Dans cette France,à la fois pompidolienne et post-soixante-huitarde, la télévision était le produit du monopole d'état de l'ORTF. Les téléspectateurs n'avaient le choix qu'entre 2 ou 3 chaînes. Les débats politiques étaient structurés sous la forme d'une émission "A armes égales", en soirée, entre deux personnalités. Cette émission commençait par la diffusion de deux séquences produites chacune par l'un des deux invités, avant un débat contradictoire entre ceux-ci.
Ce soir-là, Maurice Clavel (voir Wikipédia, et ne pas confondre avec l'autre écrivain Bernard Clavel), était l'un des deux invités. Mais, après la diffusion de sa séquence, il pris la parole et déclara, que sa séquence avait été tronquée sans qu'on lui ait demandé son accord, et "que ce soit pour une phrase, ou pour un mot", cela était inadmissible. Sur ce, il termina son intervention par un sonore "Messieurs les censeurs, Bonsoir!" et quitta le plateau de télévision, laissant les producteurs médusés, et les téléspectateurs étonnés.
On apprit alors que les producteurs avaient en effet tronqué une phrase qui affirmait en substance, "l'horreur et l'aversion" de Pompidou pour la Résistance. Ils avaient retiré "et l'aversion". Le lendemain, cette phrase était le principal sujet de discussion au lycée. Quelques jours plus tard, le "Nouvel Observateur", que l'on pouvait considérer alors comme un journal de Gauche, publiait le texte in-extenso de la séquence censurée.
Cinquante ans plus tard, on peut légitimement se demander ce qui se passerait maintenant dans les mêmes conditions. En premier lieu, la multiplicité des canaux de diffusion (nombre de chaînes accessibles, réseaux sociaux...) diluerait l'impact d'un tel événement. Personne n'empêche quiconque de produire une émission critique, surtout si sa diffusion reste marginale. De plus, le "service de censure" est privatisé: ce ne sont plus des producteurs dépendant de l'Etat qui décident de ce qui peut être diffusable au bon peuple, mais des personnes stipendiées par des propriétaires privés (et souvent milliardaires...). Au contraire, le CSA, qui à pour rôle d'être arbitre et indépendant, est de fait inefficace: quand il signale l'inégalité de traitement des informations et acteurs politiques, CNews a beau jeu de diffuser ceux qui ne lui plaisent pas aux heures de basse écoute, c'est-à-dire en pleine nuit. Et quand le CSA stigmatise cette partialité, de se présenter en victime et crier au droit de défendre ses libres opinions...