Face au problème du moment en Europe, chacun y va de son analyse et de son mot d'humeur, décortiquant les traités, suivant pas à pas les négociations, saluant tel ou tel vote d'un des plus petits pays, mais qui se trouve être à la fois le berceau de la civilisation sur ce continent : la Grèce. Dernièrement, les "révélations" sur les combinations Schäuble-Merkel-Gabriel outre-Rhin devrait recentrer le débat sur une question qui n'est pourtant jamais abordée... Qu'est-ce que l'Allemagne ? Un voisin encombrant ? Un bruit de bottes ? Un schizophrène, paranoïaque et mégalomane, qui a besoin qu'on lui mette un coup sur le nez et qu'on le remette à sa place quand ses ambitions deviennent trop gênantes pour être acceptables ?
A la vérité, le prussianisme est une parenthèse de l'histoire allemande. A la vérité, le nazisme est une erreur de l'histoire européenne, un produit de Versailles et du capitalisme triomphant. A la vérité aussi, l'Allemagne porte - et portera encore longtemps - le poids d'une histoire chaotique et sombre, le poids de politiques qui l'ont plongée, elle et le monde, dans des abysses insondables. Trois conséquences directes en sont son soutien au sionisme, la suppression de toute forme de politique, et un certain nombre de phobies économiques. L'Allemagne, et depuis longtemps, est avant tout un grand malade, qui tient le lit.
Seulement l'histoire de l'Allemagne, c'est l'histoire de l'Europe. Ce n'est pas l'histoire d'une nation, c'est l'histoire de nations, d'Etats, de cultures, de religions. L'Allemand protestant prend la plume pour décrire l'univers et la métaphysique quand l'Allemand catholique prend la plume pour écrire sonates et requiems. Longtemps resté un pays sans opinion publique, par sa langue et sa musique, ses mille nuances, et finalement une exaltation mystique qu'on ne retrouve que difficilement chez un autre peuple, l'Allemagne a toujours constitué, non par sa forme mais par son essence, le ferment de tout ce qu'est et devrait être le sentiment européen.
La démocratie est finalement pour ce pays un moindre mal, là où la politique faillit, l'entrave du pouvoir des partis permet à l'Allemagne (et c'est ainsi que l'ont voulue tous ses partenaires, depuis la chute de Guillaume II jusqu'à celle de Hitler) d'être un pays de gestionnaires, gérant les finances, gérant l'économie, gérant les intérêts immédiats, et en fin de compte l'immédiateté elle-même. Aucune portée dans la vue des technocrates allemands que la démocratie place là faute de mieux, pas de volonté, et les principes s'effacent... Restent les dommages psychiques d'une nation en souffrance, les fantômes d'un passé qui ne passe pas, et finalement une déconnexion complète d'avec la réalité.
Dame de fer, Angela Merkel ne le sera jamais. Elle ne tient ni l'Allemagne, ni son parti. Qu'y a-t-il a tenir, quand il n'y a pas de pouvoir politique ? L'Europe a donné à un pays de gestionnaires une envergure et un pouvoir que seuls des politiques responsables et conscients devraient détenir. Mais voici que la social-démocratie allemande trouve les chrétiens-démocrates trop à gauche ; voilà que, enorgueillie des mesures martyrisantes - et finalement très chrétiennes - qu'elle a fait subir à son pays, la chancelière se trouve le moyen de l'imposer à ses voisins, et d'achever le mourant par une saignée "vitalisante".
On aurait pourtant tort de montrer l'Allemand, le peuple allemand du doigt. Il est l'avenir de son propre pays, et celui de l'Europe. Aujourd'hui il ne croit plus en la démocratie, nous pourrions peut-être même dire que, que sa conscience penche à gauche ou à droite, l'Allemand est avant tout devenu anarchiste, comme par "la force des choses". Comment le lui reprocher quand en votant en une majorité de gauche manifeste aux dernières élections générales, il trouve un chef de gouvernement de droite, avec les coudées franches ?
C'est pourtant de savoir si le peuple va reprendre en main la politique, c'est-à-dire retrouvera un sens, un devoir, une morale politique et saura l'imposer à ses dirigeants, que dépend l'avenir de l'Europe. Pas tant des réformes d'austérité que la Grèce mettra en place ou non (après tant d'efforts, déjà consentis), mais bien du peuple allemand. Et le Français, si fier autrefois précisément de son sens politique, et envié de ses voisins pour son patriotisme, au lieu de blâmer l'ennemi héréditaire, ferait bien de tendre la main, et de relever un pays dont la volonté d'exister politiquement a disparu en même temps que furent rasées les villes, "découverts" les camps, occupé et découpé le territoire.
"Plus jamais !" est le cri d'une victime. Celui de 1918, celui de 1945, et peut-être bientôt celui de la Grèce quand on lui permit de dire OXI.
Mais alors, au milieu du brouhaha et de l'empoignade, quand tous ensemble, et solidairement, nous avançons vers le gouffre, la voix du sage demande : "Et demain ?".