Quatrième jour d'audience pour Nicolas Sarkozy et les autres prévenus du dossier de financement libyen de campagne de l'ancien Président.
Aujourd'hui, le géopolitologue et universitaire Fréderic Encel vient déposer à la barre sur demande de la défense. Il est chargé de contextualiser les relations franco-libyennes à l'époque de l'ancien dictateur Mouammar Khadafi.
13 janvier 2025.
13h30. "Le tribunal, veuillez vous lever". Nathalie Gavarino et ses assesseurs prennent place dans la salle d'audience.
La présidente rend son délibéré concernant la demande d'audition en visioconférence de Bechir Saleh, l'ancien chef de cabinet de Mouammar Khadafi. La demande est jointe au fond et ne sera étudiée qu'à la fin du procès.
Pour l'heure, Frédéric Encel s'avance à la barre. L'universitaire décline son identité et prête serment de dire "la vérité, toute la vérité, rien que la vérité".
Un éclairage sur Mouammar Khadafi et l'état des relations franco-libyennes
Le témoin s'attache d'abord à présenter le colonel Mouammar Khadafi, décrit comme un dirigeant clivant en mal de reconnaissance.
D'abord capitaine - et non colonel, titre qu'il prendra par la suite sans jamais atteindre le grade militaire -, l'ancien dictateur ne descend pas du prophète et ne fait partie d'aucune dynastie royale contrairement à d'autres dirigeants de la région. Khadafi est méprisé par ses pairs.
Et pour cause : il est à la tête d'un petit pays, tant sur le plan démographique (dans les années 70, la Libye compte à peine 2 millions d'habitants) que géopolitique. Khadafi cherche à gagner de l'influence sur les pays du Moyen-Orient et sur les autres pays africains.
La présidente interroge le témoin sur le contexte de la libération des infirmières bulgares. Pour mémoire, Nicolas Sarkozy a grandement contribué à cette opération de sauvetage. Les juges d'instruction considèrent qu'il peut s'agir d'une contrepartie au pacte corruptif reproché à Nicolas Sarkozy.
Pour Frédéric Encel, cet épisode témoigne de la volonté de Mouammar Khadafi de ne pas perdre la face à l'égard des Occidentaux.
Il brosse ensuite le portrait du dirigeant, qu'il décrit comme nécessairement paranoïaque au regard du contexte de son accession au pouvoir par un coup d'Etat. Il précise que la Libye de Mouammar Khadafi est un Etat clanique : "La Jamahiriya de Mouammar Khadafi est un OPNI : un objet politique non identifié". Nombre de proches du dictateur administrent le pays au nom du Guide.
En bref, le dictateur libyen n'avait confiance qu'en peu de monde et se méfiait des Occidentaux.
Interrogé sur l'hypothèse d'un financement de campagne de Nicolas Sarkozy par Mouammar Khadafi, l'expert indique qu'une telle décision aurait nécessairement été approuvée par le Guide lui-même. La Libye possédait en outre un système de corruption permettant des ingérences étrangères, notamment via le LAP (Libyan African Portfolio), un fonds souverain dirigé par Bechir Saleh.
Le politologue nuance ses propos en expliquant que Khadafi était également coutumier des menaces sans suite à l'encontre de ses ennemis politiques. Il cite l'ancien président égyptien Anouar el-Sadate. A la connaissance de Frédéric Encel, le dictateur n'a jamais véritablement enregistré ses conversations avec d'autres dirigeants comme il le prétendait. Il réfute par ailleurs tout système de remise d'argent de la part de Khadafi à des dirigeants étrangers.
Cette dernière réponse semble contradictoire avec l'immense système corruptif décrit plus tôt.
L'intervention de l'ONU en Libye et la mort de Khadafi
La présidente lui demande son avis sur l'intervention de l'ONU en 2011 et la réaction du dirigeant libyen. Pour Frédéric Encel, il est clair que Khadafi ne s'attendait pas à une véritable attaque du régime par les Occidentaux.
Il décrit ensuite tour à tour Saif al Islam et Abdallah Senoussi.
Le fils du Guide est présenté à la fois comme un personnage pragmatique et paranoïaque. Lorsque Saif al Islam a accusé publiquement Nicolas Sarkozy de financement illicite de campagne, il aurait pu publier les preuves qu'il prétendait détenir. S'il ne l'a pas fait, c'est bien qu'il n'y en a pas.
