Lundi 20 janvier 2025.
Après les déclarations animées de l'intermédiaire Alexandre Djouhri, au tour de Nicolas Sarkozy d'être interrogé.
Le tribunal cherche à établir la chronologie de son voyage en Libye.
17h28. L'audience reprend.
L'ancien Président est appelé à la barre. La présidente commence avec une première salve de questions. Elle veut cerner le contexte qui a mené au voyage de Nicolas Sarkozy.
L'organisation du déplacement
Le prévenu rappelle qu'il s'est déplacé sur invitation de son homologue libyen, Nassr al-Mabrouk Abdullah. Une invitation qui avait d’ailleurs été adressée auparavant à Dominique de Villepin lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.
Nicolas Sarkozy continue et égraine les pays dans lesquels il s'est rendu en qualité de ministre. Ces déplacements étaient nécessaires dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine.
La présidente oriente les questions sur l'organisation du voyage préparatoire de Claude Guéant. Le directeur de cabinet s'est rendu à Tripoli entre le 30 septembre et le 2 octobre 2005, en amont de la visite du ministre Sarkozy. Le tribunal s'interroge sur le caractère habituel de ce type de déplacement.
L'ancien Président déclare que la spécificité du contexte libyen justifiait cette visite préparatoire : si la France dispose d'une ambassade sur place, la Libye était sortie de l'embargo peu de temps avant et abrite nombre de terroristes. Finalement, on peut dire que le chef de cabinet s'est rendu sur place pour "préparer" le terrain.
"Très concrètement, Claude Guéant nous a expliqué s'être rendu seul en Libye. Pourquoi ?" poursuit la présidente Gavarino. En effet, Claude Guéant s'est rendu en Libye sans aucun officier de sécurité, conseiller diplomatique ou autre personne de l'Elysée. Ces modalités de voyage interrogent.
Pour Nicolas Sarkozy, c'est Claude Guéant qui voulait se rendre en Libye seul. Il n'a pas eu de discussion particulière avec son chef de cabinet sur ce point.
Comme au premier jour, l'ancien Président soutient que Ziad Takieddine n'a joué aucun rôle dans l'organisation de ces déplacements. En tous cas, pas à sa demande. L'intermédiaire libanais se trouvait pourtant systématiquement en Libye lors des déplacements officiels français. Ce que ne manque pas de lui faire remarquer le tribunal.
Là encore, Nicolas Sarkozy a la réponse : il n'a jamais vu Ziad Takieddine en Libye, point final.
La rencontre entre Sarkozy et Khadafi
Le prévenu décrit ensuite sa rencontre avec le chef d'Etat libyen Mouammar Khadafi. Un personnage étrange d'après l'ancien Président, coutumier des très longues logorrhées. Il se revoit en face à face avec le dictateur, placé à 2,5 mètres de lui.
Nicolas Sarkozy déclare qu'il y a bien eu un "tête à tête" entre lui et Mouammar Khadafi le 6 octobre 2005. Il précise qu'il s'est déroulé en présence des deux interprètes (Moftah Missouri et Yolla Abou Haidar), sous la tente. Ces déclarations sont contradictoires avec celle du témoin Jean-Luc Sibiude, qui évoquait plutôt un long entretien en dehors de la tente.
Perdu dans ses propres déclarations, Nicolas Sarkozy est soudain interrompu par la présidente. Elle souhaite établir une chronologie heure par heure de la journée en question.
Après plusieurs digressions, l'ancien Président retrace la chronologie des évènements :
13h. Atterrissage en Libye.
14h. Rencontre avec Mouammar Khadafi sous la tente.
14h30. Passage au ministère de l'intérieur libyen.
15h. Visite d'un camp de migrants.
18h. Passage à l'hôtel Corinthia, rencontre avec les français de Libye.
19h. Dîner en compagnie des autorités libyennes.
21h. Départ de Libye.
Le tribunal projette un film d'archives qui présente le voyage. La chronologie évoquée semble correspondre en tout point aux images diffusées dans la salle.
