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Billet de blog 7 janvier 2025

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Sarkozy - Khadafi : dans l’ombre du procès, jour 1

C'est un procès historique qui s'est ouvert hier au Tribunal judiciaire de Paris. L'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy de Nagy-Bosca est renvoyé devant la 32ème chambre correctionnelle pour corruption passive, recel de détournement de fonds publics, financement illicite de campagne et association de malfaiteurs.

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Au coeur de l'affaire ? Les soupçons de financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par Mouammar Khadafi, alors dirigeant de la Libye. Au cours des quatre prochains mois, l'ancien Président s'expliquera sur l'ensemble des faits reprochés, qui intéressent particulièrement la relation qu'il entretenait avec le défunt dictateur entre 2005 et 2011. 

6 janvier 2025.

De nombreux journalistes nationaux et internationaux sont placés aux abords de la salle d'audience, en attendant l'arrivée de l'ancien Président Nicolas Sarkozy. Définitivement condamné dans l'affaire des écoutes et en appel dans l'affaire Bygmalion, il comparait aujourd'hui devant la 32ème chambre correctionnelle aux côtés de douze autres prévenus concernant les accusations de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007. Parmi eux, on peut apercevoir plusieurs figures du paysage politique français comme Brice Hortefeux, Claude Guéant, Eric Woerth ou bien encore l'intermédiaire Alexandre Djouhri. 

Entrée en matière

13h30. La présidente du tribunal et ses assesseurs entrent dans une salle d'audience bondée où parties, journalistes et public se sont installés.

C'est Nathalie Gavarino, connue pour avoir entériné la condamnation des époux Fillon en 2020, qui présidera ces quatre mois de procès. Elle commence par appeler les différentes parties pour les formalités d'usage et établir la feuille de présence.

Côté prévenus, les hommes d'affaires saoudiens Ahmed Bugshan et Khalid Bugshan, l'avocat malaisien Sivajothi Rajendram, le président du Libya Africa Investment Portfolio (LAP) et secrétaire du Guide Bechir Saleh et l'intermédiaire Ziad Takieddine figurent au banc des absents. L'avocat d'Ahmed Bugshan, Maître Martin Pradel, indique que son client est prêt à se déplacer pour être entendu si nécessaire. La présidente précise par ailleurs que Sivajothi Rajendram pourrait être décédé. Pour l'heure, le Parquet national financier (PNF) attend le retour de la demande d'entraide pénale internationale adressée à la Malaisie pour s'en assurer. Quant à Ziad Takieddine, il serait en fuite au Liban depuis sa condamnation dans l'affaire de financement de campagne électorale d'Edouard Balladur. Il n'est pas représenté. 

Côté parties civiles, on compte l'Etat de Libye, le LAP, les ONG Sherpa, Transparency International et Anticor ainsi que plusieurs dizaines de personnes physiques victimes de l'attentat du vol DC-10 d'UTA. On appelle également les personnes qui seront amenées à témoigner dans le cadre du procès, comme l'ancien attaché de sécurité Jean-Guy Peres, l'ancien directeur de la DGSE Alain Juillet, les ambassadeurs François Gouyette et Jean-Luc Sibiude ou bien encore l'ancienne présidente d'Areva, Anne Lauvergeon. Ces derniers ne sont pas autorisés à assister aux débats et sont invités à sortir de la salle.

Un nombre conséquent de conclusions in limine litis ont été déposées par les prévenus en amont de l'audience et feront l'objet d'une discussion lors de cette première semaine. La présidente, qui s'apprête à ouvrir les débats, rappelle que chacun des prévenus est présumé innocent jusqu'à ce que leur culpabilité soit prouvée.

In limine litis 

La première question posée au tribunal est une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déposée par l'avocat de Khalid Bugshan Maître David-Olivier Kaminski, qui indique en préambule que son client n'est pas en mesure de comprendre l'ensemble des faits pour lesquels il est renvoyé devant le présent tribunal. 

En substance, il reproche aux juges d'instruction d'avoir renvoyé son client pour un seul et même fait - tenant à l'exécution d'un virement au profit de l'avocat Sivajothi Rajendram - et ce sous plusieurs qualifications pénales : "La question n'est pas le cumul de peines mais le cumul de poursuites pour un fait unique". 

Le parquet semble balayer rapidement l'argumentation développée par l'avocat : la QPC ne présente pas de caractère sérieux puisque la question de ce cumul se pose au moment de la condamnation et non pas au moment du renvoi. 

Le tribunal se retire pendant près d'1h15 pour délibérer. A la reprise de l'audience, la QPC ne sera pas transmise à la Cour de Cassation pour examen.

De la compétence du tribunal

C'est ensuite la compétence matérielle du tribunal qui est questionnée par les conseils de Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy. Ils plaident en faveur de la compétence de la Cour de Justice de la République (CJR). En effet, les prévenus étant ministres - respectivement délégué aux collectivités territoriales et de l'intérieur - au moment des faits, ils estiment que c'est cette juridiction spécialisée qui est compétente et non la juridiction de droit commun.

La plaidoirie de Maître Jean-Michel Darrois met en avant la nécessité de renvoyer l'affaire à la CJR au nom de la séparation des pouvoirs. En bonus, l'avocat plaide pour l'immunité de son client sur les faits présumés commis alors qu'il était Président. Le parquet semble quelque peu exaspéré et répond : "Vous allez faire croire qu'il y a une sorte d'association entre magistrats qui en veulent énormément à Nicolas Sarkozy, et qui se sont réunis, peut-être à la buvette du palais, pour se dire 'Nicolas Sarkozy et la CJR c'est niet, ce sera le tribunal de droit commun parce que c'est plus sévère'?".

On aperçoit Nicolas Sarkozy trépigner sur son strapontin. "Effrayant !" s'exclame soudain l'ancien Président. La présidente finit par couper court à l'argumentation du PNF : "L'ironie n'a pas sa place". Le ton est donné. 

C'est finalement Maître Eric Moutet, conseil de Bechir Saleh, qui clôturera cette première journée d'audience.

Il estime également que le tribunal correctionnel est incompétent pour connaître des faits reprochés à son client. L'avocat plaide sur l'absence d'élément rattachant les infractions au territoire français. 

Du point de vue du parquet, certains arguments développés nécessitent un examen au fond : "Est-ce que les faits reprochés à Bechir Saleh au titre du détournement de fonds publics sont constitués ?" s'interroge le procureur. A priori seul le tribunal pourra y répondre, à la fin du procès. Le PNF expose en outre que certains éléments constitutifs des infractions ont été commis en France.

19h15. La présidente suspend les débats jusqu'à mercredi. Pour l'heure, aucune réponse ne sera donnée aux diverses questions préliminaires posées au tribunal. 

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