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Billet de blog 22 janvier 2025

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Sarkozy - Khadafi : dans l’ombre du procès, jour 7 (1)

L'audience de ce lundi 20 janvier a été particulièrement chargée entre l'interrogatoire d'Alexandre Djouhri et celui de Nicolas Sarkozy. Ce billet s'arrête à l'interrogatoire d'Alexandre Djouhri.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une nouvelle semaine de procès s'ouvre à la 32ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris. 

La journée promet d'être dense, entre la fin de l'interrogatoire de Claude Guéant et les interventions attendues des prévenus Thierry Gaubert et Alexandre Djouhri.

La présidente a également prévu d'aborder la visite ministérielle du 6 octobre 2005. Pour l'accusation, le pacte corruptif entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Khadafi aurait été conclu à cette occasion. 

Lundi 20 janvier 2025. 

13h30. L'audience reprend. 

Fin de l'interrogatoire de Claude Guéant

A la barre, Claude Guéant est assis. Le tribunal a décidé que les interrogatoires de l'ancien chef de cabinet seraient effectués en début d'après-midi, en raison de son état de santé.

L'octogénaire reprend ses explications sur sa rencontre "forcée" avec Abdallah Senoussi, lors d'un dîner organisé par Ziad Takieddine. La présidente s'intéresse aux déclarations contradictoires du témoin Jean-Luc Sibiude. 

En effet, si Claude Guéant rapporte avoir informé l'ambassadeur de sa rencontre avec Abdallah Senoussi, le témoin n'en garde aucun souvenir. Le prévenu affirme avoir prévenu l'ambassade, mais pas son supérieur direct Nicolas Sarkozy. Il était seul quand il a rencontré le dirigeant libyen.

Ziad Takieddine lui a tendu un piège.

Claude Guéant décrit ce dîner comme malaisant, en raison du statut criminel du libyen, condamné par contumace et sous mandat d'arrêt pour terrorisme dans l'affaire du vol DC-10 d'UTA. Les sujets évoqués pendant cette rencontre? Des blablateries sur la coopération entre la France et la Libye. 

Durant l'enquête, Abdallah Senoussi a précisé que des accords commerciaux avaient également été discutés, notamment pour du matériel de renseignement. Pour mémoire, la vente de matériel d'espionnage au profit de la Libye a bien eu lieu (affaire Amesys). D'après l'accusation, il s'agirait d'une contrepartie au pacte corruptif conclu par Nicolas Sarkozy. 

C'est justement au tour des procureurs du parquet national financier (PNF) de poser les questions. Le ministère public veut confronter les déclarations de Claude Guéant à certaines pièces du dossier.

Le prévenu indique qu'il est impossible que la technologie vendue par la société Amesys ait été mentionnée lors de ce diner en septembre 2005. 

Le procureur fait alors état d'une note personnelle rédigée par Ziad Takieddine. Elle a été retrouvée dans la clef remise par Nicola Johnson dans l'affaire Karachi. Cette note mentionne le "grand intérêt" d'Abdallah Senoussi pour de la technologie SSI. 

Claude Guéant expose que la technologie SSI n'est pas du même ordre que celle vendue par Amesys à la Libye. Il souhaite donner plus de détails mais le calendrier du tribunal est serré : le contrat Amesys sera abordé plus tard, lors d'une audience dédiée.

Les parties civiles vont maintenant interroger le prévenu. Leur tour de questions avait été reporté en raison de l'état de santé de Claude Guéant jeudi 16.

Maître Laure Heinich, qui représente les familles des victimes de l'attentat du DC-10, prend la parole. Elle interroge l'ancien chef de cabinet sur certaines déclarations qu'elle estime contradictoires.

Claude Guéant a précisé au tribunal qu'il ne connaissait pas d'indics et qu'il n'avait jamais travaillé avec ce type de personnes lorsqu'il était dans la police. Il a pourtant déclaré le contraire dans une autre procédure. 

Court silence du côté de la défense. "Je ne vois pas le rapport" répond le prévenu. Pour l'avocate, le parallèle entre le rôle joué par les indics et celui joué par les intermédiaires en affaires - comme Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri - est évident. 

Maître Heinich continue. Elle évoque les déclarations de Claude Guéant à propos d'Abdallah Senoussi. Le prévenu a déclaré à la barre qu'il s'était renseigné sur les alternatives juridiques concernant la situation pénale du libyen.

