Difficile de trouver quelques part un inventaire des manifestations françaises en soutien aux Gazaouis depuis un bon mois. Quand aux chiffres, ma bonne dame, vous rêvez, nous en sommes en France !
Un billet contre l'invisibilisation.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
J'aime les inventaires, mais j'hésite à me lancer dans celui-ci. Pas journaliste. Pas mon boulot. Trop énervée aussi pour ce travail de sang froid et de longue haleine.
Juste donc quelques dates, des témoignages, quelques images.
21 octobre 2023
La manifestation à Lyon a été interdite. Ma semaine a été harassante et je n'ai plus trop l'âge des manifs interdites (ici, c'est vite très sportif). Je décide de ne pas y aller. En fait, elle aura lieu, autorisée au dernier moment par un référé.
Le documentariste Pierre Korrichi a fait une vidéo. Moi, pendant ce temps, en toute lâcheté, je suis restée chez moi. Je n'ai pas eu le courage de braver au dernier moment les interdictions de manifester.
C'est une journée terrible, car Gaza est sous un tapis de bombe. On sent que ce n'est que le début et que l'offensive terrestre ne va pas tarder. Le temps semble suspendu, dans l'attente de l'horreur. Le Collectif 69 de soutien au peuple palestinien organise une Veillée pour la Palestine. Il faut venir avec des bougies. Je n'en ai pas. Je fais rapidement quelques magasins dans mon quartier. Échec. Tant pis, je suis déjà en retard.
Je suis contente de me mobiliser après les interdictions en commençant par une veillée, une forme dans laquelle je suis en sécurité, une forme qui me permet de me recueillir face à l'horreur.
J'arrive sur place et je me glisse dans la foule. Une très grande majorité de femmes. Visiblement, un bon nombre d'entre-elles sont liées à la Palestine d'une manière ou d'une autre. Je les sens inquiètes, concernées. Beaucoup de dignité. Un grand calme.
Je suis rassurée. J'avais peur d'une ambiance tendue.
Il n'y a pas beaucoup de femmes blanches dans le rassemblement. Pas assez, c'est sûr, pour que les femmes liées à la Palestine se sentent soutenues par des françaises blanches comme moi.
Lectures de poèmes, de textes de gazaouis reçus ces derniers jours, de la musique, des chants, des bougies.
J'apprends que le rendez-vous du vendredi soir est très régulier pour Les femmes en noir de Lyon. Elles appartiennent à un réseau international pacifiste créé dans les années 1980 à Jérusalem et réunissant des femmes israéliennes et palestiniennes.
Il pleut. Je suis venue sans parapluie. Une jeune femme me propose de partager le sien. J'accepte en m'excusant de mon étourderie. Elle me dit : "Ce n'est pas grave, il y a toujours des âmes charitables". Je la remercie et je me dis en secret que je n'ai jamais été accueillie comme cela dans une manif. Pendant un chant, je vois qu'elle a les larmes aux yeux. Je comprends à demi mot qu'elle et ses sœurs ou cousines juste à côté sont directement concernées par ce qui se passe à Gaza.
Une minute de silence pour les gazaouis sous les bombardements
À la fin les slogans habituels de soutien à la Palestine, un mec les lance au micro et toute l'assemblée répond très fort. Après le recueillement, on sent que cela redonne du courage à beaucoup de femmes. Des sourires remplacent les mines figées et les yeux humides.
Un slogan terrible résume la soirée :
" Enfants de Gaza
Enfants de Palestine
C'est l'humanité
Qu'on assassine"
Dans la rue d'à côté, j'ai compté 7 cars de CRS, déployés devant les vitrines pour les protéger.
Quand j'ai quitté le rassemblement, la situation était calme.
Ce rassemblement m'a fait du bien. Il m'a permis de sortir de la tension produite par les images de Gaza qui circulent pour rentrer dans le réel. Faire quelque chose. Partager l'inquiétude et l'émotion, même si bien entendu, mon ressenti n'avait probablement rien à voir avec ce que ressentaient beaucoup de femmes présentes, dont la douleur affleurait sous la pudeur.
