La question du divertissement était poreuse et flasque.
Ça n'était pas seulement que le divertissement montrait, avec force coups de manches – tous observaient –, l’as qu'il faisait apparaître pendant qu'il en cachait un autre sous sa cape, tour de passe-passe.
Ça n'était pas seulement qu'il traçait une voie rectiligne, qu’il creusait un canal où la pensée n'avait qu'à s'allonger pour s'endormir.
Pas seulement qu'il éludait tous les hors-champs possibles, grâce au principe de remplissage – s'appuyant sur le théorème qui dit que tout espace gagné sur l'espace disponible empêche le disponible de l'être.
Pas seulement qu'en agissant ainsi il empêchait tout sens critique, qu’il réduisait l’apparition de subjonctifs, donc d'hypothèses nouvelles, peut-être novatrices.
C'était qu'il plaçait des tréteaux de pensées, discrètement, puis des pensées-charpentes solides qui peu à peu lançaient leurs ongles dans la terre et creusaient, et creusaient, d’abord des fosses puis des trouées, de plus en plus profondes, excavatrices, où des fondations souterraines prenaient corps, et grossissaient, et durcissaient, supportant nos neurones comme des mains, leur donnant forme, apaisantes, insoupçonnables, muettes, inébranlables, génératrices de C’est comme ça.
C’est comme ça les hommes, les femmes. C’est comme ça les adolescents, les chiens, les enfants, les vacances, les italiens, les délinquants, les petits oiseaux. C’est comme ça manger, comme ça rire. C’est comme ça respirer, comme ça vivre. Le tout formant un C’est comme ça géant, bien plus puissant que la normale, un patriarche, capable d’engendrer les autres, leurs étiquettes, leurs codes et leurs obligations, leurs contrats de bas de page (c’est comme ça le mariage, c’est comme ça le travail), un C’est comme ça monumental, déployé comme un parasol, qui disait Comme ça qu’il faut se divertir. Une machine formidable, renflouée de ses déjections, autoalimentée, autonome, portative, à utiliser dans les trains, les cuisines, les salons, les parkings.
Le divertissement, pour elle, était une question poreuse, parce qu’elle n’était pas sûre de l’endroit où il commençait, de l’endroit où il finissait. Une question flasque à cause de la façon qu'il avait de s’accrocher partout, même sur les surfaces lisses et surtout sur les vitres qui servent à regarder dehors. Et aussi une question inquiétante, parce qu’elle croyait comprendre qu’il ne se manipulait pas sans causer de dommages. C'était un carnassier, cannibale et anthropophage. En transporter, c'était comme ressembler au Mario du Salaire de la peur : on pouvait être pulvérisé d’un coup. D'un seul coup de manche se disloquer en voyant apparaître un as, une colombe, un lapin. S'atomiser sous le pouvoir d'un C’est comme ça plus performant, moins détectable.