Dans une note de 18 pages, le Comité de pilotage des Assises a rédigé une synthèse des quatre vingt cinq auditions réalisées. Celles-ci ont été menées entre les 28 et 31 août et les 17 et 18 septembre. La disproportion manifeste entre l'importance du sujet, le nombre d'organisations consultées et les cinq jours d'audition permet légitimement de s'interroger sur la qualité générale de la procédure retenue, quand, en outre, les rédacteurs reconnaissent eux-mêmes que le calendrier est contraint.
Mais dès la page suivante, l'auto-célébration est de mise, avec un coup de brosse à reluire sur les chaussures ministérielles, gouvernementales et présidentielles, puisque "les organisations ont répondu présent […] et se sont félicitées de la tenue des Assises". Le passage de la participation à la caution est toujours rapide. Voilà les auditionné(e)s prévenu(e)s. Reconnaissons néanmoins qu'il était nécessaire de "renouer avec la culture de la concertation et de la collaboration dans le milieu académique", même si en matière de collaboration certains acteurs de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche affichent déjà dans leurs CV une longue pratique.
Mais foint d'ironie ! et prenons au mot le Comité de pilotage qui se propose par cette note de "stimuler la réflexion dans les Assises territoriales". Stimulons donc, en envisageant ce texte, non pas comme une synthèse, mais comme l'expression d'une idéologie partagée.
Un bilan sans concession des dernières années ?
À la lecture de cette note, s'il apparaît un point qui ne fait guère débat, c'est bien la gravité de la situation actuelle et la dégradation que les organisations analysent comme une conséquence des réformes précédentes, notamment de la loi LRU. Au-delà des critiques bien connues sur la concentration des pouvoirs entre les mains des présidents – on aurait aimé assister à l'audition de la CPU pour savoir si nos bons maîtres ont concédé quelques abus en la matière, l'air contrit – (p. 13-14), le rôle de cette loi dans la situation financière des universités est pleinement affirmé. Toutefois, car il convient toujours de plaire au commanditaire qui a déjà indiqué que l'heure n'était pas à l'abrogation, les rédacteurs peuvent affirmer sans sourciller que "le texte de la loi LRU ne comprend pas d'éléments financiers à strictement parler" et mettre l'accent sur "les décisions budgétaires prises par ailleurs" (p. 14). Or, le passage aux responsabilités et compétences élargies qui correspond à la pleine application de la loi entraîne une mise en déficit des universités, ce que nombre d'organisations et même de présidents qui les ont faites voter par leur CA de manière anticipée, n'ont eu de cesse de dire et d'écrire. "À strictement parler", il serait plus conforme à la réalité de convenir que la loi LRU avait pour ambition de créer une situation déficitaire amenant les universités à tenir compte des réalités, c'est-à-dire l'obligation de geler des postes ou de les convertir en heures de vacation, supprimer des disciplines, etc. Ce n'est que par ce biais, celui du déficit budgétaire, que la mise en concurrence des établissements produit ses effets délétères et recherchés. De ce point de vue et à bien y réfléchir, la coopération, vantée p. 2, peut tout autant mener à la diminution de l'offre de formation dans les établissements.
La politique d'évaluation fait également l'objet de critiques sévères. Les collègues qui se battent pour être notés A+ par l'AERES ou qui déposent des projets ANR apprécieront le passage suivant. "Les évaluateurs, surchargés, en viennent souvent à substituer, pour fonder leur jugement, une brève considération d'indicateurs bibliométriques à une analyse de la production scientifique. Les comportements stéréotypés et conformistes sont favorisés par ces procédures" (p. 15). Mais plutôt que d'inviter les participants aux Assises à mettre en question la notion d'évaluation, il est pour le moins inquiétant de lire dans une note que "deux organisations internationales promeuvent ‘le processus qualité’ en général comme une démarche essentielle contribuant à l'égalité des chances et l'homogénéité des services publics de l'ESR dans chaque pays" (p. 14 n. 24). Le New Public Management n'a-t-il pas encore fait suffisamment de ravages ? En ne mettant pas en cause les logiques profondes la loi LRU, ces Assises risquent donc de renforcer ce qu'elles prétendent combattre, à moins que leur finalité essentielle sinon première soit seulement d'inviter les mécontents à exprimer leur mécontentement.
