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Billet de blog 11 janvier 2025

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Sarkozy - Khadafi : dans l’ombre du procès, jour 3

Ce troisième jour a été marqué par les premières déclarations de Nicolas Sarkozy et la déposition du témoin François Gouyette, ancien ambassadeur en Libye.

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Après un début de semaine dédié aux nullités de procédure soulevées par les différents avocats des prévenus, la présidente a prévu d'aborder aujourd'hui le fond de l'affaire en revenant sur le contexte géopolitique de la relation franco-libyenne.

9 janvier 2025

13h36. "Levez-vous !" lance l'huissier au public. Le tribunal entre et s'installe dans la salle.

L'audience reprend.

Comme attendu, la présidente rend son délibéré. Les exceptions d'incompétence et les nullités soulevées sont jointes au fond et feront l'objet d'une décision à la toute fin du procès.

Une visioconférence pour Bechir Saleh ?

L'avocat de Bechir Saleh, l'ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi et ex-dirigeant du Libya Africa Investment Portfolio (LAP), prend la parole. Il souhaite que son client puisse être entendu en visioconférence lors des débats.

Le libyen a quitté la France, exfiltré par Alexandre Djouhri entre les deux tours de la présidentielle de 2012. Il fait depuis l'objet d'un mandat d'arrêt. Pendant près de trente minutes, Maître Moutet explique la fuite de son client et tente de justifier le recours à la visioconférence.

Il revient sur le parcours de Bechir Saleh et sur son rôle dans la Jamahiriya libyenne, qu'il décrit comme un ministre des affaires étrangères officieux. Parfaitement francophone, Bechir Saleh était régulièrement amené à rencontrer des ministres et autres hommes d'État pour le compte de Mouammar Kadhafi.

Lors de la chute du régime libyen, il a été capturé par une tribu avant d'être remis aux autorités françaises et exfiltré vers la Tunisie par avion. L'avocat commente cette exfiltration, qu'il trouve cohérente : "Bechir Saleh n'a pas de sang sur les mains." On aperçoit l'un des procureurs du Parquet national financier (PNF) hausser les sourcils.

L'avocat estime que le recours à la visioconférence est justifié : Bechir Saleh ayant subi une tentative d'assassinat en 2018 lorsqu'il était réfugié en Afrique du Sud. Le prévenu aurait peur pour sa sécurité et ne disposerait de toute façon pas des moyens financiers pour séjourner à Paris. Ce qui n'émeut pas le PNF, qui qualifie la demande de Bechir Saleh de téméraire.

Le procureur estime que les conditions de l'audition de Bechir Saleh ne sont pas négociables, tant au regard de la loi qu'au vu des multiples tentatives d'audition restées infructueuses pendant l'instruction : "Lors de sa seule audition en Afrique du Sud, Bechir Saleh a gardé le silence, comme c'est son droit... Il a préféré donner des interviews aux médias." Il demande au tribunal de rejeter cette demande.

Alors, visioconférence ou pas visioconférence ? La décision sur ce point devrait être rendue lundi en début d'après-midi.

Déclarations liminaires

Conformément à la loi, les prévenus peuvent faire des déclarations liminaires en début d'audience. Et c'est Nicolas Sarkozy qui veut prendre la parole en premier.

Pendant vingt minutes, il entame un véritable plaidoyer :

"10 ans de calomnie. 48h de garde à vue. 4 mois devant le tribunal correctionnel. J'affirme, comme je l'ai toujours fait depuis le début de la procédure, devant votre tribunal, que vous ne trouverez jamais même un euro, même pas un centime d'argent libyen" jure l'ancien Président.

Il continue : "Je veux deux choses : la vérité et le droit. Je n'ai aucun compte à régler et certainement pas avec l'institution judiciaire." Par cette première prise de parole, il entend dénoncer les déclarations de l'intermédiaire Ziad Takieddine et la publication de la note Koussa par Médiapart en 2012 : "Après 10 ans, nous avons trois groupes de menteurs ou d'escrocs bien identifiés. Les premiers c'est le clan Kadhafi : les premières accusations sont arrivées juste après ma demande pour le départ de Kadhafi de Libye."

Il fustige particulièrement les déclarations publiques de Saïf al-Islam, relayées par Euronews en mars 2011, qu'il qualifie de menteur : "Nous avons les comptes, les documents bancaires et nous les donnerons. Et rien. Absolument rien. Ils ne sont même pas d'accord entre eux sur le montant."

Il s'attaque ensuite au document diffusé par Médiapart : "Le document a été diffusé pendant l'entre deux tours. C'est un faux, c'est un complot !" s'emporte-t-il. "Cette affaire a commencé par un faux." Fabrice Arfi, présent dans la salle, secoue la tête en signe de désapprobation.

Nicolas Sarkozy continue et charge contre Ziad Takieddine : "Je ne sais pas pourquoi cet individu me persécute. C'est un menteur. Il a été condamné pour mensonge par la justice de notre pays, la justice française."

"On dit que la justice manque de moyens mais quand c'est pour moi NON", lance-t-il. Éclats de rires dans le public. "Ma campagne, Madame la présidente, a été celle qui a été la plus lasérisée au monde. Par deux fois elle a fait l'objet d'une enquête. Mais il faut savoir, qui a financé ma campagne : Bettencourt ou Kadhafi ?" assène-t-il. Il fait référence à l'instruction ouverte par le juge Gentil suite aux accusations portées par l'entourage de la milliardaire Liliane Bettencourt.

