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Billet de blog 6 février 2025

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Sarkozy - Khadafi : dans l’ombre du procès, jour 14

Ce billet retranscrit les débats du mercredi 5 février.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cinquième semaine d'audience.

Lundi 3 février, Michel Scarbonchi, ancien député européen et ami de Bechir Saleh, est venu déposer à la barre. Son témoignage était attendu pour éclairer les circonstances dans lesquelles l'ancien directeur de cabinet de Kadhafi a pu quitter la France.

Pour mémoire, Bechir Saleh a été exfiltré le 3 mai 2012, alors qu'il était visé par une fiche rouge Interpol. Il est parti en secret, avec l'aide de l'intermédiaire Alexandre Djouhri et de l'ancien chef de la DST Bernard Squarcini. A l’époque, ce récit rocambolesque était raconté par les Inrocks. Il a été étayé maintes fois depuis. Durant l'instruction, les magistrats se sont demandés si le départ de Bechir Saleh n'avait pas été facilité par Nicolas Sarkozy et son entourage, afin de protéger leurs secrets. Plusieurs indices semblent impliquer - de près ou de loin - l'ancien Président et/ou son entourage. 

Mercredi, Claude Guéant et Nicolas Sarkozy ont été invités à répondre aux questions du tribunal sur ce volet de l'affaire.

Mercredi 5 février 2025.

13h35. L'audience reprend. 

Les jours défilent et se ressemblent. Claude Guéant est appelé à la barre pour être interrogé en premier. En raison de sa condition médicale, l'ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy ne peut être entendu qu'une heure par jour.

Les réponses de Claude Guéant

La présidente d'audience, Nathalie Gavarino, souhaite connaître la position du prévenu sur la vente de nucléaire à la Libye. Pour l'accusation, la vente d'un réacteur nucléaire civil par Areva pourrait être l'une des contreparties promises par Nicolas Sarkozy dans le cadre du pacte de corruption. Anne Lauvergeon, l'ancienne présidente du directoire d'Areva, a notamment déclaré que la signature des accords avec la Libye sur ce sujet avait été "précipitée". Dans son livre intitulé "la femme qui résiste", elle accusait également Nicolas Sarkozy d'avoir favorisé l'installation d'un système parallèle et opaque.

Claude Guéant ne partage pas cette analyse. Il déclare qu'Anne Lauvergeon n'était de toutes façons pas décisionnaire sur le sujet du nucléaire libyen, à partir du moment où la France avait donné son accord de principe (sous conditions). Quant au système parallèle évoqué, Claude Guéant ne voit pas à quoi elle fait référence. 

Le tribunal poursuit. Claude Guéant est interrogé sur la première exfiltration de Bechir Saleh de la Libye vers la France, facilitée par Boris Boillon, alors ambassadeur de France en Tunisie, et Alexandre Djouhri. Le prévenu estime que cette fuite organisée est normale, au regard des efforts déployés par Bechir Saleh pour trouver une solution de paix pour la Libye entre mars 2011 et novembre 2011. 

Sur la seconde exfiltration de Bechir Saleh - également organisée avec l'aide d'Alexandre Djouhri -  Claude Guéant précise qu'il n'a joué aucun rôle. Il n'est pas en mesure d'expliquer pourquoi son collaborateur, Hugues Moutouh, appelle Bernard Squarcini au moment où cette opération secrète s'organise, comme le révèle les bornages téléphoniques diligentés par les enquêteurs.

Il invoque la régularité des contacts entre les deux protagonistes, en raison des sujets traités par son collaborateur. Cet appel téléphonique n'a donc rien d'inhabituel et de toutes façons, Claude Guéant n'en était pas informé. Courant janvier, le prévenu a par ailleurs déclaré avoir eu vent de cette exfiltration après le départ effectif du libyen.

Le tribunal relève qu'il existe un document annoté par Claude Guéant qui mentionne la situation de Bechir Saleh, datant du mois de mars 2012. L'ancien directeur de cabinet de Mouammar Khadafi faisait alors l'objet d'une fiche rouge, émise par la Libye. Une autre indication en marge précise que le document doit être transmis à Bernard Squarcini. Ce même Bernard Squarcini qui participera à l'exfiltration de Bechir Saleh, à peine deux mois plus tard. 