Cette note de synthèse semble ainsi osciller en permanence entre idéologie du commanditaire, critique sans concession des années précédentes et même critique des Assises ! Ainsi, concernant la précarité des jeunes chercheurs, les rédacteurs n'hésitent pas à pointer que "les auteurs de projets, qui parfois recrutent massivement des jeunes chercheurs en situation précaire, les établissements, employeurs, ne peuvent pas s'exonérer de leurs responsabilités" et de dénoncer la place occupée par l'ANR (p. 11). De manière plus ambiguë, ils notent que "le temps de travail des enseignants-chercheurs (des jeunes en particulier) ainsi que la réglementation de leurs activités extra-universitaires variées n'ont pas donné lieu à beaucoup d'interventions. Cela peut être dû aux choix des trois grandes thématiques [la réussite des étudiants, l'ambition pour la recherche et l'organisation de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche] " (p. 11, c'est nous qui soulignons). Voilà donc un sujet majeur, passé sous silence, en raison des modalités retenues par le ministère ! Ajoutons que cette considération sur le temps de travail, insérée dans la partie consacrée à la recherche, pourrait tout autant figurer comme un facteur affectant la réussite des étudiant(e)s. Cette prise en compte aurait évité aux rédacteurs de suggérer, sur le mode de l'évidence, que les PRAG/PRCE sont plus disponibles que les enseignants-chercheurs et qu'il conviendrait donc d'accroître leur présence dans les trois années de licence (p. 4). Mais pourrait-il de toute façon être question de réduire le temps de travail des enseignants-chercheurs, c'est-à-dire d'embaucher massivement dans l'enseignement supérieur et la recherche ? La réponse est dans la question…
Pédagogie 2.0 ou 0 pointé ?
Avouons d'emblée la profonde surprise éprouvée en lisant que "la loi LRU n'avait pas de visée pédagogique" (p. 3). Au contraire, en modifiant les finalités des missions de l'Université, c'est-à-dire en ajoutant après l'enseignement et la recherche l'insertion professionnelle, le législateur affichait clairement son ambition, imposer une nouvelle logique. Mais parce qu'elle participe du renforcement de l'ordre dominant, elle semble n'être qu'une évidence. De manière implicite, les rédacteurs chantent à l'unisson sur l'air du temps, par exemple en évoquant le nécessaire renforcement du "lien – et même [de] la connaissance mutuelle – entre l'enseignement supérieur et le monde socio-économique" (p. 6), comme si les universités étaient par définition en dehors du monde socio-économique, ou bien en évoquant "les attentes de la société civile" (p. 2) comme si en l'occurrence la question principale n'était pas celle du service public et de l'État tel que Pierre Bourdieu l'entendait (Sur l'État, Paris, 2012). Qui s'étonnera dès lors de lire que "les entreprises peinent énormément à trouver des jeunes ayant simplement envie de travailler en entreprise, un monde qu'ils connaissent mal et qui manque dramatiquement d'attractivité" (p. 5) ? Les rédacteurs semblent ignorer qu'une forte proportion des étudiant(e)s travaillent en entreprise pour financer leurs études [contrairement aux rédacteurs de cette note] et n'ont donc pas à la découvrir.
Mais cette remarque a une autre visée, exprimée peu après. "De nombreux auditionnés ont souligné le besoin de sensibiliser les étudiants tout au long de leur formation à la culture entrepreneuriale" (p. 6). Il est alors tentant de cliquer sur ce passage en gras, en espérant trouver à défaut d'un lien hypertexte, le sous-texte, l'apologie de l'entrepreneur, figure inverse et positive de l'étudiant(e) engluée dans la "connaissance pure" (p. 6). Comme une telle affirmation ne peut être exprimée, il faut en sublimer la logique dans des considérations sur la "révolution en cours, celle du numérique" (p. 6). Sans doute avons-nous là le meilleur de cette note, la banalité la plus convenue présentée comme une fine analyse. Notons au préalable qu'il n'est pas aisé alors de savoir qui parle, puisque le texte mentionne "nos pratiques pédagogiques". Quoi qu'il en soit, l'heure est au bouleversement de "la relation entre l'individu et le savoir […] dans la génération des ‘digital native’". Il faut en finir avec "un savoir livresque" et développer "l'esprit critique" puisque "le savoir est immédiatement accessible partout". Feu sur "l'amphithéâtre, le lieu traditionnel d'une transmission d'un savoir du professeur vers l'étudiant". Le risque est grand sinon de voir "notre enseignement supérieur [devenir] un véritable anachronisme" (p. 6).
