La créativité à l'ordre du jour

C'est la rentrée et... le Monde poursuit son offensive. Son nouveau terrain de lutte? La créativité à l'école. Dans un papier fort divertissant, même s'il n'est pas certain que son auteur ait recherché l'hilarité de ses lecteurs, l'urgence est déclarée. Plus de temps à perdre car le système scolaire français n'en a que trop perdu. Et l'enjeu n'est pas mince! Rien de moins que le troisième millénaire. Urgence donc, "à former une nouvelle génération qui soit réellement créative. Pas seulement parce que notre économie de la connaissance en a besoin, mais parce qu'on ne peut pas lire le troisième millénaire à travers le prisme du précédent. Et aussi parce que les enjeux auxquels la planète doit faire face nécessitent des solutions innovantes". On se remettait à peine du discours de Valérie Pécresse dans lequel les sciences humaines n'avaient d'utilité que pour donner le sens des progrès scientifiques – les vrais, ceux que les sciences expérimentales obtiennent – et pour expliquer le monde contemporain ; voilà que l'histoire est condamnée, bien incapable, chacun en conviendra, de servir à quoi que ce soit dans le meilleur des mondes qui s'annonce.
Les esprits chagrins objecteront qu'une société sans histoire n'a pas d'avenir. La réponse ne se fait pas attendre. Baliverne à l'époque d'internet que cet aphorisme. La mémoire devient inutile, l'être humain a désormais les moyens d'éviter de cultiver ce qui fut, il n'y a pas si longtemps, un art. Comment? "En mettant à disposition en quelques clics tous les savoirs du monde, l'Internet nous dispense désormais d'exercer [notre] mémoire". Ainsi, chacun pourra se concentrer sur son imagination et sa raison. Comme l'a annoncé Edgar Morin le 17 décembre 2007 devant l'Institut national de Recherche en informatique et en Automatique, "Nous sommes condamnés à devenir inventifs, intelligents, transparents. L'inventivité est tout ce qui nous reste. La nouvelle est catastrophique pour les grognons, mais elle est enthousiasmante pour les nouvelles générations car le travail intellectuel est obligé d'être intelligent et non répétitif comme il l'a été jusqu'à maintenant". Voilà un jugement définitif qui économise... la lecture d'Edgar Morin et de ses collègues.
À l'énoncé de telles évidences, on s'étonnera avec l'auteur de cet article – on n'ose le qualifier de journaliste... – que "pourtant, l'école résiste". Alors même que "la loi d'orientation de 2005 et le socle commun des connaissances et des compétences qui en est issu prévoient en effet le développement de ‘l'autonomie et de l'initiative’ visant à développer, notamment, ‘curiosité et créativité’". Sans doute par manque de place, nulle référence n'est faite au Plan licence qui, fidèle à ce nouveau credo, encourage le développement personnel, l'interdisciplinarité... Mais il suffit sûrement de préparer le "certificat de créativité […] délivré au sein de l'université Paris-V-Descartes", proposé depuis deux ans. "Les fondamentaux de cette compétence, aussi bien que l'approche scientifique de la notion et les techniques de développement y sont au programme". Nous voilà donc sommés de nous mettre à la créativité! Tout un programme en effet...