02 novembre 2023
Rien à Lyon à ma connaissance, mais il y a des actions ailleurs.
Je ne vais pas toute seule au rassemblement. J'avais l'intention de prendre des photos, mais finalement, les choses se passeront différemment.
En manif, j'aime toujours un peu regarder la sociologie "visibles" des manifestants. Entre les codes vestimentaires, les slogans, les pancartes, cela donne globalement une idée. Je m'attendais à voir un peu le milieu militant habituel, qui varie bien sûr selon les mots d'ordres et les sujets. Et là, j'hallucine. Jamais vu une manif aussi populaire. C'est très différent du mouvement pour la réforme des retraites, où il y avait des gens de différentes catégories sociales. Là, c'est vraiment principalement populaire.
Une partie des quartiers est vraiment dans la rue. Tous les âges, des hommes, des femmes. En famille, en groupes d'ami.e.s. Un commentateur de Médiapart qui y était parlait de forte présence de la communauté franco-maghrébine. Personnellement, j'ai eu l'impression d'être dans mon quartier.
Bizarrement, alors que le sujet est grave, l'ambiance est détendue, les gens sont motivés. Ils se croisent, discutent un peu, crient des slogans. Ceux-ci fusent un peu partout, facilement repris par les autres. C'est vraiment convivial.
La manif est bien canalisée. Parmi le service d'ordre, je reconnais un ancien prof de danse chilien, qui nous avait raconté sa jeunesse sous la dictature de Pinochet. Un mec assez centré sur sa pratique artistique. Pas son style d'encadrer des manifs, enfin, c'est ce que je croyais. Je m'étais trompée.
À un moment, je suis à côté d'un groupe de femmes qui tiennent un grand drapeau palestinien à l'horizontale. J'ai allumé mon téléphone pour enregistrer les sons des slogans. L'une d'elle m'agrippe pour que je me joigne à elles. Je suis surprise : je suis une française blanche ordinaire, je ne pensais pas que j'y avais ma place. La femme me sourit et m'encourage. En fait, parfois, être une femme présente certains avantages : c'est plus facile de rentrer en contact avec d'autres femmes, j'ai l'impression. Me voilà donc à tenir le drapeau palestinien avec elles, entonnant les mêmes slogans (qui sont ceux de la manifs). Il y a pas mal d'énergie, des échanges de sourires. Parfois cela cafouille un peu côté slogans car deux personnes veulent en lancer un en même temps. Mais il y a une vraie énergie. Je décroche au bout d'un moment, parce que nous sommes trop, cela se bouscule. Et je rejoins les gens avec qui j'étais venue.
Malgré la pluie, le nombre donne de l'énergie. C'est comme une surprise de pouvoir exprimer publiquement, bien fort, sa solidarité aux palestiniens et sa colère contre la complicité de l'État français. Une surprise de pouvoir être ensemble dans le centre-ville pour le dire.
Sur la place des Terreaux, une minute de silence est demandée au micro. Toute la partie de la manif sur la place le fait très rapidement, il y a une vraie cohésion. Au loin, on entend par contre la queue de manif dans la rue d'à côté qui n'a visiblement pas entendu le message.
Et la manif repart. Une autre minute de silence aura lieu à la fin, place Bellecour.
C'est un week-end antifasciste, organisé notamment par le collectif Fermons les Locaux Fascistes (collectif unitaire lyonnais rassemblant des organisations associatives, politiques, syndicales). Manifestation le samedi, forums sociaux le dimanche.
J'arrive un peu en retard au rassemblement antifasciste, place Bellecour. C'est une habitude. J'ai toujours du mal avec les débuts de manifs, trop lents.
Usul est là. Tout comme Thomas Portes et Carlos Martens Bilongo avec leur écharpe de députés.
Cette manifestation est la rencontre improbable entre des crêtes de punk, des voiles, des Keffieh et des masques noirs. Les slogans antifascistes sont bien sûr au rendez-vous comme le fameux siamo tutti antifascisti. Le Collectif 69 n'hésite pas à lancer aussi des slogans en soutien au peuple palestinien. L'un d'entre eux reprend le rythme et les gestes de siamo tutti antifascisti : "Nous sommes tous des enfants de Gaza".
