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Billet de blog 29 mai 2010

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Géographes

La géographie est ma passion. J'aurais souhaité être géographe, mais Sciences Po m'a conduit vers d'autres horizons intellectuels, dans lesquels la géographie est "complexifiée", "diluée" et pire, niée.

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La géographie est ma passion. J'aurais souhaité être géographe, mais Sciences Po m'a conduit vers d'autres horizons intellectuels, dans lesquels la géographie est "complexifiée", "diluée" et pire, niée. Dans un billet qui ne sera jamais publié, je voulais vous parler à cet égard de Jacques Lévy, un géographe pour qui la globalisation financière s'impose d'elle-même et qui fait autorité à l'IEP et chez ceux pour qui la géographie doit être la plus absconse et fumeuse possible.

Jacques Lévy ne mérite pas un billet à lui seul, pour qui rien ne fait problème dans le monde contemporain: la pauvreté, les logiques de transformation du capitalisme: tout cela peut être spatialisé, "chorémisé" et, en tout état de cause, jamais questionné. On est avec Lévy hors du temps, hors de l'Histoire, dans une sorte de paradis fukuyamien scieces-potiste.

Depuis que la géographie existe en tant que science sociale universitaire constituée (c'est-à-dire depuis le grand découvreur que fut Alexander Von Humboldt), le géographe est, plus que jamais, un auxiliaire des puissants et des militaires: l'homme (rarement la femme, quoique certaines ont été ministre de réaction) qui devançait les conquêtes coloniales et "naturalisait" les peuples coloniaux dans leurs modes de vie ancestraux. Aujourd'hui, le géographe post-historique est un bo-bo déterritorialisé sociologisant, auxiliaire zélé du grand capital. Il réfléchit donc sur la spatialisation des quartiers financiers des "villes-mondes", à l'image de l'éminente Saskia Sassen.

Dans la géographie d'aujourd'hui, il y a des "impensés" qui font tâche. Pour ne donner qu'un exemple, les politiques étaient incapables de situer en 2002 les espaces périurbains qui avaient permis à Le Pen de devancer Jospin. Je me souviens d'une conférence à l'IEP, entre les deux tours de scrutin, où le brave Olivier Duhamel était venu stigmatiser Le Pen en des termes indignes du grand politologue qu'il est par ailleurs, totalement incapable s'agissant d'expliquer où le phénomène se situait. Dans les jours qui ont suivi, l'état-major du CEVIPOF (l'organe de réflexion politique "indépendant" le plus servile qu'on puisse concevoir en France) lui emboitait le pas et se mobilisait dans une autre conférence et dans un climat d'alerte pitoyable eu-égard aux responsablités des participants, autour de cette "France que l'on ne connaît pas, la France des petites gens vivant en pavillon": ainsi la France des banlieues pavillonnaires du 77, où le "sentiment d'insécurité est perçu".

Bien entendu, aucune carte n'est sortie de ces simagrées de politologues du 7ème arrondissement, qui ne connaissent pas la géographie politique. Pas de salut possible après le grand Yves Lacoste.

Qu'attend-t'on du géographe ? Qu'il soit un outil d'aide à la décision politique et nous renseigne sur un maximum de phénomène sociaux. Les nouveaux et jeunes géographes ne déméritent pas mais peinent toujours, pour des raisons de "dépendances" à l'égard de leurs aînés que l'on comprend aisément, à cartographier l'immontrable, l'envers du décor: l'ensemble des favelas brésiliennes (qui sont pourtant bien réelles dans l'espace physique) sont ainsi brouillées sur Google Earth et l''insalubrité" n'est jamais cartographiée, contrairement à la criminalité violente. Il en va de même pour la "pauvreté". Outil d'aide aux politiques répressives et stigmatisantes, la géographie a pour fonction essentielle de servir, sans comparaison possible avec l'Histoire.

La "géo" reste donc la science humaine la plus sous influence de l'idéologie dominante. Et le principe d'indépendance des professeurs d'université n'atténue en rien cette évidence: les plus chevronnés (par exemple, le très "officiel" Jean-Robert Pitte) sont aussi les scientifiques les plus déterminés à servir la droite, et soutiennent farouchement la privatisation des universités, au sein par exemple de la Fondation pour l'innovation politique de l'"éminent" Dominique Reynié...

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