Ne nous y trompons pas. Malgré des déclarations qui ne parviennent même plus à ripoliner une diplomatie française à contre-courant des principes élémentaires du droit humanitaire, nous assistons bien, de la part de l’exécutif français, à la démolition de normes patiemment construites pendant des décennies sur les ruines des conflits mondiaux et l’horreur des génocides.
Il ne s’agit pas de realpolitik mais bien de la participation directe de notre pays à une attaque sans précédent et sans doute irréversible de l’ordre public international, déjà fragilisé mais qui constituait une boussole à laquelle la France se disait attachée.
Contrairement à ce que la majorité des médias ont tenté de nous faire croire depuis plus de 18 mois, le soutien quasi sans faille de la France à Israël ne date pas de la sidération provoquée par les attaques terroristes du 7 octobre 2023.
La violation continue par Israël, depuis son admission comme membre des Nations Unies, de toutes les résolutions le concernant, n’a jamais été dénoncée par Emmanuel Macron.
Ce dernier, Président depuis 2017, sait que la Cour Pénale Internationale a été saisie le 1er janvier 2015 par la Palestine pour des crimes présumés commis sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, depuis le 13 juin 2014.
Il n’a pas cependant pas œuvré à ce que la justice soit enfin rendue aux Palestiniens. Il a même contribué à ce que l’occupation perdure.
Alors que la position officielle de la France a toujours consisté à refuser de reconnaître l’annexion illégale de Jérusalem et la colonisation des Territoires Occupés, Paris a paradoxalement multiplié les soutiens à ces crimes de guerre : malgré une interdiction de façade, Israël a toujours pu importer en France des produits issus de ses colonies tout en bénéficiant des avantages de l’accord d'association passé avec l’Union Européenne ; la promotion de l’immobilier israélien, construit sur les terres spoliées aux Palestiniens, peut se tenir en plein cœur de nos villes sous protection policière française ; les annonces de sanctions anecdotiques contre les « colons extrémistes » tolèrent la colonisation illégale, puisqu’il faut comprendre que certains colons seraient plus légitimes que d’autres, ce qui est faux.
Très récemment, le Président Macron a annoncé la possibilité d’une reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Accusé par Israël de mener «une croisade contre l’Etat juif» et critiqué par des élus français proches du groupe d’influence pro-israélien Elnet, l’exécutif français avait subordonné cette reconnaissance à une série de conditions n’ayant aucun fondement juridique, pour finalement l’abandonner au prétexte de la nouvelle guerre déclenchée par Israël.
En droit international, rien ne justifie pourtant ce nouveau recul de la France, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien étant acquis. En outre, l’OLP a reconnu sans réciprocité l’État d’Israël en 1993 et le Parlement français a déjà voté en 2014 en faveur de cette reconnaissance.
La destruction du droit international par l’exécutif français se manifeste également par son refus explicite de coopérer avec la Cour Pénale Internationale. L’espace aérien français a été en effet librement traversé à plusieurs reprises par le premier ministre israélien, malgré l’émission d’un mandat d’arrêt international le 21 novembre 2024. L’exécutif avait tenté d’échapper à ses obligations, en se fondant sur la prétendue immunité dont bénéficieraient les dirigeants d’un État non partie à la CPI comme Israël, ce qui lui a valu d’être qualifié par un syndicat de magistrats d’« exécutif de la honte » et d’être interpellé par des juristes internationaux, contraints de lui rappeler la jurisprudence de la Cour.
Les dernières actions illégales ordonnées par le premier ministre israélien, déjà recherché par la plus haute juridiction pénale internationale pour avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ont également reçu un soutien explicite de la France, qui évoque le « droit de se défendre », en contradiction avec les termes de la Charte des Nations Unies.
Monsieur Macron et Monsieur Barrot font donc le choix de ne respecter ni l’esprit ni la lettre de la Charte. Ils ne semblent pas non plus vouloir écouter des diplomates chevronnés et modérés, comme l’ancien ambassadeur de France aux États-Unis et en Israël, Gérard Araud, qui évoque « une violation grossière du droit international » et qui déplore aussi que nous ayons oublié, à Gaza, de rappeler la loi.
La France ne respecte pas non plus la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide. Elle ignore les ordonnances de la Cour Internationale de Justice des 26 janvier, 28 mars et 24 mai 2024, bien que les mesures conservatoires prises par cette dernière au titre de l’article 41 de son Statut aient un caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques internationales.