Et donc, les slogans antifascistes et ceux en soutien à la Palestine alternent. Je crois déceler dans le regard d'une femme voilée ou d'un adolescent venu avec ses parents pro-palestiniens la surprise de découvrir les militants antifascistes, leur détermination, leur look, leurs codes. Mais cette surprise n'empêche pas les personnes venues soutenir la Palestine de s'exprimer, ni des militants antifascistes de reprendre les slogans en soutien au peuple palestinien. Le collectif Queer for Palestine, qui s'est réuni la veille pour soutenir Gaza, en scande un nouveau : "Isräel, casse-toi, la Palestine n'est pas à toi". Il me semble reconnaître derrière un slogan féministe déjà entendu : "Dominant, casse toi, notre corps n'est pas à toi". Mais je n'en suis pas sûre, car je n'en trouve pas trace dans mes anciens enregistrements.
Une jonction entre les jeunes militants de la Fosse aux Lyons et certains antifas est affichée.
2013111 Manifestation antifasciste à Lyon
Agrandissement : Illustration 10
Différents journaux ont rendu compte de la manifestation.
Un des slogans de la manifestation était le classique : "Pas de quartier pour les fachos, pas de fachos dans nos quartiers".
Et c'est à l'évidence à ce dernier slogan que l'attaque de la Maisons des passages par des groupuscules "d'ultra-droite" a cherché à répondre. Ils s'en sont pris au Collectif 69 en soutien au peuple palestinien dans un local situé dans le Vieux Lyon, un quartier que les identitaires lyonnais considèrent comme leur territoire.
11 Novembre au soir (je n'y étais pas)
La conférence à la maison des passages a été filmée par Pierre Korrichi, la fin de la vidéo montre bien le déroulé de l'attaque.
Dans la manifestation pour la journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (2700 à 5000 personnes), le soutien à la Palestine était aussi là.
Cette fois-ci, je suis exténuée. Je n'ai pas réussi à y aller. C'est dommage : avec la fête des lumières, il y a beaucoup de gens à Lyon en ce moment. Le collectif a organisé une veillée, tout à fait à propos, au bord des berges du Rhône, à la tombée de la nuit.
Une fois arrivée à la manifestation, je m'aperçois que mon smartphone n'a plus de batterie. Dommage parce qu'il y a plein de nouveaux slogans. Cela fait du bien d'entendre de la nouveauté. Parce qu'avec le temps, la motivation peut s'user. Renouveler les formes, c'est un moyen de se remobiliser.
Quelques-solgans dont je me souviens.
C'est pas une guerre C'est un génocide
État d'Israël État criminel Boycott
Justice pour Gaza Bannissez Zara
Justice pour Gaza Bannissez Coca
Mur par mur Pierre par pierre Nous détruirons La colonisation
On n'est pas fatigué Y a Gaza à libérer
Antisémites Islamophobes Hors de nos villes
On est là, On est là, Même si Macron ne veut pas, Nous on est là. Pour l'honneur de la Palestine Pour tous ceux qu'on assassine Même si Macron ne veut pas Nous on est là.
Cette adaptation de la chanson des Gilets Jaunes donne de l'énergie, une sorte de revanche sur le silence assourdissant. C'est la seule chanson au milieu des slogans.
Samedi 23 décembre
Beaucoup de gens dans le monde avec l'idée de "passer de joyeuses fêtes" comme d'habitude. Un génocide est en cours, sous nos yeux. Quel sens cela peut-il avoir de passer les fêtes de fin d'année, comme d'habitude, dans ce contexte ?
Un appel international est passé pour continuer la mobilisation via #NoChristmaAsUsual
Dans le même temps, les appels à ne pas considérer les morts palestiniens, en particulier les gazaouis comme des nombres circule de plus en plus largement sur les réseaux sociaux, avec la campagne Gaza des visages, pas que des nombres.
Certains collectifs décident donc de faire voler des flyers avec le nom et le visages d'enfants morts de Gaza dans les centre commerciaux. C'est le cas à Lyon, notamment. Middle East Eye en a même fait une vidéo.