Je n’ai que 26 ans et pourtant je fais déjà tristement partie de la catégorie des gens qui n’y croient plus vraiment. Témoin lointain de l’arrivée du FN au second tour en 2002 (je n’avais alors que 8 ans), collégienne et lycéenne profondément dégoûtée du comportement et de la politique de Nicolas Sarkozy à partir de 2007, actrice un peu honteuse de la victoire de François Hollande en 2012 (on fait tous des erreurs à 18 ans), révoltée invétérée lors de la victoire d’Emmanuel Macron en 2017, que reste-t-il à l’aube de 2020 de la flamme qui anime ma volonté de justice sociale ?
Si elle n’est pas éteinte – la justice sociale reste un idéal de société que je souhaite porter –, elle n’est sûrement plus aussi puissante, du moins est-elle largement désarmée. Les 20 premières années du XXIe siècle n’ont fait que renforcer l’idée qu’il n’y avait pas la moindre alternative au monde qui s’offre à nous ; un monde profondément inégalitaire, déséquilibré, individualiste et inhumain. Ne vous y trompez pas, mes études d’histoire m’ont permis de voir que le monde est meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était il y a de cela un siècle, mais elles m’ont également permis de voir qu’en réalité nous assistons impuissants à une forme de dégradation. Si le niveau de vie – et sa qualité – ne cesse d’augmenter pour tous (et principalement en Occident), l’intelligence collective de nos dirigeants et grands partons ne fait que suivre la courbe inverse ; et ne l’oublions pas, les inégalités ne cessent de s’accroître. Non, nos dirigeants n’étaient pas mieux avant (nul ne peut l’ignorer), mais ce que nous avons aujourd’hui va nettement à rebours de l’espérance que les changements du monde pourraient apporter. On me dit souvent que je vis dans le monde des Bisounours, que mon idéal est inatteignable, mais ma question est simple : pourquoi y a-t-il plus d’argent et moins de répartition ? Après tout, plus il y a d’argent, moins il n’y a de besoin de le concentrer dans un même endroit et plus est censé naître la possibilité de le repartir entre tous, non ?
Plus le temps passe, plus je m’aperçois que cette pensée est en effet naïve : l’individualisme est inhérent à notre société occidentale. Même au sein des partis que l’on dit de gauche, où l’idéal devrait être collectif, l’individualisme prend le pas sur le reste. On pense à sa petite position, son petit pouvoir, sans plus jamais réfléchir sincèrement à la société que l’on souhaite porter. Je le sais, je fais des généralités et tout le monde n’est pas mauvais, malheureusement le bien est rarement ce que l’on retient. J’ai vu des membres d’un parti au niveau local se chamailler pour une place de 12e sur des listes municipales alors qu’ils étaient aussi réformistes (voir rétrogrades) l’un que l’autre, j’ai vu des syndicalistes étudiants oublier leur idéal très à gauche simplement pour être repérés par les pontes du parti dont je parlais juste avant. Alors si des gens, à un niveau aussi bas, se battent autant pour le pouvoir et leurs (tout) petits privilèges, pourquoi n’en serait-il pas de même à un niveau plus élevé dans « l’élite » ? Pourquoi un multimillionnaire ou un président voudrait partager ses richesses et ses pouvoirs ? D’ailleurs, il semble souvent que l’individualisme grandit avec les pouvoirs et l’argent que l’on amasse.
Je ne suis pas de celles qui peuvent vous parler exactement des reformes mises en place, qui ont une analyse appuyée d’arguments minutieux ou qui peuvent parfaitement remettre l’ensemble dans un contexte international. J’ai des connaissances du temps présent, mais elles sont toutes assez superflues et n’entrent pas forcément dans le détail. Pourtant, il n’est pas difficile de voir que ce vers quoi nous devrions tendre avec l’augmentation des richesses est loin d’être là. Il n’est pas difficile de voir que la politique actuelle en France ne fait que suivre un modèle anglo-saxon qui a pourtant prouvé son inefficacité. Mais son inefficacité pour qui ? Ce modèle britannique et américain est inefficace pour réduire les inégalités, parce qu’il est efficace pour renforcer la puissance des déjà très riches. Il ne faut pas rêver, ce n’est pas un échec de ce modèle, c’est une réussite pour ceux qui l’ont souhaité. Et le plus triste dans tout cela, c’est que certes les différentes révolutions, révoltes, grèves et autres mouvements sociaux en France n’ont jamais réellement aboli les privilèges, mis fin aux inégalités, empêché la toute-puissance de la classe bourgeoise – après avoir pourtant tenté de tuer la noblesse –, mais elles avaient au moins le don d’avoir porté haut et fort, d’avoir implanté petit à petit un régime basé sur la solidarité. Aujourd’hui, le gouvernement détruit toute cette solidarité à la suite de tous les gouvernements du XXIe siècle. Macron n’est que le paroxysme d’un mouvement engagé depuis bien trop longtemps. En détruisant cette solidarité à petit feu, on ne fait que renforcer l’individualisme de manière fourbe et insidieuse.
Oui, mon esprit révolté a connu quelques regains depuis deux ans : les gilets jaunes et le mouvement social actuel prouvent qu’il existe encore des moyens de s’organiser, de débattre et de mettre en place des actions collectives, mais qu’en ressort-il au final ? Des mains arrachées, des yeux en moins et encore et toujours une politique qui détruit la solidarité ; parce que le peuple est fort, mais il n’est rien lorsqu’il peut être contourné et réprimé. La casse du service public, la privatisation à tout-va, la destruction du système redistributif semblent inarrêtables.
Mais malgré tout, je souhaite que les gilets jaunes continuent de se rassembler, que la grève continue d’exister, que jamais la révolte contre les inégalités ne cesse, que toujours des gens dénoncent les mensonges d’un gouvernement qui ne gouverne que pour lui, et que la solidarité naisse en dehors des cadres définis. Parce que s’il est peut-être impossible d’arrêter ce gouvernement, il est également impossible d’arrêter un peuple qui se rassemble doucement mais sûrement.
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Ce n’est pas parce que mon nom est en jaune que ce texte engage Mediapart, il n’engage évidemment que moi. Je ne l’ai écrit que parce que je voulais témoigner de ma propre expérience, de mon simple ressenti, face aux politiques qui nous gouvernent.