La présidente questionne encore l'ancien Président : "Y'a t-il eu un entretien en tête à tête, sans interprètes, lors de ce voyage ?"
Après un silence volontaire, Nicolas Sarkozy réfute cette hypothèse, expliquant que Khadafi ne parlait pas français et que lui-même parlait très mal anglais. Il ne voit pas comment ils auraient pu communiquer sans interprète.
"Est-ce que, à un moment donné, vous avez fait une demande de financement sous la tente ?" interroge le tribunal.
L'ancien Président marque une nouvelle pause avant de répondre. "C'est douloureux de répondre à votre question Madame." lâche-t-il. A nouveau, Nicolas Sarkozy qualifie cette hypothèse de "grotesque". "Y'a-t-il eu le début du commencement d'un élément concret de preuve d'un financement ? Non.". Il récite son chapelet habituel : il n'avait jamais vu Khadafi avant, n'a pas sollicité ce déplacement. Bref, "c'est hallucinant" de le mettre en cause sur la base des "élucubrations" de Ziad Takieddine.
A présent, le tribunal s'interroge sur les déclarations antérieures de Nicolas Sarkozy. Il a indiqué que des "mises en garde" lui avaient été faites sur Abdallah Senoussi. La présidente veut savoir quand, comment et par qui elles ont été faites. Le prévenu indique que Pierre de Bousquet de Florian, à l'époque chef de la DST, l'a prévenu dans l'avion qui le conduisait en Libye.
La présidente Gavarino cite des passages de la déposition du directeur de la DST. Celui-ci indique que ces mises en garde étaient antérieures au voyage.
Claude Guéant et Brice Hortefeux ont pourtant déclaré à la barre qu'ils n'étaient pas au courant des difficultés liées à une rencontre avec Abdallah Senoussi. D'un autre coté, Nicolas Sarkozy a fièrement indiqué durant l'enquête que "tout le ministère de l'intérieur" était au courant de la situation pénale du chef des renseignements libyens. Tout le monde.... sauf son directeur de cabinet et son ministre délégué ?
L'ancien Président en est pourtant certain : il n'a jamais eu de réunion antérieure avec Pierre de Bouquest de Florian à ce sujet. La présidente pousse. "Avez-vous su que Monsieur Guéant avait rencontré Senoussi le 30 septembre ou 1er octobre 2005 ?"
"Non" répond Nicolas Sarkozy. Il met en avant des déclarations "parfaitement cohérentes" entre lui et Claude Guéant sur ce point. Il qualifie d'ailleurs cette rencontre entre Guéant et Senoussi d'erreur. Et pourquoi lui en aurait-il parlé ? A l'époque, la question Senoussi n'était pas brûlante.
Les déclarations de Ziad Takieddine
Après une heure de questions, la présidente veut confronter l'ancien Président aux déclarations de l'intermédiaire Ziad Takieddine. Il accuse Nicolas Sarkozy d'avoir eu un entretien en tête à tête avec Khadafi sans interprète. Le libanais parle aussi d'une rencontre avec Abdallah Senoussi à l'hôtel Corinthia.
La présidente donne lecture des nombreuses déclarations - fluctuantes - de Ziad Takieddine. L'intermédiaire évoque d'abord un tête à tête entre Sarkozy et Khadafi ; il aurait assuré la traduction. Une autre fois il n'assure plus la traduction entre les deux hommes mais il maintient qu'un entretien a bien eu lieu. Peut-être était-ce en revenant vers les voitures, après la rencontre sous la tente ? Ou bien encore lors du dîner en fin de journée ? Quant à Abdallah Senoussi, Takieddine indique qu'une rencontre a eu lieu à l'hôtel de Nicolas Sarkozy. Ou bien était-ce un coup de téléphone ?
Nicolas Sarkozy réagit. Il qualifie ces déclarations de "fausses" et "grotesques". Avant ça, il rappelle que "Ziad Takieddine est en fuite", contrairement à lui qui est "devant la justice pour répondre". Ziad Takieddine "n'assume pas ses paroles" et fait "des bras d'honneur à la justice".