Quant à Abdallah Senoussi, s'il a été un pilier diplomatique du Guide au début des années 2000, il aurait été écarté des zones de pouvoir à partir de 2009.
L'ancien Président semble particulièrement attentif aux explications du géopolitologue. Pour rappel, il avait lui-même qualifié le "clan Khadafi" de "bande de menteurs" lors de sa déclaration liminaire jeudi dernier.
Au fur et à mesure de ces trois heures de déposition, le témoin va être assailli de questions.
L'une des parties civiles interroge l'expert sur des déclarations qu'il aurait tenues en octobre 2011. Frédéric Encel aurait commenté la mort de Khadafi : "Khadafi était une source d'inquiétudes pour les occidentaux et les multinationales."
Il ne semble pas s'en rappeler et ne souscrit pas à ces déclarations. Le géopolitologue considère que la mort de Khadafi n'a apporté aucun soulagement pour les occidentaux en soi. Il n'a connaissance d'aucun accord secret ou illicite qui justifierait une telle réaction.
Maître Darrois, avocat de Nicolas Sarkozy, semble en remettre une couche sur les conditions de l'intervention de l'OTAN pilotée par la France et l'ancien Président : "Pouvez-vous nous dire, avec votre avis d'observateur impartial, si les conditions de cette intervention étaient normales ?"
Frédéric Encel explique en quoi cette intervention était pleinement justifiée, au regard des soulèvements populaires observés à l'encontre du régime de Khadafi. Au surplus, il tient à préciser qu'il n'a jamais soutenu politiquement Nicolas Sarkozy. Il se décrit comme un homme de centre-gauche, se disant proche de plusieurs figures "centristes" telle que Manuel Valls.
Nicolas Sarkozy souhaite clôturer cette déposition et prend la parole : "Vous vous interrogez sur la venue de Mouammar Khadafi à Versailles. Ce n'est pas moi qui ai reçu Khadafi à Versailles. Le grand diner d'un grand démocrate à Versailles, c'est le Président Macron." déclare-t-il, en référence au diner organisé par l'Elysée en 2017 pour accueillir Vladimir Poutine.
L'audience est suspendue pour 15 minutes.
Les premières réponses de Nicolas Sarkozy sur ses relations
16h55. L'audience reprend.
La présidente veut interroger Nicolas Sarkozy sur ses relations avec les autres prévenus du dossier, notamment Ziad Takieddine, Claude Guéant et Brice Hortefeux.
D'abord, Nathalie Gavarino revient sur le parcours politique de l'ancien Président et l'interroge sur les déclarations qu'il a faite lors de l'instruction.
La présidente se demande à partir de quand, précisément, Nicolas Sarkozy a voulu se présenter aux élections de 2007. En réponse, il insiste sur sa volonté de devenir Président alors qu'il n'était encore qu'un adolescent. Il ne s'avance pas sur une date, indiquant que dans sa mémoire il n'était pas sûr d'être candidat jusque fin 2006. A l'époque, l'UMP hésitait entre lui et Dominique de Villepin.
La présidente lui demande si, à ce moment-là, il avait envisagé les modalités de financement de sa campagne. Nicolas Sarkozy répond qu'il n'avait pas véritablement besoin d'y réfléchir car il avait le soutien de l'UMP. Il en profite pour affirmer - à grands renforts de gestes - qu'il n'a jamais envisagé de solliciter un Etat étranger pour financer sa campagne.
La présidente revient quand même sur les doutes qui existaient, d'après ses dires, sur l'investiture du candidat jusque fin 2006. L'ancien Président affirme qu'en sa qualité de président de l'UMP, il était assuré d'avoir le soutien du parti.
Il décrit ensuite Claude Guéant comme un proche collaborateur depuis son arrivée au cabinet du ministre de l'intérieur. Quant à ses relations avec Brice Hortefeux, il l'aurait rencontré à un meeting de Jacques Chirac au Palais des Congrès en juillet 1976. Ils sont amis depuis lors.
La présidente continue sur ses relations avec les autres protagonistes du dossier, notamment Ziad Takieddine. Lors de l'instruction, Nicolas Sarkozy a précisé ne l'avoir rencontré que deux fois entre 2002 et 2003.
