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Billet de blog 21 décembre 2024

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Verdict du procès de l'assassinat de Samuel Paty : pourquoi ce sentiment ambigu ?

Ayant un rapport complexe d'identification et de culpabilité vis-à-vis de Samuel Paty, j'ai suivi son procès, après avoir été moi-même partie civile à V13. Alors que je devrais, comme ses proches et nombre de collègues, être satisfait du verdict, j'ai un sentiment partagé, et je m'interroge sur la pertinence et la motivation de cette décision. J'essaie d'expliquer pourquoi...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

    Le jour de l’assassinat de Samuel Paty, je suis au cinéma avec ma compagne. Nous avons vu passer la nouvelle furtivement sur les réseaux sociaux, sans vouloir en savoir plus pour passer une bonne soirée. Nous allons voir « Drunk », l’histoire d’un prof d’histoire qui, dépressif, tente avec des collègues une expérience de « contrôle » de son ivresse pendant les cours...

    À la sortie de ce beau film, je saute sur les réseaux et j’apprends réellement ce qui est arrivé à Samuel...Le week-end, je somatise, ma compagne aussi est choquée évidemment (elle-même prof de Lettres). Le mercredi suivant, malgré les vacances, nous nous réunissons devant mon collège, avec des collègues, la direction, des parents, enfants et élus, pour rendre hommage à Samuel…

    Une semaine après l’attentat islamiste, Jean Birnbaum publie un article dans Le Monde des Livres, « Un prof face à Daech ». C’est un compte-rendu de mon ouvrage à paraître, Journal d’un rescapé du Bataclan (Libertalia). Le journaliste fait le parallèle avec Samuel : je suis victime d’attentat, prof d’histoire, et dans mon livre j’insiste à plusieurs reprises sur le danger islamiste qui pèse sur les enseignants. Cet article lance une machine médiatique qui met en avant mon témoignage (et fait vendre mon livre malgré la fermeture des libraires due au Covid), et me laisse un sentiment de culpabilité qui ne m’a pas vraiment quitté depuis. Une impression d'avoir "profité" de la mort de Samuel…J’accepte malgré tout en 2022 la proposition de l’APHG d’être au jury du Prix Samuel Paty...

    Cette introduction pour dire d’où je parle au moment où je ressens le besoin de commenter le verdict du procès de l’assassinat de Samuel. En effet, je ressens une forme de gêne, un sentiment partagé entre la satisfaction de voir tous ces gens payer, et le questionnement sur les motivations des juges...Je sais que je risque de ne pas être compris par des gens que j’apprécie (les autres, je m’en tape), mais je vais essayer d’expliquer pourquoi la satisfaction que j’aurais dû avoir n’est pas vraiment là. J'espère qu'ils comprendront, même sans être d'accord...

    Je précise d’abord que, comme pour V13 (où j’étais partie civile), je ne ressens aucune empathie pour les accusés désormais condamnés (avant l’appel certain, cette fois). Pour moi, la gamine menteuse, les autres élèves qui ont répandu les rumeurs, les collègues et l’institution qui ont enfoncé Samuel, le père de la menteuse, le prédicateur islamiste, les influenceurs, les amis du tueur,...tous sont coupables et complices. Moralement, au minimum. Pour une part de moi, qu’ils fassent de la prison et souffrent toute leur vie m’inspire au mieux de l’indifférence...

    Mais je m’interroge en même temps sur l’aspect judiciaire, et les conséquences d’un verdict qualifié de politique par la défense...comme pour V13. Est-ce le rôle de la justice d’être politique, ou de juger pour envoyer un message ?

    Cela peut paraître paradoxal, mais cette interrogation m’empêche d’accepter totalement ce verdict, de le trouver juste et donc utile à la société. Il y a un truc qui cloche. Je comprends parfaitement que la famille et les proches de Samuel soient satisfaits, je le serais très probablement aussi à leur place, et je n’ai de toute façon pas à juger leurs sentiments. Ce qui me gêne, c’est ce qu’il y a autour.

    Le procès n’a pas vraiment fait la une des médias. Il y avait de la concurrence, et de toute façon on a rapidement compris en tant qu’enseignants que notre situation, et même les dangers réels (et confirmés, avec l’assassinat de Dominique Bernard) qui pèsent sur nous, étaient le cadet des soucis des médias, du public et des politiques...Sauf s’il y a quelque chose à en tirer politiquement, justement.

    Retrouver un avocat habitué des plateaux télé d’une chaine d’extrême droite, déjà présent à V13, chez les parties civiles, déjà ça m’a un peu gratté. Constater qu’une bonne part des soutiens revendiqués à la famille Paty sur les réseaux font partie de la « nébuleuse » Printemps républicain a confirmé que tout ça était très intéressé…

    Cela fait longtemps, en tant que rescapé du 13, que je reconnais le soutien opportun, la récupération politique des victimes de terrorisme. Pour beaucoup, nous sommes avant tout du consommable pour nourrir leur idéologie, et je crains que cela se soit confirmé pour ce procès.

    Le souci est que, dans l’autre camp, si je puis dire, ce n’est pas mieux. Des gens qui n’ont pas eu un mot pour Samuel, voire pire qui l’ont plus ou moins explicitement accusé d’islamophobie, crient au complot islamophobe d'État, avec pour certains le petit dog whistle, évidemment (la Justice serait aux mains de qui vous savez…). Cette impression tenace que la guerre islamophobes contre « islamistophiles » dont je parlais dans mon bouquin n’a jamais cessé, au contraire…

    Si V13 m’a servi à quelque chose, c’est à mieux connaître la Justice, et surtout à me poser des questions sur ce qu’elle doit être. J’ai eu la chance pendant et après le procès de rencontrer des avocat.e.s, parties civiles comme défense, et j’ai pas mal réfléchi (je continue toujours…). Avant même ces échanges, j’avais trouvé curieuses certaines condamnations du verdict de V13, et cela s’est confirmé. Des déclarations de maître Kempf notamment, et surtout des discussions avec maître Ronen, m’ont un peu mieux fait comprendre ce qu’est censée être la Justice. Elle n’est pas faite pour apaiser les parties civiles, ni envoyer un message politique à la société. Ce n’est pas non plus de la vengeance. On juge des gens pour ce qu’ils ont fait avec comme seule base le droit.

    La décision de la cour d’Assises spéciale du procès de l’assassinat de Samuel Paty me donne l’impression qu’une fois encore on est plus dans la politique que dans la Justice. Les réactions des avocats de la défense ressemblent d’ailleurs beaucoup à celles de V13. C’est leur boulot, sans doute. Il suffit pourtant de lire les motivations des juges pour trouver qu’il y a quelque chose qui ne va pas, en particulier dans la complicité de terrorisme.

    Comme pour l’apologie de terrorisme, cette qualification d’AMT, qui peut sembler pertinente dans un premier temps (sauf pour beaucoup de juristes…) montre ses limites, voire ses possibles effets pervers, jusqu’en appel où on peut s’attendre à un jugement tout autre, et toutes les conséquences négatives qui iront avec...

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