Nous sommes partis de Paris vers 9h sans aucune force de l'ordre à l'horizon, 177 personnes réparties dans 4 bus.
Nous devons souligner le courage et la détermination de la compagnie des bus qui avait auparavant, et dans les deux jours précédents, subi de nombreuses pressions de la Préfecture.
L'ambiance était bon enfant et chaleureuse dans les bus. Une question était dans toutes les têtes cependant : jusqu'où pourrons-nous rouler...

A 50 kilomètres de Paris : premier contrôle. Il concernait seulement les conducteurs qui ont dû montrer aux gendarmes leur feuille de route et leur carnet de circulation. Il leur fut demandé s'ils se rendaient à une manifestation. La réponse fut unanime : nous nous rendons visiter nos camarades dans la "jungle" de Calais, pas question de manifestation.
A 150 kilomètres de Paris, deuxième contrôle plus pressant sur les chauffeurs. Le nôtre avait la malchance d'être né en Yougoslavie, pays qui n'existe plus, et les policiers ne trouvaient pas sur leurs documents son lieu de naissance ! On a été jusqu'à se demander s'il était vraiment né et si nous avions réellement un chauffeur. Cela a pris un peu de temps…
Au péage proche de Calais, à 35 kilomètres de l'arrivée, 15 voitures de police nous attendaient. Il y avait, parmi les nombreuses forces de l'ordre, un maître chien avec son chien bardé d'un petit paletot sur lequel on pouvait lire : gendarmerie et une jeune recrue lourdement armée.

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Nos bus ont obtempéré à l'ordre de se garer sur l'aire de repos indiquée. Il y avait du soleil, des toilettes, un point d'eau et l'ambiance était quasi bucolique.
J'ai eu la chance d'être en tête et nous sommes tous sortis du bus. Les occupants des autres cars devaient rester à l'intérieur. Responsable du bus, j'ai dû décliner mon identité (nom prénom date et lieu de naissance adresse) étant donné que je n'avais aucun papier sur moi.
Un gendarme a tenu alors à me remettre en main propre l'arrêté d'interdiction de manifestation.
La pression a alors débuté beaucoup plus fortement sur les chauffeurs. Le nôtre avait un vague problème de congés non pris dans la semaine et s'est vu menacé d'une amende de 750 euros.
Assez vite cependant les camarades des autres bus ont été autorisés à sortir et le chef de la police nous a signifié que vu que la manifestation était interdite nous devions faire demi tour sinon les chauffeurs de bus risquaient la garde à vue et le contrôle d'identité serait effectif pour chaque voyageur. Le moyen de pression était d'autant plus efficace que nous avions dans les bus de nombreux sans papiers, migrants et réfugiés.
S'en suivit une longue discussion collective. Les avocats furent consultés. De nombreuses prises de parole pesèrent le pour et le contre. Les réfugiés se mirent à danser leurs danses traditionnelles, des mètres de tissu sortirent des bus et les bombes de peinture commencèrent à écrire en français, en arabe, en farsi : Paris Calais Solidarité, Liberté de circulation et d'installation.
Nombreux-ses étaient ceux qui proclamaient haut et fort que c'était un scandale d'être interdit de visiter des amis !
Une manifestation prit forme et déambula en criant les slogans habituels. La Marseillaise des sans papiers fut entonnée. Tout ceci dura près de 4 heures, sans aucune visibilité, malheureusement, vu l'aire reculée où nous avions été parqués.

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Les nouvelles de la "jungle" arrivaient par téléphone : nos camarades subissaient une répression comme jamais avec les grenades lacrymogènes et les canons à eau (Une vidéo est disponible ICI).
La décision fut finalement prise collectivement de ne pas mettre en danger les chauffeurs de car ni la compagnie et de ne faire courir aucun risque supplémentaire aux personnes sans titre de séjour.
Tout le monde remonta dans les cars, seulement après avoir eu l'assurance qu'aucune poursuite ne serait effectuée. Nous fûmes escortés par la police jusqu'à l'entrée en Ile de France.
Vers 21 heures, les cars nous déposaient porte de la chapelle. Déçu-es, bien sûr, mais conscient-e-s que la lutte doit continuer.