L'avocate essaye de comprendre comment et pourquoi le prévenu aurait fait une telle démarche. Après tout, Abdallah Senoussi est un terroriste, condamné en France, et surtout responsable de la mort de 170 personnes. Pourquoi le chef de cabinet de Nicolas Sarkozy se serait renseigné sur les voies légales pour faire lever sa condamnation ? 

Claude Guéant semble quelque peu acculé. Il argue qu'il a fait ces recherches pour sa connaissance personnelle. Il indique qu'aucun recours "en dehors du droit commun" n'a été envisagé. En clair, la France n'avait pas prévu d'amnistier Abdallah Senoussi. 

L'avocate pousse encore. Claude Guéant a précisé devant le tribunal qu'il a rencontré Ziad Takieddine une dernière fois en 2009 pour "clôturer le dossier Senoussi". Maître Heinich s'interroge sur le sens de cette formulation : la France a-t-elle envisagé d'aider Abdallah Senoussi à faire lever sa condamnation ? 

Le prévenu se perd dans ses explications. Il finit par déclarer "je voulais formaliser, de manière explicite, que le gouvernement français ne ferait aucune démarche en dehors du droit commun". 

Maître Heinich reprend l'une des dernières déclarations de Claude Guéant. Jeudi, il a affirmé à la barre qu'il "regrettait" la rencontre avec Abdallah Senoussi "mais qu'elle n'avait pas porté à conséquences".

L'avocate expose en quoi cette rencontre et les tractations effectuées autour de la situation pénale du libyen causent un préjudice aux familles des victimes de l'attentat. Pour Claude Guéant "c'est une question de point de vue"

Maître Claire Josserand Schmidt prend ensuite la parole : "Jeudi, Madame la présidente vous a interrogé sur les risques de fuite liés à votre rencontre avec Abdallah Senoussi dans un endroit public. Personne n'a besoin de vous expliquer pourquoi rencontrer un terroriste c'est un risque. Comment, dans ces circonstances, alors que Nicolas Sarkozy a des ambitions présidentielles bien connues à l'époque, avez-vous pu garder cela pour vous ?" 

Claude Guéant argue qu'il n'identifiait aucun risque pour le ministre ou la diplomatie. Pour lui, le seul risque était personnel : il aurait pû être remercié si ça s'était su mais ça s'arrête là. 

L'avocate d'Anticor embraye : "Avez-vous toujours agi dans l'intérêt de Nicolas Sarkozy ?". "Oui " répond avec force l'ancien chef de cabinet. 

Pendant une heure, les échanges se poursuivent. Maître Chloé Delamourd, avocate de Transparency International, interroge Claude Guéant sur les déclarations d'Alain Juillet. L'ancien directeur de la DGSE prétend avoir appris que Claude Guéant se rendait le week-end en Libye sans en avertir personne.

Pour le prévenu "Alain Juillet extrapole". La présidente rappelle qu'Alain Juillet va déposer comme témoin lors du procès. 

L'avocat du prévenu, Maître Bouchez el-Ghozi, enchaine. Il met en perspective les deux rencontres imprévues décrites par Jean-Luc Sibiude avec Abdallah Senoussi. Il tente de démontrer que cette ligne de défense est crédible. 

Claude Guéant, visiblement épuisé, regagne sa place. La présidente précise que le prévenu est libre de disposer si son état ne lui permet pas d'assister au reste des débats.

C'est maintenant au tour de Thierry Gaubert d'être entendu.

Les relations de Thierry Gaubert

Le prévenu est appelé à la barre.

A ce stade, Nathalie Gavarino cherche à comprendre les relations existantes entre l'ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy et les autres protagonistes du dossier.

L'homme s'avance. Il commence par revenir sur son parcours professionnel à la Caisse d'épargne. Il a quitté son poste au moment de sa mise en cause dans l'affaire Karachi. Pour mémoire, la cour d'appel vient de confirmer la condamnation de Thierry Gaubert dans cet autre dossier de financement de campagne. 

Après avoir relaté l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de la mairie de Neuilly, la présidente interroge Thierry Gaubert sur son départ du cabinet du ministère du budget en 1994. Thierry Gaubert explique qu'il ne voulait pas rentrer en politique. Pensant qu'Edouard Balladur allait être élu à la présidence, il a préféré prendre les devants. Il tient à préciser que son départ n'est pas lié à sa mise en cause dans l'affaire du 1% logements.