Mais Claude Guéant le répète : il ne connaissait rien du plan d'extraction. Que son collaborateur ait appelé Bernard Squarcini à ce moment-là est une coïncidence, à partir du moment où nous n'avons pas la retranscription de la discussion. Bref, pour le prévenu, si tout tourne autour de lui, cela ne l'implique pas directement. 

Le parquet national financier (PNF) tente de démontrer que le ministère de l'intérieur, alors dirigé par Claude Guéant, est à la manoeuvre derrière ce départ ubuesque. Le procureur s'appuie sur un certain nombre d'éléments relatifs au traitement de la situation de Bechir Saleh après son arrivée en France. L'accusation s'interroge sur la possibilité pour une personne inscrite au fichier des personnes recherchées de quitter le territoire français. En théorie, impossible. 

Pour la défense, les éléments avancés par le ministère public ne démontrent pas la place prépondérante du ministère de l'intérieur dans la gestion du “cas” Bechir Saleh. Après tout, c'est le ministère des affaires étrangères qui a négocié avec le conseil national de transition (CNT) libyen pour que Bechir Saleh puisse quitter la Libye. La délivrance et le renouvellement de son visa ont été assurés par la préfecture et non par le ministère directement.

Si les procureurs tentent de poursuivre l'interrogatoire, notamment pour déterminer le niveau de connaissance par Claude Guéant des tractations autour du libyen, ils sont interrompus par Maître Bouchez El Ghozi. "Un principe de réalité s'impose à tous. Monsieur Guéant est malade, il ne peut être entendu plus d'une heure." rappelle l'avocat. En effet, le PNF mène l’interrogatoire depuis plus d’une demi-heure. Maître Bouchez El Ghozi demande le strict respect des contraintes médicales de son client. Dans ces conditions, aucune question supplémentaire ne sera posée au prévenu. 

La déception semble grande, tant du côté de l'accusation que de celui des parties civiles, qui n'ont pas pu poser la moindre question. Claude Guéant est autorisé à retourner à sa place.

Les réponses de Nicolas Sarkozy

L'ancien Président est maintenant appelé à la barre.

Sur l'exfiltration de Bechir Saleh de la Libye vers la France, il déclare qu'elle a été décidée avec l'accord du CNT. C'est Bechir Saleh qui en aurait fait la demande, par canal diplomatique. Pour Nicolas Sarkozy, cette demande était cohérente à partir du moment où la famille du libyen était hébergée en France. Pour les détails du rapatriement, il indique avoir envoyé Dominique de Villepin en mission. Il dit qu'il n'a appris l'intervention d'Alexandre Djouhri que bien après. L’intermédiaire a notamment affrété un avion pour faire sortir Bechir Saleh de Libye. 

Nicolas Sarkozy poursuit. Il explique que le CNT a changé de positionnement vis à vis de Bechir Saleh à partir de février 2012. L'ancien chef de cabinet du Guide continuait de mener des activités politiques depuis la France. Les libyens voulaient qu'il s'en tienne à une activité commerciale et l'ont fait savoir.

Au bout de 15 minutes de réponse, si l'ancien Président semble avoir ré-exposé toute la chronologie du dossier, il apparait que le public a oublié la question posée au départ. On aperçoit certains avocats s'agiter du côté parties civiles. En effet, Nicolas Sarkozy s'appuie sur des notes très détaillées pour répondre. On lui reproche son manque de spontanéité dans les réponses apportées au tribunal. 

La présidente veut maintenant savoir s'il y a eu des "pressions" pour faire partir Bechir Saleh dans l'entre deux-tours. La temporalité de ce départ interroge, puisque Médiapart a publié un document l'incriminant dans le financement illicite de campagne reproché à Nicolas Sarkozy quelques jours avant. C'est en tous cas ce qu'a rapporté Michel Scarbonchi durant l'enquête. 

Pour répondre, Nicolas Sarkozy s'appuie sur les déclarations du témoin de l'accusation, qui a déclaré à la barre qu'il n'avait jamais été témoin de pressions de la part du "clan Sarkozy" pour faire partir Bechir Saleh. Michel Scarbonchi aurait seulement fait des suppositions en lisant la presse à posteriori. 

