LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES MONSIEUR LE MINISTRE,
LE « SEUIL MORAL » DONT VOUS PARLEZ EST HORS-SUJET EN DROIT INTERNATIONAL. NOUS VOUS RAPPELONS LES OBLIGATIONS DE LA FRANCE.
Monsieur le Ministre,
Vous avez déclaré hier au sein de l’Assemblée Nationale lors de la session des questions au gouvernement : « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral. »
Vous avez ainsi visiblement tenté de justifier le fait que la France ne soutiendrait pas l’action de l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice.
En notre qualité de juristes, nous ne pouvons que contester la pertinence de vos propos, et ce à plusieurs titres.
D’une part, vos déclarations interviennent au moment même où les Juges de la Cour Internationale de Justice délibèrent sur la demande formulée par l’Afrique du Sud d’avoir à ordonner des mesures provisoires sur le fondement de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide.
Ainsi, votre prise de position apparaît comme un moyen de pression indirecte sur les juges de la Cour, en évoquant un « seuil moral » à ne pas franchir.
Il est regrettable que la France, par votre voix, apparaisse porter un jugement moral sur l’action de l’Afrique du Sud et vienne donc tenter de l’affaiblir en tentant d’influencer la Cour, voire de la culpabiliser.
D’autre part, vos déclarations échouent à établir, sur le plan du droit international, en quoi l’action de l’Afrique du Sud ne serait pas pertinente.
La position de la France se borne donc à un parti-pris politique en faveur de la doctrine israélienne, sans aucune analyse juridique des termes de la Convention de 1948 à laquelle notre pays est pourtant partie, ce qui entraîne pour lui des obligations, malheureusement méconnues à ce jour.
Nous sommes donc contraints, parce qu’attachés au respect par la France de ses engagements internationaux, de vous rappeler que :
• Tant les instances de l’ONU que les principales ONG ont dénoncé les actions de l’Etat d’Israël comme étant contraires au droit international.
• Notamment, sept Rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont publié dès le 27 octobre 2023 un communiqué dans lequel ils s’inquiètent d’un risque de génocide à Gaza.
• Le bureau de la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH) a appelé, le 12 décembre dernier, la communauté internationale à arrêter le génocide en cours à Gaza.
Or, la France est partie à la Convention de 1948 et à ce titre elle s’oblige notamment à prendre des mesures pour la prévention d’un génocide.
Parmi ces mesures peuvent figurer les mesures de rétorsion classique (interruption des relations diplomatiques, suspension des accords commerciaux) dont nous constatons que la France n’en a prise aucune.
Les États parties à la Convention de 1948, sur lesquels pèse une obligation de prévention, doivent être invités à exercer leur droit de saisir la Cour Internationale de Justice.
L’Afrique du Sud a donc parfaitement respecté ses obligations au titre de la Convention de 1948 et n’a franchi aucun « seuil moral », contrairement à ce que vous avez déclaré.
Enfin, il est regrettable que les termes de votre réponse tendent à conférer une impunité à l’État d’Israël parce qu’État juif.
Nous vous rappelons à cet égard qu’aucun État n’est au-dessus du droit international, et la référence à la composition religieuse d’un État pour le dédouaner, sans autre motif, de ses actes illégaux, constitue un précédent regrettable - en plus d’alimenter, dans notre pays, des amalgames dangereux pour la paix sociale.
Le caractère « juif » de l’État d’Israël, puisque c’est ainsi que malheureusement vous le qualifiez, ne l’exonère aucunement de son engagement, lors de son admission au sein des Nations Unies, à accepter « sans réserve aucune les obligations découlant de la Charte des Nations Unies et s’engage à les respecter du jour où il deviendra membre de l’ONU » (résolution 273 du 11 mai 1949)
Monsieur le Ministre, vous avez indiqué que vous présideriez la prochaine réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies mardi 25 janvier prochain. Nous vous invitons donc à respecter les termes des engagements internationaux de la France et à condamner les actions illégales de l’Etat d’Israël, que ce soit dans la bande de Gaza où en Cisjordanie occupée, où la colonisation et l’occupation illégales, et leur lot d’exactions, se sont intensifiées dans des proportions dramatiques.
Paris le 18 janvier 2024
COLLECTIF DE JURISTES POUR LE RESPECT DES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE (C.J.R.F)