Le tribunal enchaine sur les déclarations de l'ex-épouse de Thierry Gaubert, Hélène Karageorgevitch, princesse de Yougoslavie.

La présidente n'a même pas le temps de poser sa question. Le prévenu plaide le complot, rapportant les relations détestables qu'il entretient avec son ancienne compagne, qui "cherche à lui nuire". Il indique avoir déposé plainte à son encontre pour calomnie.

Il met également en cause Maître William Bourdon, qu'il présente comme l'avocat d'Hélène Karageorgevitch et de l'ex-épouse de Ziad Takieddine. Il sous-entend que l'avocat serait à l'origine de la machination.

Thierry Gaubert revient ensuite sur ses relations avec Ziad Takieddine. S'il n'est pas en mesure de décrire avec précision les activités professionnelles de l'intermédiaire, le prévenu indique qu'il entretenait de très bonnes relations amicales avec ce dernier.

La présidente poursuit. "Pourquoi trouve-t-on des documents en rapports avec la Libye dans votre ordinateur Monsieur Gaubert ?" En effet, la perquisition réalisée au domicile du prévenu a permis la découverte de plusieurs documents. Thierry Gaubert jure qu'il n'a aucun rapport avec Mouammar Khadafi et/ou la Libye.

Il s'en tient à ses déclarations antérieures : Ziad Takieddine a utilisé son ordinateur de temps à autre, d'où la présence des documents. Il l'a dépanné. 

La présidente veut comprendre comment et pourquoi l'intermédiaire utiliserait l'ordinateur de Thierry Gaubert plutôt que le sien. Le prévenu évoque les difficultés informatiques rencontrées par Ziad Takieddine. D'où cet usage.

Sur ses relations avec Brice Hortefeux, il précise que c'est un ami depuis leur collaboration aux côtés de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly. Il indique que c'est lui qui a mis en relation Ziad Takieddine et Brice Hortefeux. 

Il affirme que les deux protagonistes "n'étaient pas amis". 

Interrogé sur la poursuite de sa relation avec Ziad Takieddine après 2005 - alors que l'intermédiaire avait subi un grave accident qui l'a "changé" - Thierry Gaubert se décrit comme "fidèle, au moins en amitié". Petits rires dans la salle. S'il n'y avait pas eu le contrôle judiciaire, il serait encore ami avec lui.

Le PNF a des questions pour le prévenu. Les procureurs cherchent à savoir quand et comment Thierry Gaubert a mis en relation Ziad Takieddine et Brice Hortefeux. Ce dernier affirme que c'était en 2003, au moment du contrat Miksa.

Thierry Gaubert se perd dans ses explications. Il ne donne pas de date précise.

Au tour des parties civiles. L'avocate de Sherpa - qui travaille au cabinet de Maître Bourdon - est particulièrement indignée par les propos de Thierry Gaubert.

Elle rappelle que Thierry Gaubert est mis en examen et renvoyé devant un tribunal pour subornation de témoin sur.... son ex-épouse.

Léger agacement du côté de la défense. L'interrogatoire du prévenu s'achève sur une observation de Maître François Esclatine, avocat historique de Thierry Gaubert. Il souhaite préciser que la plainte pour calomnie à l'encontre de Madame Karageorgevitch a bien été déposée.

Pas de suspension pour le moment. L'audience continue avec l'interrogatoire du second intermédiaire, Alexandre Djouhri. 

L'interrogatoire d'Alexandre Djouhri

Le prévenu s'avance à la barre.

Mains sur les hanches, l'intermédiaire entame sa déclaration : "Mon parcours il est simple : j'ai pas fait beaucoup d'études".

L'homme d'affaires est également décrit comme un grand ami de Dominique de Villepin. Bouffon, agressif, sympathique, facilitateur, nombreux sont les qualificatifs attribués à Alexandre Djouhri. Il se fait déjà réprimander par le tribunal pour sa posture à la barre.

La présidente l'interroge sur ses relations avec Nicolas Sarkozy et Claude Guéant. 

Comme l'ancien Président, Alexandre Djouhri raconte sa "rencontre" avec Nicolas Sarkozy lors d'un déjeuner au Bristol, qu'il situe à l'été 2006. Il décrit cette relation comme "humaine, saine et sincère". 

Nathalie Gavarino enchaine : "Est-ce que vous tutoyez Nicolas Sarkozy ?"

"Oui" indique le prévenu.

"Et vous l'avez tutoyé à partir de quand ?" s'interroge le tribunal. 