Le tribunal donne maintenant lecture de "l'audition" de Bechir Saleh. Plus exactement, il s'agit d'un résumé : la retranscription complète n'a pas été transmise par les autorités étrangères. Si Bechir Saleh n'exclut pas formellement l'hypothèse d'un financement de campagne par Mouammar Khadafi, il précise qu'il n'en a pas la preuve. Sans surprise, Nicolas Sarkozy rejette en bloc ces déclarations. 

La présidente l'interroge sur une interception téléphonique réalisée sur la ligne de Bechir Saleh lorsqu'il était encore sur le territoire national. Elle a lieu suite à la parution d'un article de l’Express, dans lequel le cousin du Guide, Ahmed Kadhaf al-Dam, accuse la France d'avoir détruit la Libye. Il déclare au passage que Khadafi a financé la campagne de Nicolas Sarkozy en mettant en place un comité spécial, composé de Baghdadi al-Mahmoudi, ancien Premier ministre libyen, le chef du renseignement extérieur, Moussa Koussa et le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Abderrahmane Chalgham. 

Au téléphone, Bechir Saleh commente l'article en question, qui ne le met pas en cause directement. Pour lui il s'agit "d'un bon article". Mais pour Nicolas Sarkozy, cela ne prouve rien sur l’existence d’un financement, ce n'est pas une preuve. Le prévenu semble agacé et se perd quelque peu dans sa déclaration. En l'absence de preuve matérielle, Nicolas Sarkozy se dit "atterré" de devoir répondre à de telles insinuations. 

La présidente Gavarino rappelle à Nicolas Sarkozy que la preuve peut être caractérisée par un faisceau d'indices. En clair, pas besoin de preuve matérielle pour emporter la conviction du juge. Dont acte. 

Au tour du parquet de poser ses questions. Pendant près de 2 heures, on assiste à un match de ping-pong dont personne ne sort véritablement gagnant. 

L'accusation s'étonne qu'Alexandre Djouhri apparaisse autant dans les tractations autour de Bechir Saleh, lui qui a fait affréter un avion pour l'évacuer et ce par deux fois. Nicolas Sarkozy déclare que l'intermédiaire et l'ancien directeur de cabinet de Khadafi sont amis de longue date et qu'Alexandre Djhouri a agi de sa propre initiative.

Le PNF relève une "contradiction" entre les déclarations de Nicolas Sarkozy devant les juges d'instruction et ses déclarations à la barre. A l'époque, l'ancien Président indiquait de manière très ferme n'être intervenu en aucune façon pour que Bechir Saleh regagne la France. Il vient pourtant de déclarer que la France a conduit des négociations avec le CNT pour le faire sortir, à sa demande. Mais pour Nicolas Sarkozy, il n'y a aucune contradiction : il a fait passer le message, donné son accord politique et c'est tout. Il n’a pas suivi le reste du dossier.

Interrogé sur les déclarations d'un témoin anonyme, qui évoque l'existence d'enregistrements clandestins de Mouammar Khadafi avec différents dignitaires étrangers, Nicolas Sarkozy s'emporte. Ce témoin raconte que c'est Bechir Saleh qui aurait empêché le Guide de publier les preuves de financement peu avant sa mort. L'ancien secrétaire de cabinet espérait probablement gagner la faveur des français en faisant ça.

L'ancien Président refuse de commenter les propos du témoin anonyme, fustigeant l'inégalité des armes : si lui était venu avec un témoignage anonyme, jamais le tribunal ne l'aurait accepté. Nouveau rappel à la procédure : le recours au témoignage anonyme est parfaitement encadré en droit et n'est pas l'apanage des affaires de grand banditisme comme le dit le prévenu. Non sans malice, le procureur rappelle à Nicolas Sarkozy qu'en l'occurence, les protagonistes sont renvoyés pour association de malfaiteurs... une prévention que l'on retrouve habituellement dans les affaires de grand banditisme. 

Fin de journée

19h05. Après 3 heures de questions, Nicolas Sarkozy a repris sa place. 

La présidente donne lecture du rapport sur les différents canaux de financement évoqués dans cette affaire et les flux financiers observés sur les comptes des uns et des autres. 

Demain viendra le temps des questions aux prévenus. Thierry Gaubert est particulièrement attendu, puisqu'il devra expliquer comment et pourquoi il a perçu plus de 400k en provenance de Ziad Takieddine. L'intermédiaire venait lui-même de recevoir un important paiement des services de renseignements libyens. 
Pour l'heure, l'audience est suspendue. 

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