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Billet de blog 4 mai 2020

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"Ciel mon placard" de Nicole Genovese, mise en scène Claude Vanessa

3 avril 2018 Comme une envie de m'improviser critique théâtrale

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Amis des environs de Lyon, vous avez bien de la chance !

la semaine prochaine "Ciel ! Mon placard" passe à Oullin.

Je me permets de vous embêter avec cette prose sur Facebook que m'avait inspiré la pièce il y a 2 ans, lorsqu'ils passaient au théâtre du Rond Point :

Comme une envie de m'improviser critique théâtrale. Pas une envie d'être publié où que ce soit, mais une profonde envie de partager ma joie d'avoir assisté hier soir à la représentation de Ciel ! Mon placard.

Ma plume n'aura pas la culture des grands journalistes spécialisés dans les différentes qualités de rideaux rouges mais j'espère qu'elle saura attiser une certaine curiosité et vous donner envie de jeter un œil dans le trou de la serrure de ce fameux placard.

Illustration 1

Le théâtre grunge de Nicole Genovese

où l'expression désinvolte d'une troupe cultivée

(attention ça va « spoiler »…)

Ciel mon placard est une libre expression autour du théâtre de boulevard. Un genre que l'auteur comme les acteurs voudraient vomir (on sent bien que même si il nourrit une respectueuse conscience populaire et qu'il fait partie de leur histoire du théâtre, ce genre n'est la panacée d'aucun des acteurs de cette pièce). Mais un genre que cette généreuse troupe cuisine avec une légèreté jubilatoire.

Tous s'appliquent à jouer par-dessus la jambe, sur-jouant jusqu'à l’outrance une partition aux péripéties qu'on croit toujours entendues par ce qu'impose le genre. Mais des péripéties qui prennent toujours la direction du décalage, de l'absurde, du surréalisme voire du punk.

D'aucuns diront qu'il faut que jeunesse se fasse et qu'on n'aborde pas les grands sujets de la société en hurlant avec un couteau en plastique dans un décor qui sent la sueur du centre social.

Moi je veux crier que c'est un grand théâtre qui assume sa désinvolture et sa vision désabusée d'un théâtre et d’une société qui s'essouffle.

Tout est de travers madame la marquise. Tout va très bien tout va très bien.

Le maris bourgeois capitaliste et cocu pousse le libéralisme jusqu'à des travers pédophiles qui fait gentiment sourire toute la bonne petite société que dépeint cette pièce : les petites gens au service de « mossieur », le notaire que personne ne veut voir, le gendarme qui cache derrière son enseigne la fragilité d’un amoureux des Arts et même sa victime, charmante petite enfant en culotte courte qui dissout des propos nymphomanes dans des lettres à l’écriture infantile.

L'amant de sa femme à un amant qui lui présente l’enfant né de leur union charnel, forçant ce dernier à quitter les joies de l’adultère en le plongeant dans l’angoisse de la paternité.

Esseulée, la femme bourgeoise, légère et "moderne", tente d’oublier sa solitude avec une énergie qui met à mal tous les tabous de nos bonnes mœurs : petits arrangements avec l’esclavage moderne, avec la mort et avec ce grand magasin dont elle ne peut rater l’inauguration, même si il lui faut se rendre au chevet de sa belle-mère.

Parlons de la belle-mère : Elle n’est pas là mais elle est l’image solide de la belle maman des héritages. Elle est aussi cette maman de la maternité et des attentions aux petits déjeuners. Et bien comme pour achever la seule image qui échappait à cette destruction de la figure établie, cette figure invisible finit par mourir et les quiproquos vont s’accélérant avec une joyeuse dextérité.

Entre cette mère qui meurt, cet enfant qui naît, ces applaudissements enregistrés et ce rire qui arrive de partout, on se retrouve face à une grande fresque pop et envoutante, quelque chose d’hybride et inclassable entre l’œuvre atemporelle d’un Bill Viola (voir « The Passing ») et la constance graveleuse d’un Reiser. Loin du théâtre donc, mais bien là, incarné, sur scène.

Dans cette façon d’être jetés sur scène (tiens d’ailleurs qui est ce Claude Vanessa qui signe la mise en scène ?) les comédiens nous donnent l’impression de créer le spectacle en direct. De le dessiner au moment venu. Avec les gros traits de la caricature, on est comme dans ce qu’aurait été un dessin de Charb. Chaque comédien y joue sa propre partition singulière. A sa propre façon de jouer. Sa propre voix. Sa propre démarche. Même si la somme de leurs mots fait sens et qu’on les voit s’amuser ensemble de tous ces codes, on ne peut pas vraiment dire qu’ils jouent ensemble. On pourrait presque même dire qu’ils ne font que de la musique. Qu’ils sifflotent des mots, qu’ils twittent, l’un à côté de l’autre, dans une sorte de logorrhée abstraite et transcendantale à travers laquelle il chercherait désespérément à sortir de la situation sociale et dramatique qu’impose leur figure. L’ensemble forme le triste dessin d’une condition humaine dessinée par d’autres. Le dessin d’une société abrutie par le spectacle des médias.

Chaque comédien est seul et cherche la meilleure façon de jouer à côté. Non pas seulement à côté de l’autre mais véritablement à coté de lui-même. A côté de son personnage. Comme pour accentuer cette figure de style, comme pour enfermer encore plus son personnage dans sa forme d’apparat. Comme une véritable troupe, tous ces comédiens se saignent sur scène pour défendre cette esthétique aussi singulière que géniale (même s’ils débarquent de nulle part dans ce grand théâtre du Rond-Point, ils sont beaucoup moins jeunes et inexpérimentés qu’on peut le croire). On pourrait parler d’une esthétique Grunge. Quelque chose de crade et d’angoissé, dans le rejet de la théâtralité, dans le refus d’assumer des responsabilités, et dans le pragmatisme d’une vision éclairée et désabusée du monde.

Comme pour aider un peu chacun de ses personnages dans ses difficultés de la vie (la vie d’un personnage de Boulevard est d’une incessante complexité), une sublime et voluptueuse chanteuse lyrique sort régulièrement de son placard telle une Valkyrie décoiffée pour porter haut les maux de chacune de ces figures. Beaucoup y verront une pointe d’absurdité, un décalage surréaliste. Pour moi c’est comme si elle venait apporter un rien de subconscience à ces ombres de figures humaines. Et en même temps, comme elle chante (très bien et sur de très originales compositions originales) c’est comme si elle venait surlignez au fluo en hurlant «Regardez, tout ça n’est que musicalité, tout ça n’est que figure de style, tout ça n’est que désincarnation ». Du théâtre grunge je vous dis.

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