Il décrit Takieddine comme un agent d'influence. Il précise : "Ziad Takieddine n'a joué aucun rôle auprès de moi."
Interrogé sur les déclarations de l'intermédiaire, qui assure qu'Alexandre Djouhri a mis à la disposition de Nicolas Sarkozy un réseau de financement composé notamment des saoudiens Khalid et Ahmed Bugshan et du banquier suisse Wahib Nacer, l'ancien Président s'emporte :
"Madame la Présidente, excusez-moi, mais c'est grotesque !".
Nathalie Gavarino revient ensuite plus longuement sur les échanges téléphoniques entre Alexandre Djouhri et Nicolas Sarkozy, interceptés par les enquêteurs. Le prévenu en profite pour dire qu'il a été écouté "pendant des mois, des années" et qu'on n'a "rien trouvé" à part deux conversations téléphoniques avec Alexandre Djouhri.
L'ancien Président oublie sûrement l'affaire des écoutes, révélée grâce aux interceptions téléphoniques en question.
Au fur et à mesure de son interrogatoire, Nicolas Sarkozy alterne entre laïus prolongés, coups d'oeil à ses avocats et agacement face aux nombreuses questions posées par le tribunal. La présidente rappelle à l'intéressé que des questions de détail vont lui être posées, qu'il peut trouver grotesques mais qu'il doit y répondre.
Tensions dans le prétoire
Le PNF lit certaines déclarations de David Martinon, l'ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy. Lors de l'enquête, il a déclaré que le financement d'une campagne électorale par un Etat étranger est possible. Il aurait entendu des rumeurs à propos de Jacques Chirac.
L'ancien Président commente : "Qu'on me montre des preuves. Pas le moindre euro, pas le moindre centime d'argent libyen".
Le tribunal continue la lecture de l'audition de David Martinon. En substance, celui-ci précisait que pour la campagne de Nicolas Sarkozy, il lui semblait invraisemblable qu'un financement étranger ait été nécessaire. La campagne était largement financée par les campagnes de dons.
D'un coup, Maître Darrois se lève depuis le banc de la défense et s'emporte à l'encontre du procureur : "Ce n'est pas très honnête !". Il lui reproche une lecture partielle de l'audition de David Martinon, qui sous entendait autre chose que ce qu'il a réellement dit.
Après un échange tendu entre le parquet et la défense, le PNF embraye sur les similarités entre l'affaire Karachi et ce procès au regard des protagonistes communs (Ziad Takieddine, Thierry Gaubert). Les procureurs s'attardent sur la proximité entretenue entre ces différents personnages et le cercle proche de l'ancien Président.
Nicolas Sarkozy cingle : "Parce qu'il y a eu financement illicite de la campagne d'Édouard Balladur, il y a financement de Khadafi ?"
Le PNF continue malgré les tentatives de déstabilisation. Seront encore évoqués le contrat Miksa - présenté par Ziad Takieddine comme étant à l'origine des relations entre lui et le cercle de Nicolas Sarkozy - et ses relations avec Thierry Gaubert.
L'avocate de l'association Anticor, Maître Claire Josserand-Schmidt, interroge le prévenu sur les déclarations de l'ex-femme de Ziad Takieddine, qui rapporte avoir été témoin d'une conversation téléphonique entre l'ancien Président et son mari au moment du décès de sa belle-mère.
Nicolas Sarkozy rejette tout appel de sa part, rappelant - comme à son habitude - que Ziad Takieddine est un "menteur patenté condamné par la justice pour parjure". Il en conclut que les propos de l'intermédiaire ne seraient pas fiables en raison de cette condamnation.
L'avocate s'engouffre instinctivement dans la brèche et lance : "Donc pour vous si on a été condamné une fois on est plus jamais crédible ?"
Un ange passe. Nicolas Sarkozy finit par répondre qu'être condamné pour faux témoignage, ça veut forcément dire quelque chose de plus qu'une condamnation ordinaire.
Après 3 heures d'interrogatoire, Maître Ingrain conclut cette journée en dispensant son client de questions supplémentaires.
La suite
La présidente s'apprête à suspendre l'audience.
Elle annonce que les prochains jours permettront d'entendre Jean-Guy Pérès, ancien attaché de sécurité, et Jean-Luc Sibiude, ambassadeur en Libye à l’époque des faits.
Le procès reprendra mercredi.