Les révélations sur la livraison continue et régulière par la France de matériel militaire à l’État d’Israël depuis le début du conflit à Gaza en octobre 2023, et même sur le financement de l’industrie militaire israélienne à travers un projet de développement de drones militaires financé par l’Europe, démontrent que la France persiste à violer l’interdiction de fournir toute forme d'aide, de soutien ou de facilitation du génocide.
La décision de faire recouvrir d’une bâche noire les stands des entreprises israéliennes présentant des armes offensives au Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace du Bourget, qu’Amnesty International a rebaptisé « Salon du génocide », n’exonèrera pas l’exécutif français de sa responsabilité, dès lors qu’il a continué de transférer des armes à Israël, en dépit des décisions de la justice internationale.
Stéphane Séjourné, alors ministre des affaires étrangères, avait osé invoquer un « seuil moral » à ne pas franchir, celui d’accuser l’« Etat juif » de génocide. Établir une telle distinction entre les États, en plaçant Israël au-dessus des lois, apparaissait déjà comme un camouflet au socle même du droit international, c’est-à-dire à la commune appartenance des Etats à une société internationale.
Loin de s’émousser, ce soutien perdure alors que paradoxalement, les preuves du génocide commis par Israël s’accumulent sur le bureau du Président de la République : rapport du 25 mars 2024 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 ; enquête d’Amnesty International du 5 décembre 2024 ; rapports d’Human Rights Watch et de Médecins Sans Frontières du 19 décembre 2024…
Il faut être incompétent en droit, d’une totale mauvaise foi ou dépendant de l’État d’Israël (les trois conditions étant par ailleurs cumulables) pour nier ce qu’il se passe dans la Bande de Gaza.
La qualification juridique de génocide, qui appartient aux juristes et non aux historiens, n’en déplaise au Président de la République, n’est pas un préalable nécessaire pour que la France applique la Convention de 1948, sauf à vider de son sens cette dernière.
Elle n’est pas non plus un préalable nécessaire pour que la France cesse de participer, activement ou par abstention coupable, aux atteintes inédites portées par Israël au droit humanitaire.
Emmanuel Macron sait que la famine et la soif sont sciemment organisées dans la Bande de Gaza, Israël poussant l’abjection jusqu’à armer et s’allier avec des milices criminelles qui seraient affiliées à l'EI, pour massacrer enfants, femmes, et hommes venant chercher une aide qui leur est due inconditionnellement.
Emmanuel Macron a vu les photographies des enfants décharnés au regard déjà emporté par la mort.
Emmanuel Macron sait qu’Israël mène une guerre exterminatrice contre les Palestiniens de Gaza, assimilés par Netanyahou au peuple Amalek dès le 28 octobre 2023.
Et il sait que l’acquiescement, dans les faits, de l’occupation brutale et meurtrière de la Cisjordanie occupée, qui dure depuis 58 ans, est non seulement une injure aux Palestiniens, mais aussi au droit, et que cette injure ne mènera pas à la paix.
Mais Emmanuel Macron continue de soutenir Israël contre le droit international. Ce choix aura des conséquences majeures sur la place de la France dans le monde, et donc sur la sécurité, la prospérité et le bien-être des Français.
La pulvérisation des normes de droit international, à laquelle la France a choisi de prendre part malgré les avertissements d’éminents juristes et diplomates, entraînera celle de la cohésion nationale.
Le 2 mai 2025, le ministre de l'Intérieur a publié un rapport « Frères musulmans et islamisme politique ». Ses auteurs y préconisent, parmi d’autres mesures, la reconnaissance d’un État palestinien aux côtés d’Israël dans des frontières sûres et reconnues. Le Président vient pourtant d’y renoncer.
Ceux qui imaginent que restera sans effet la destruction impitoyable des principes élémentaires du droit international, dans le seul but de faire définitivement disparaître les aspirations légitimes à l’indépendance du peuple palestinien, n’ont aucune mémoire.
Il ne s’agit même plus de morale, celle qui doit théoriquement guider les nations dites « libres ».
Il s’agit de stabilité et de sécurité.
S’il est normal d’assister en direct à l’extermination de dizaines de milliers d’êtres humains, tout en continuant d’assurer à leurs assassins soutien diplomatique et coopération économique et militaire, alors plus rien ne sera anormal.
Il est regrettable que le Président de la République, qui s’en remet aux historiens, n’ait pas eu l’idée de se remémorer ce qu’est un monde sans droit international.
Cela lui aurait sans doute évité d’être un des artisans de sa disparition et du chaos qui s'en suivra.