Il achève en mettant en avant la libération des infirmières bulgares, considérée par les juges d'instruction comme une contrepartie du pacte corruptif qu'il aurait conclu avec Mouammar Kadhafi : "Si vous ne discutez pas avec Kadhafi vous ne sortez pas les infirmières." Et sur l'intervention de l'ONU en 2011 : "Le plus grand souvenir de ma présidence c'est d'avoir été ovationné par le peuple libyen."

"Ce que je dis, je le pense. Et ce que je pense, je le démontrerai", conclut-il avant de se rassoir sur son strapontin.

Brice Hortefeux souhaite à son tour prendre la parole et s'avance à la barre : "Si je suis aujourd'hui devant vous c'est parce qu'il y a 20 ans, j'ai fait un déplacement officiel que je n'ai pas demandé. Cet entretien n'a duré qu'une quarantaine de minutes, traduction comprise."

Pour mémoire, l'ancien ministre est accusé d'avoir rencontré Abdallah Senoussi en secret afin de lui remettre un RIB pour organiser les transferts de fonds. La traduction aurait alors été effectuée par Ziad Takieddine.

Si Brice Hortefeux reconnaît la rencontre, il réfute toute remise de documentation bancaire : "Je n'ai jamais caché l'existence de cette entrevue puisque c'est moi qui l'ai indiquée à la presse. Ni M. Senoussi ni M. Takieddine n'en avaient fait état dans leurs déclarations publiques antérieures."

Pour conclure, il souhaite rappeler que l'entrevue en question était tout à fait imprévue. Il avance également qu'aucun fond libyen n'aurait été retrouvé.

Enfin, Claude Guéant clôture sommairement ces prises de paroles liminaires : "Je l'ai dit et je le redis avec force, je n'ai jamais bénéficié d'argent libyen." Il est notamment accusé d'avoir bénéficié de fonds détournés pour la vente de deux tableaux d'un peintre flamand et d'avoir réceptionné des sommes en liquide remises par Ziad Takieddine. "On n'a jamais retrouvé d'autres flux que ceux du principal accusateur", dit-il en référence aux versements retrouvés depuis les comptes des renseignements libyens vers une société de Ziad Takieddine.

Rapports franco-libyens et intervention de l'ONU en 2011

Les deux heures qui suivent sont consacrées à la lecture du rapport d'enquête par la présidente. Elle revient sur les origines de l'affaire, des accusations portées par Ziad Takieddine en 2012 lorsqu'il était interrogé dans le cadre du dossier Karachi, aux 500 000 euros retrouvés sur les comptes de Claude Guéant sans justification apparente durant l'enquête.

Le contexte de la relation franco-libyenne est également exposé. La présidente rappelle l'embargo et les sanctions financières imposés après les attentats de Lockerbie et du vol DC 10 d'UTA. Elle rappelle également la reprise des relations après la levée de l'embargo et expose les différentes visites faites par des représentants français à Tripoli, notamment celle de Jacques Chirac en 2004 et celle de Nicolas Sarkozy en octobre 2005.

Nicolas Sarkozy est interrogé sur les conditions de l'intervention onusienne en Libye. Il en profite pour revenir sur les accusations de tentative de meurtre portées par Abdallah Senoussi, qui a vu sa maison détruite suite à une intervention de l'OTAN : "La fable qui consiste à dire que tout a été démoli ne tient pas."

Après une petite suspension, l'audience reprend.

On revient plus longuement sur le document publié par Médiapart, qui avait donné lieu au dépôt par Nicolas Sarkozy d'une plainte pour faux. La note est projetée dans la salle. La présidente reprend les principaux éléments tendant à démontrer l'authenticité du document.

La procédure n'avait pas permis de déterminer si le document était authentique. Les enquêteurs n'ont pas pu faire d'expertise sur le document original et le juge d'instruction avait conclu au non-lieu.

17h. François Gouyette, ancien ambassadeur de France en Libye, vient déposer devant le tribunal. Il est l'un des témoins de l'accusation. Il a été entendu à deux reprises au cours de l'enquête.

En apparence, son témoignage semble assez clé pour le PNF : si la défense soutient que les accusations de Saif Al-Islam et de Mouammar Kadhafi sont intervenues en réaction aux déclarations de Nicolas Sarkozy appelant au départ du dictateur, François Gouyette affirme avoir entendu parler du financement avant son départ de l'ambassade, en février 2011.

Or, les accusations publiques de Saif Al-Islam, relayées par Euronews, datent de mars 2011. Petit problème chronologique, donc.

L'ancien ambassadeur maintient l'intégralité des déclarations faites lors de l'instruction. Pendant plus d'une heure et demie, la présidente lui pose diverses questions afin d'établir son niveau de connaissance des accusations de financement ainsi que des us et coutumes protocolaires en vigueur entre les autorités françaises et libyennes.

Il confirme avoir entendu parler du financement via des déclarations publiques de Saif Al-Islam, qu'il situe autour du 26 février 2011. Il précise s'en souvenir car il avait interrogé deux contacts libyens pour en savoir davantage. Moftah Missouri, ancien interprète du Guide, lui aurait déclaré "qu'il y avait eu quelque chose".

Le traducteur confirmait donc le principe du financement dès février 2011. Quant au montant allégué, François Gouyette déclare avoir été surpris par les différences entre les chiffres rapportés par ses différentes sources.

18h45. Fin de séance.

L'audience reprendra lundi à 13h30 avec l'audition du géopolitologue Frédéric Encel.

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