Canan, journaliste chypriote de 27 ans, présente les flashes d’information sur Radyo Mayis à Nicosie.
Et tout va bien pour elle, jusqu’au moment où on la questionne sur son identité : "Je ne suis pas turque. Je suis chypriote turque. C’est le problème, je crois. Je ne suis pas turque. Ma mère est turque, elle est née à Istanbul. Je ne suis pas turque, je suis chypriote turque. Je suis chypriote mais ma langue, c’est le turc. Voilà tout. Et c’est le problème, le principal problème ici à Chypre."
Le 'problème chypriote', Canan n’était pas encore née quand il a commencé. Après des années de tensions entre communautés turque et grecque, les troupes d’Ankara occupent le Nord de l’île en 1974 et une République Turque de Chypre Nord est crée en 1983. Reconnue par la seule Turquie, cette entité n’a pas d’existence légale en droit international. Résultat : c’est une île divisée qui entre dans l’Union européenne en 2004.
"C’est un grand problème, affirme Canan. Et ce sont les autres pays qui en sont responsables, entretenant la querelle entre chypriotes turcs et chypriotes grecs. Ce n’est pas bien. Mais maintenant, la frontière est ouverte. Nous nous parlons les uns aux autres. Nous lançons des activités conjointes, bicommunautaires. J’ai une carte d’identité de la République de Chypre, je suis citoyenne de la République de Chypre. Mais je vis au nord de Nicosie, dans la partie nord de Nicosie. Je travaille à Nicosie nord."
Le début de timide décloisonnement de l’île est bien sûr soutenu par l’Union. 259 millions d’euros ont été alloués depuis 2006 à la communauté turque chypriote. Et au Nord, la présence de l’armée turque se fait bien plus discrète qu’il y a quelques années. Mais comme ailleurs, la crise économique fait ici sentir ses effets : les fonctionnaires ont ainsi vu fondre leurs salaires de 36 pourcents depuis 2008. C’est dans ce contexte que la République de Chypre va accéder le 1er juillet prochain à la présidence tournante du Conseil de l’Union.
Alors que la Turquie a menacé de geler ses relations avec l’Union durant les 6 mois de cette présidence chypriote, les dirigeants de la communauté turque de l’île affichent leur pessimisme sur l’avancée des négociations de réunification. Irsen Küçük, Premier ministre chypriote turc : "Durant cette présidence européenne, nous n’attendons guère de progrès dans les négociations. Notre proposition était de poursuivre les pourparlers dans le cadre élargi des Nations Unies, incluant aussi la Turquie et la Grèce dans les discussions, en tant qu’états garants. Et bien sûr, cette approche n’a pas été acceptée."
Au Sud, les préparatifs de l’accession du pays à la présidence européenne vont bon train. Et on prévoit d’assumer pleinement cette tâche, indépendamment des positions prises par Ankara. C’est ce que confirme le responsable du dossier au gouvernement, Andreas Mavroyiannis, vice-ministre chypriote aux affaires européennes : "Pour nous, la Turquie est un pays candidat. Un candidat parmi d’autres. Il y a un mandat du Conseil. Il y a un cadre de négociation. Nous allons suivre à la lettre le mandat du Conseil. Nous allons traiter la Turquie exactement de la même manière que les autres pays candidats. En même temps, nous sommes conscients des réalités. Nous savons bien qu’ils ne veulent pas travailler avec la présidence chypriote de l’Union, même s’ils ont mis de l’eau dans leur vin récemment. Mais ce que je veux dire, c’est que nous allons calmer le jeu, dédramatiser la situation."
"Je suis une citoyenne européenne. Je suis journaliste et je couvre ces dossiers. Mais je ne suis pas au courant de ce qu’il va se passer le 1er juillet. Je ne sais pas ce que c’est, cette présidence de l’Union européenne. Je ne m’y prépare pas." Pour Canan, comme pour de nombreux chypriotes turcs, la prochaine présidence chypriote de l’Union apparaît aujourd’hui comme une échéance fort déconnectée de leur horizon quotidien. Et pourtant, en cas de succès, cette propulsion de l’île sur la scène internationale pourrait bien se révéler bénéfique pour l’ensemble de ses habitants.