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Billet de blog 22 mars 2023

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Pouvoir #1. La Renaissance de l'humain comme instrument

On s'offusque des parlementaires godillots, on décrète de l'ère Borne est finie. Mais ne passe-t-on pas à côté de l'essentiel ? La banalisation d'un usage instrumental par le pouvoir de ses ministres et parlementaires.

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Comment des parlementaires, qui ont "plaidé" pour un vote sans être entendus auprès du Président de la République, peuvent-il accepter ensuite de "faire le service après-vente" des décisions d'un seul homme ? Comment une Première Ministre qui a, elle aussi, "plaidé" pour "un changement de méthode" peut-elle défendre bec et ongle le recours à un 49-3 qu'elle n'a pas décidé ? Comment peut-elle assumer aussi bien le fait "d'être un fusible" ? En d'autres termes, comment peuvent-ils autant être persuadés qu'il leur est nécessaire de servir de bouclier à un pouvoir manifestement déraisonnable et isolé ?

Le mystère reste entier.

Certes, il y a les "dettes" à l'égard du chef de l’État et des privilèges indirects expliquant cette défense de l'indéfendable : les retraites dorées, des futurs postes de repli supposément "assurés" et les actions au CAC40. Mais cette explication est-elle bien suffisante, tant cette attitude semble politiquement masochiste ? Les lobbys, me direz-vous. Oui, peut-être. Des chantages sous-jacents. Admettons. Mais ce sont alors de bien piètres politiques que voilà. Imaginons-nous un instant les jeunes loups d'antan (Mitterrand, Chirac, Sarkozy, pour ne citer les plus cyniques et ceux qui ont le mieux réussi), les imaginons-nous, donc, hésiter devant un acte de déloyauté au sein de leur parti ? Les imagine-t-on s'accrocher à leurs strapontins ou bien plutôt trouver le moyen de "faire un coup politique" ? À l'évidence, c'est plutôt la deuxième solution qu'ils auraient choisie. Auraient-ils foncé tête baissée dans une situation politique inextricable ? Permettez-moi d'en douter.

Envisageons une autre hypothèse, peut-être farfelue, mais c'est justement ce qui fait son charme : les macronistes ont fait l'objet d'un long dressage, dont ils sont incapables de se déprendre. Ils semblent tout droits sortis de l'Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans, publié en 1764 par le Baron d'Holbach :

"[...] nous verrons que, de tous les arts, le plus difficile est celui de ramper. Cet art sublime est peut-être la plus merveilleuse conquête de l’esprit humain. La nature a mis dans le cœur de tous les hommes un amour-propre, un orgueil, une fierté qui sont, de toutes les dispositions, les plus pénibles à vaincre. L’âme se révolte contre tout ce qui tend à la déprimer ; elle réagit avec vigueur toutes les fois qu’on la blesse dans cet endroit sensible ; et si de bonne heure on ne contracte l’habitude de combattre, de comprimer, d’écraser ce puissant ressort, il devient impossible de le maîtriser. C’est à quoi le courtisan s’exerce dans l’enfance, étude bien plus utile sans doute que toutes celles qu’on nous vante avec emphase, et qui annonce dans ceux qui ont acquis ainsi la faculté de subjuguer la nature une force dont très-peu d’êtres se trouvent doués. C’est par ces efforts héroïques, ces combats, ces victoires qu’un habile courtisan se distingue et parvient à ce point d’insensibilité qui le mène au crédit, aux honneurs, à ces grandeurs qui font l’objet de l’envie de ses pareils et celui de l’admiration publique."

Et si nous aimons les haïr, c'est peut-être parce que l'homme de Cour, "la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine", nous est familier.

C'est notre manager, notre chef, notre supérieur hiérarchique, qui, non content de pratiquer une courtisanerie intense auprès (au choix) des actionnaires, du PDG, des élus, de ses cadres supérieurs, de la direction, cherche à nous transformer, nous aussi, en courtisan, pour éviter d'avoir à se regarder dans la glace.

Qui, en effet, n'a pas jamais eu droit aux évaluations de "savoir-être" dans le cadre d'un entretien professionnel ?

