises et l’Etat sont tentés par des réponses plus technocratiques : gérer les populations au travail à partir de l’enregistrement et la surveillance de données individuelles et collectives, identifier des profils psychologiques, numériser les relations de travail.

2021 Un cadrage technocratique ?

Par ailleurs, il se trouve que les discussions sur la réforme de la santé au travail sont arrivées à échéance l’année de la crise sanitaire. L’enjeu majeur du projet était le passage des politiques de prévention des risques professionnels sous l’autorité des administrations de santé publique. L’accord interprofessionnel sur la santé au travail conclu le 9 décembre 2020 a finalement abouti à écarter cette perspective et à maintenir le centre de gravité du système du coté des institutions du travail.

Cependant l’ambition de rapprocher le travail de la santé publique reste au cœur de la proposition de loi en cours d’examen et continue de soulever des interrogations. On a pu observer au cours de l’année 2020 les effets d’une approche managériale de la santé, qui se veut scientifique et efficace : formatage des relations humaines, pesanteurs bureaucratiques, éloignement du terrain, uniformisation des pratiques. Le projet de 2021 repose sur la certification de protocoles et de procédures centralisées, avec le concours des consultants privés du marché de la santé et du bien-être.

La proposition de loi préconise d’encourager les échanges de données entre médecine du travail et médecine de ville. Il serait paradoxal que la réforme du système de prévention destinée à mieux protéger les individus au travail en vienne à réduire leur droit au secret médical et à la vie privée dans une logique de surveillance sanitaire individuelle, comme il serait regrettable de les priver de pouvoir rencontrer des interlocuteurs humains dans les services de médecine du travail, au nom de l’avènement de la télémédecine.

Les institutions du travail ont fonctionné comme un ensemble protecteur où les différents acteurs peuvent jouer leur rôle, dans lequel la référence à la santé occupe toute sa place mais rien que sa place. On le constate au sein des entreprises, la tendance à analyser les difficultés au travail en termes de santé se confirme. Il s’agit pourtant de faire respecter les droits et la dignité des personnes autant que de protéger leur santé.

L’année 2021 dira si les efforts de cadrage institutionnel se poursuivent et sont adaptés à la prévention des nouveaux risques : standardisation de la vie au travail et contrôle technique sur les individus avec les outils de la numérisation.

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