La ritournelle des transformations intellectuelles liées à des changements technologiques amusera les lecteurs de Jack Goody, lequel a bien montré les limites de tout déterminisme en la matière. Quant à la dénonciation de l'amphithéâtre, comment ne pas citer Alain qui dénonçait l'inutilité des cours magistraux dans ses Propos sur l'éducation (Paris, 1932), et ne pas rappeler que nombre d'enseignants n'ont pas entendu les Assises ? Force est de constater que les anachronismes ont la vie dure ! Sans doute parce que la pédagogie ne consiste pas à apprendre à consulter des sites internet, pas plus qu'elle ne consiste à envoyer des étudiant(e)s consulter des ouvrages. Le savoir universitaire est une construction, faite de doutes et de questionnements partagés et discutés. Pour le plaisir, citons enfin cette curieuse proposition des rédacteurs, invitant à réfléchir sur les bibliothèques universitaires à l'aune des seuls outils numériques (p. 6-7). S'agit-il de les aggrandir pour qu'elles puissent accueillir plus d'ordinateurs ? En tout cas, la question du livre et celle des abonnements aux revues – faut-il rappeler que les bouquets d'abonnement numériques ont montré de nombreuses limites – semblent accessoires.
Mais l'important est ailleurs, c'est l'échec en licence puisque cette question gouverne le premier thème des Assises, celui de la réussite des étudiants. Il est piquant de lire dans une note infrapaginale que la France a plutôt de bons résultats en la matière. Selon la DGSIP, "20% seulement des étudiants qui entrent dans le supérieur (toutes filières confondues) en sortent sans diplôme, ce qui est l'un des taux les plus bas de l'OCDE (30% en moyenne)" (p. 3 n. 5). Dans une note également, le lecteur attentif apprendra que, à condition de mener le bon calcul, "le coût de l'étudiant en licence est de l'ordre de 4 000 ou 5 000 euros selon le cas, à comparer [avec] les 15 240 euros en CPGE en 2010", soit un rapport de 1 à 3 et non de 1 à 2 comme il est souvent dit (p. 4 n. 6). Ces deux éléments devraient amener à définir différemment l'objectif de démocratisation de l'enseignement supérieur. Il n'en est pourtant rien, tant la logique du commanditaire s'impose. Les rédacteurs reprennent l'antienne de l'élargissement disciplinaire de la première année, le continuum Bac-3 / Bac+3 et l'orientation active. À lire la note de synthèse, cette dernière apparaît comme une sélection sociale objectivée, donc renforcée, c'est-à-dire une adaption des préférences subjectives aux probabilités objectives, lorsqu'il est question "d'aiguiller des étudiants vers des cursus où la probablité de leur succès est malheureusement statistiquement très faible" (p. 14). En un adverbe, malheureusement, les inégalités sociales sont devenues un fatum. Concernant les deux premiers objectifs, il suffira d'indiquer ici que les liens entre recherche et enseignement semblent n'avoir aucune incidence sur la réflexion des rédacteurs de ce texte, même s'ils reconnaissent plus loin l'importance du CNRS en matière de développement de la pluridisciplinarité (p. 10).
Ainsi, en acceptant la commande et la logique du commanditaire, les acteurs des Assises, organisations comme membres du comité de pilotage, s'inscrivent dans une logique qui, faute d'avoir été déconstruite, s'impose comme une évidence, celle de La lettre volée. Cette concertation risque ainsi surtout de ne pas faire apparaître le véritable enjeu du moment, celui de la refondation du service public de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mais il n'y a pas de fatalité en la matière. Il y a simplement obligation d'imposer d'autres questionnements – l'action politique réelle est une action symbolique –, première étape indispensable à la rupture d'une part avec le Pacte sur la Recherche et la loi LRU et d'autre part, et plus généralement, avec la transformation initiée probablement par le processus de Bologne. Et si l'air du temps était le temps des cerises ?
Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque à l'université Bordeaux 3