Un esprit pragmatique dira probablement : "savoir-être, d'accord, mais savoir-être quoi ?" Les enfants, dans les cours d'école, savent être des princes, des princesses (clichés genrés !), des guerriers, des aventurières, des stars de cinémas, des héroïnes de dessins animés, des papas et des mamans, des animaux, et tout un tas de choses encore. Mais il ne leur viendrait pas à l'esprit que la principale qualité pour vivre en ce monde est de savoir être courtisan.

Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. Le principal critère de sélection sociale aujourd'hui est la capacité à rester en toute circonstance un courtisan, une courtisane. Au regard de ce qui arrive souvent aux courtisanes, il vaut probablement être un courtisan, quitte à changer de genre. Bref.

Toujours est-il que cette hypothèse, éventuellement farfelue, expliquerait bien des choses. Pourquoi, par exemple, l'inconséquence, l'irresponsabilité et l'inconsistance augmentent au fur et à mesure que l'on remonte une chaîne hiérarchique. Pourquoi on se voit asséner cette vérité intangible, tout autant qu’irrationnelle, dans le monde du travail : peu importe que l'on soit ou non productif, efficace ou même compétent(e), ce qui compte c'est de savoir effectivement vaincre tout amour-propre, tout orgueil, toute fierté.

Dès lors, il n'est plus si étonnant que toute bonne éducation bourgeoise enseigne en premier lieu l'art du refoulement. Ce qui explique, au passage, que Freud ait mis au point son art auprès de la bourgeoisie viennoise... Mais je divague.

Dès lors, le déni sidérant à tout être sensé, la mauvaise foi assumée, la capacité à dire tout et le contraire de tout, dont peut faire preuve un véritable bourgeois, un véritable manager, un véritable patron, s'explique très bien. Ils ne peuvent tout simplement pas renoncer à leur déni, car cela détruirait l’œuvre d'une vie, une somme d'efforts inouïs pour dompter leur nature.

"Un bon courtisan ne doit jamais avoir d’avis, il ne doit avoir que celui de son maître ou du ministre, et sa sagacité doit toujours le lui faire pressentir ; ce qui suppose une expérience consommée et une connaissance profonde du cœur humain. Un bon courtisan ne doit jamais avoir raison, il ne lui est point permis d’avoir plus d’esprit que son maître ou que le distributeur de ses grâces, il doit bien savoir que le Souverain et l’homme en place ne peuvent jamais se tromper.

Le courtisan bien élevé doit avoir l’estomac assez fort pour digérer tous les affronts que son maître veut bien lui faire. Il doit dès la plus tendre enfance apprendre à commander à sa physionomie, de peur qu’elle ne trahisse les mouvemens secrets de son cœur ou ne décèle un dépit involontaire qu’une avanie pourrait y faire naître. Il faut pour vivre à la Cour avoir un empire complet sur les muscles de son visage, afin de recevoir sans sourciller les dégoûts les plus sanglans. Un boudeur, un homme qui a de l’humeur ou de la susceptibilité ne saurait réussir."

À cette aune-là, Aurore Bergé, Elisabeth Borne, Clément Beaune ou Stanislas Guerini sont infiniment plus compétents qu'Eric Dupont-Moretti. Et je ne ferai jamais carrière, c'est certain.

Car à voir le ballet des cadres de la fonction publique, il est pour moi évident que ce qui ruisselle le plus au Royaume de France, c'est l'esprit courtisan.

Celui-ci est si aujourd'hui si puissant que même un petit employé se sent souvent tenu par cet impératif absurde :

"En effet, tous ceux qui ont le pouvoir en main prennent communément en fort mauvaise part que l’on sente les piqûres qu’ils ont la bonté de faire, ou que l’on s’avise de s’en plaindre. Le courtisan devant son maître doit imiter ce jeune Spartiate que l’on fouettait pour avoir volé un renard ; quoique durant l’opération l’animal caché sous son manteau lui déchirât le ventre, la douleur ne put lui arracher le moindre cri."

C'est à cela que l'on nous dresse. Mais pour combien de temps encore ?

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