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Billet de blog 1 mai 2008

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La petite mort du journalisme d’investigation au temps du multimédia ou de l'ultime média

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les temps changent mais les pratiques résistent : le refus des autorités françaises de la fin de l'Empire de considérer sérieusement les renseignements militaires de l'époque de la bataille d'Alger, qui annonçaient déjà en 1957 la montée du "jihad", la guerre sainte islamique, cachée sous les arguments du FLN et couverte par les arguments des porteurs de valises, allait alors de pair avec la façon dont une partie de la presse de ce temps - France Observateur en tête - se prétendait objective ... <!--break--> en refusant de voir comment les militants de la décolonisation faisaient déjà régner la terreur pour parvenir à leurs fins.

Autres temps, mêmes pratiques : de la Bosnie de 1993 au Rwanda de 1994, de la crise de Chisinau (Transnistrie, 1992) à la problématique du Darfour en 2007, la plupart des médias réduisent souvent la réalité des massacres à ce que les grandes agences de presse veulent bien en dire, sans créditer leurs propres reporters avant d'être obligés de crier avec les loups.

Investigation, you said ?

Le journalisme d'investigation analysé par Edwy Plenel comme un mythe résultant d'une vision amplifiée par les reportages d'un Albert Londres, ou par les révélations d'un Pierre Péan sur "la face cachée du Monde", voit sa voilure de plus en plus réduite par le refus des chefs de rédaction de laisser leurs journalistes prendre des risques de moins en moins couverts par les assurances : enquêter sur les responsabilités partagées de l'après génocide au Rwanda comme sur l'affaire dite des frégates de Taïwan IIe période, relève de l'exploit, même en connaissant les raisons pour lesquelles le juge Renaud Van Ruymbeke s'est finalement trouvé purement et simplement bloqué en février 2007 par un précédent Garde des sceaux prétextant "une erreur de procédure" venue à point interrompre une instruction mettant à mal les grands partis d'il y a plus de dix ans, où les chefs de rubrique n'ont finalement pas tiré toutes les leçons de l'autre affaire, Clearstream.

Optimistes, malgré tout, merci Mediapart !

Du côté régional ou local, les journalistes férus d'enquêtes argumentées à partir de preuves comme votre blogueur lui-même ne sont pas les mieux lotis : affaire immobilière coûtant 4,4M€ à une collectivité publique suite à une plainte actée par des parties civiles amies intimes de la présidente du tribunal administratif où était plaidée le dossier... A mi-publication de l'enquête dans un journal régional, des pressions sont exercés avec violence sur la direction du titre, et contre l'auteur des articles, obligé d'interrompre la publication malgré l'évidence des faits, en partie reconnue en cour d'Appel par la réduction de moitié des pénalités subies par la dite collectivité.

Impossibilité de publier sans censure partielle d'article les raisons pour laquelle une grande ville de l'ouest refusait un marché potentiel d'hôtel de luxe à un groupe américain – Marriott - pour lui préférer peu après un programme proposé par un concurrent mieux placé – Accor – grâce à ses relations trés amicales avec le parti du premier magistrat du moment, plus de dix ans après l'interdiction totale du financement occulte des dits partis.

Certes, il convient de rester optimiste, et d'avoir confiance dans la poussée du multimédia, des news sur le net, même si les premières pratiques constatées réduisent en fait la latitude des rédacteurs, photographes, vidéastes, webmestres, souvent obligés de tout faire là où plusieurs emplois coexistaient voici à peine cinq ou huit années.

"C'est écrit, donc c'est vrai", pensent encore les "vraies gens". Mais le non-dit est encore la partie invisible de l'iceberg de l'actu - alitée, et les nouveaux journalistes devront s'armer de courage et rivaliser d'imagination avec les banquiers, pour contrer les effets néfastes de l'audimat, du mensonge institutionnel et de la résistible ascension des personnes de pouvoir dans le microcosme médiatique.

Merci Albert Londres!

Face aux enjeux évoqués au début, du terrorisme à la défense de toutes les libertés, ce combat mérite d'être gagné. Merci Albert Londres!

Merci d'abord à l’équipe de Médiapart qui me semble avoir entrebaillé la porte en engageant d’entrée de jeu des enquêtes qui paraissent bien renouer avec la veine de meilleures époques journalistiques, et qui génère autour d’elle des échanges de faits et d’idées dont la vacance se fait cruellement ressentir dans les médias plus anciens, désertés par la rage de vivre et d’écrire, au sens où un Mezz Mezzrow parlait de cette rage d’exister entre deux impros de jazz new-orleans. Equilibre des comptes détruit par la presse gratuite et excès de politiquement correct à la clé!

Les questions de fond ne manquent pas : démocratie directe en recul avec l'élection des présidents de communautés d'agglomération françaises par de grands électeurs ; écart croissant entre les riches et les pauvres ; simulacre de discrimination positive qui rend la vie, le travail, la ressource de plus en plus difficiles pour des européens de la classe moyenne non pistonnés et fils ou fils de personne ; décalage culturel grandissant entre les générations alors que jamais l'humanité n'a eu autant de moyens pour tenter de comprendre les autres. Etc., etc., etc.

Les enjeux sont importants : les visions de Georges Orwell, dans 1984, les peurs et la dimension absurde du monde révélées par Franz Kafka, dans l'ensemble de son oeuvre, les combats de Taslima Nasreen, la mutation qui s'amorce avec la prochaine relance de la conquête de l'espace poursuivie entre deux conflits "régionaux" ne doivent pas nous faire oublier qui nous sommes et l'immensité de la route qui reste à parcourir pour humaniser davantage la planète et les rapports entre l'homme, la femme, la faune, la flore, les espaces habités et inhabités, pour que l'avenir de nos civilisations ne soit pas seulement durable, mais aussi d'abord et avant tout enviable, désirable, médiatisable.

Pas simple mais jouable. A condition toutefois que tout le monde s'y mette en adoptant un tant soit peu plus d'exigence en situation lorsque nos décideurs se mettent à la jouer solo, à s'octroyer des droits qu'ils critiquaient chez les autres avant d'avoir le pouvoir et à pratiquer le sport le plus couru d'avant les prochains JO en Chine : ne faîtes pas ce que je fais, faîtes ce que je dis!

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