"C'est venu très sportivement !" répond du tac au tac Alexandre Djouhri. 

La présidente le questionne sur ses relations avec Ziad Takieddine. Le prévenu est très affirmatif : il prétend ne pas connaître l'intermédiaire libanais.

Sur sa connaissance de la Libye, Alexandre Djouhri évoque son amitié de longue date avec Bechir Saleh, l'ancien secrétaire / chef de cabinet du Guide. Le prévenu indique s'être rendu régulièrement en Libye de 1980 à 1995 mais ne plus y avoir remis les pieds depuis.

Sur le reliquat de factures évoqué par Saif al Islam dans sa déposition écrite, qui aurait justifié la présence d'Alexandre Djouhri en Libye et son rôle ultérieur dans le financement de campagne, le prévenu tempère : "Saif al Islam a été manipulé par les ennemis de Nicolas Sarkozy". La présidente rappelle que le prévenu est également mis en cause par Ziad Takieddine. 

"Alors lui, il met en cause plein de monde. Au point où il en est..." répond-il.

Alexandre Djouhri cherche à amuser la galerie à coup de petites phrases chocs. Il enchaine et "donne sa parole d'honneur que ce qu'il dit c'est la vérité'.

Sur une question posée par l'un des assesseurs, l'intermédiaire s'énerve. Le tribunal cherche à savoir comment il a rencontré Dominique de Villepin. En effet, d'après Nicolas Sarkozy - et lui même - c'est cette amitié qui justifiait qu'Alexandre Djouhri soit présent lors du déjeuner au Bristol. 

Le prévenu crie à "l'atteinte à la vie privée". Sa réponse lui vaut une nouvelle intervention de la présidente pour le calmer et lui rappeler l'objet des questions. 

Le tribunal s'en tiendra là pour le moment. 

Pour leur part, les procureurs du PNF veulent en savoir plus sur Alexandre Djouhri et sur ses interventions en Libye après la levée de l'embargo en 2003.

L'intermédiaire expose alors son rôle dans l'indemnisation des familles de victimes de l'attentat DC-10. Il prétend avoir oeuvré par la suite pour l'achat d'avions Airbus par la Libye.
12 avions ont bien été vendus à la compagnie libyenne Afriqayah Airways lors d'un salon organisé en Allemagne en 2006. Djouhri et Saleh étaient présents. Le prévenu ne se perçoit pas comme un intermédiaire : "Je ne me suis imposé nul part depuis que je suis né". 

Interrogé sur l'intérêt porté par les services de renseignements à son égard, il se présente comme un homme "bien informé" mais rejette ce terme d'intermédiaire. 

Pour Alexandre Djouhri, Ziad Takieddine ne joue pas dans la même cour que lui : "Lui il fait de la boxe et moi de l'athlétisme. ça n'a rien à voir."

Les procureurs essayent de comprendre les motivations du prévenu pour l'organisation du déjeuner au Bristol, censé rapprocher les équipes de De Villepin de celles de Sarkozy. Pour l'intermédiaire, il n'a fait que "défendre les intérêts de la France". Basta.

Le PNF s'intéresse également à la relation Guéant - Djouhri. Le procureur cherche à savoir si cette relation est enrichissante. Alexandre Djouhri recommence à gesticuler et indique que Claude Guéant est "rigolo" malgré son "air austère".

3ème intervention de la présidente pour recadrer le prévenu : "Je vous demanderai de vous contenir, ce n'est pas un spectacle. Arrêtez de regarder Nicolas Sarkozy et adressez-vous au tribunal."

Les parties civiles tentent ensuite péniblement d'obtenir des réponses de la part de la part d'Alexandre Djouhri.

Maître Olivier, également désigné dans l'intérêt des familles des victimes de l'attentat du DC-10, revient sur la profession du prévenu : "Finalement, vous mettez en relation plusieurs personnes ?".

Alexandre Djouhri confirme. "C'est la définition d'un intermédiaire" assène l'avocat, non sans un sourire.

"Non ! Non !" s'emporte l'intéressé. "Faites le professeur si vous voulez. Soyez précis au lieu de faire le grossiste !"

Nouveau rappel à l'ordre de la présidente. L'intermédiaire continuera d'alterner entre réponses burlesques et quasi agressions verbales à chaque question posée. 

La défense choisit de ne pas intervenir.

17h05. L'audience est suspendue pour le quart d'heure. 

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