Il enchaine sur l'impossibilité d'une rencontre entre lui et Senoussi à l'hôtel, en raison des journalistes et du service de sécurité présents. Il balaie aussi l'hypothèse d'un appel téléphonique. L'existence de cet appel est pourtant rapporté par Abdallah Senoussi lui-même.
"De manière formelle, il n'y a pas eu de coup de téléphone, sinon il aurait été enregistré. Je n'ai jamais varié dans mes déclarations. La cohérence, Madame la présidente, reconnaissez qu'elle est quand même de mon côté." achève l'ancien Président.
L'un des assesseurs en profite pour prendre la parole. La juge veut faire réagir Nicolas Sarkozy sur les déclarations de certains témoins, qui assurent que l'ancien ministre a été reçu avec beaucoup d'égards par la Libye. Et ce alors qu'il n'était que ministre, pas chef d'Etat.
Nicolas Sarkozy charge et évoque les multiples déplacements du ministre de l'intérieur italien sur la même période. Il était également reçu par Mouammar Khadafi sans que cela ne fasse un scandale d'Etat. L'accueil reçu par Nicolas Sarkozy n'a donc rien d'exceptionnel. Il décrit Khadafi comme un personnage "irrationnel" : "J'ai cru qu'il était drogué ! Moi j'ai jamais fumé." Un homme peu fréquentable donc, à qui on aurait pas idée d'aller demander un financement de campagne.
Au tour des procureurs du PNF de poser les questions. Le parquet s'interroge sur le terme "d'erreur" employé par Nicolas Sarkozy pour qualifier la rencontre entre Abdallah Senoussi et Claude Guéant. Le prévenu maintient.
Le procureur tente de questionner la crédibilité de Claude Guéant. Comment un directeur de cabinet peut-il passer sous silence sa rencontre avec un terroriste ? Pourquoi ne pas en avoir averti le ministre ? Nicolas Sarkozy a toute confiance en son fidèle collaborateur. Il croit sa version et fustige les procureurs d'avoir "monté en épingle" cette rencontre alors que le sujet du procès "c'est le financement".
Le PNF ne lâche pas. Les notes retrouvées sur la clef de Ziad Takieddine sont essentielles. Le procureur s'intéresse particulièrement à une sorte d'aide mémoire rédigé par l'intermédiaire.
Il y est fait mention d'un "dîner" à organiser entre Claude Guéant et le "numéro 2 du régime". Les procureurs supposent qu'il s'agit d'Abdallah Senoussi, en raison de son poids dans l'organigramme libyen. Une note troublante, quand on sait qu'elle a été rédigée en amont du déplacement de Claude Guéant et que ce dîner a bien eu lieu.
Le prévenu n'a pas de commentaire particulier, il n'a pas été rendu destinataire de cette note.
Sur la même lancée, l'accusation évoque les "rumeurs" qui circulent en Libye à l'époque : Ziad Takieddine se baladerait avec une lettre de Nicolas Sarkozy, qui le présenterait comme un émissaire. A nouveau, Nicolas Sarkozy réfute et expose que si une telle lettre avait existé, elle aurait été retrouvée.
Les procureurs poursuivent. Pendant 3 heures, l'ancien Président s'en tient à sa version.
L'accusation fait le rapprochement entre les déclarations d'Abdallah Senoussi, qui indique que la question d'un financement n'a pas été évoquée sous la tente, en raison de la présence de "l'interprète de Chirac". Madame Yolla Abou Haidar est également présentée par Nicolas Sarkozy comme l'interprète de Chirac. Le ministère public trouve la coïncidence étrange.
L'ancien Président tonne et tempête. Pour lui, les déclarations de Senoussi démontrent justement qu'il n'a pas conclu de pacte corruptif avec Mouammar Khadafi le 6 octobre 2005 : ils n'ont pas parlé de financement, point.
20h45. Nicolas Sarkozy retourne à sa place.
Mercredi 22 janvier, Brice Hortefeux sera interrogé à la barre. Le tribunal s'intéressera particulièrement à son voyage et à sa rencontre avec Abdallah Senoussi.
L'audience est suspendue.