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Billet de blog 18 mai 2023

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Partout en France : les Sciences Po mouvementés

A Bordeaux, Toulouse, Lyon, Saint-Etienne ou Grenoble, les Instituts d’Études Politiques (IEP) sont agités par une colère étudiante. Depuis fin janvier, ils sont des milliers à bloquer, occuper et manifester contre la réforme des retraites. Une lutte historique au sein de l’institution « Sciences Po », bousculée par des étudiants qui s’emparent de la politique au-delà de leurs cahiers d’écoliers.

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Même les « décideurs de demain » ne veulent pas du monde de demain. Dans certains campus, ils ont commencé à se réunir en Assemblée Générale dès la fin du mois de janvier, pour commencer à planter les graines d’un large mouvement inter-Sciences po. « L’accès au bâtiment pédagogique est impossible ce jour » informe l’administration de Sciences Po Lyon à ses étudiants le 31 janvier. C’est officiellement le début d’une longue série de blocages, tout comme à Strasbourg, à Rennes et à Lille. D’autres les rejoindront à partir de l’appel de l’intersyndicale le 7 mars, comme à Menton ou à Toulouse. À l’annonce du 49.3 par le gouvernement, la lutte connaîtra un pic de mobilisation, ce sera au tour de Saint-Étienne de rejoindre le mouvement. « Le premier blocage de l’IEP de Sainté a eu lieu juste après l’annonce du 49.3, le vendredi matin. On sentait bien que la colère montait, c’était inévitable » explique Léon, étudiant en première année. Des cours annulés, parfois basculés en distanciel, les élèves dispensés d’assiduité en profitent pour organiser des actions diverses : soutien aux piquets de grève, sit-in, occupation, ralliement aux points de blocages extérieurs et participation aux manifestations. Dans presque chaque IEP, des salles ont été occupées pour y faire vivre leur engagement : « A la fin d’un cours, on est rentrés dans un amphithéâtre. Là, on a décrété l’occupation », rapporte Alexandre de l’IEP de Toulouse. Parfois, ces occupations se prolongent jusqu’à la nuit, comme l’explique Léon de Saint-Étienne : « On savait que si on partait le soir, le lendemain, les portes seraient fermées, et jamais on re-rentrerait... Le lundi, on a dit : On dort ici ce soir ». Des rassemblements atypiques, non sans risques pour les jeunes étudiants. « Le lendemain, le directeur a envoyé un arrêté d’évacuation qui nous ordonnait de quitter le bâtiment sous peine de représailles. On a contacté les syndicats et la presse, une soixantaine de personnes prêtes à empêcher l’évacuation nous ont prêté main forte. L’administration a renoncé de mettre en application cet arrêté d’évacuation et on a continué d’occuper et de dormir toute la semaine » poursuit-il. Au fond d’un couloir ou dans les grands amphithéâtres, ces occupations sont l’arène d’activités en tout genre. Ateliers pancartes, conférences, formations anti-répression, groupes de paroles, projection de film, arpentage et conférences : professeurs et élèves gravitent autour de ces espaces de débat et ces permanences de politisation.

La politique mise en pratique

Au programme tout au long de l’année, la politique est leur sujet de dissertation quotidien. Passer du livre à la pratique, c’est pour beaucoup, une nouvelle expérience. « Il y a énormément d’élèves qui ont découvert l’engagement politique. Même moi ! Au début, juste, je soutenais, puis je suis devenue très investie. Avant ça, j’avais quelques engagements associatifs, mais j’ai jamais consacré ma vie à la mobilisation. J’ai l’impression d’avoir réveillé la militante qui sommeillait en moi. La découverte de la lutte, c’est le cas de 100% des troisièmes années ici » raconte Angelina, en troisième année à Sciences Po Grenoble. « Beaucoup se sont syndiqués ou sont rentrés dans des partis » ajoute Léon. Cette école prestigieuse a pour vocation de former les futurs diplomates ou fonctionnaires des affaires publiques, « nombreux de nos militants ambitionnent de travailler pour l’Etat » ajoute Angelina. Léon partage cet avis, « on est considérés collectivement comme ceux qui dirigeront plus tard, c’est nous qui serons aux commandes et qui pourront faire changer les choses. Politiquement, montrer notre désaccord avec les pratiques de l’État est quelque chose de fort ». Les pratiques gouvernementales de promulgation de loi pendant la nuit, d’utilisation du 47.1 ou du 49.3 apparaissent démocratiquement désuètes pour ces futurs professionnels de la politique. Pour Alexandre de l’IEP toulousain, il est important de rappeler qu’ « au-delà d’une image assez spéciale des étudiants qui seraient formés pour être l’élite de la nation, il est nécessaire qu’on soit solidaires aux côtés des travailleurs qui sont précarisés par cette réforme et à qui nous apportons tout notre soutien ». Leurs revendications, cristallisées autour de la retraite, varient d’un IEP à l’autre. Par exemple, à Lille, les « sciences pistes » (appellation des étudiants d’IEP) ont occupé le restaurant universitaire du CROUS pour rendre les repas gratuits et exiger la fin de la précarité étudiante. De l’augmentation des bourses à des revendications plus internes à leurs écoles (l’ajout du motif « grève » pour absence, partiels allégés...), chaque campus tente d’instaurer un débat d’idées avec comme mots d’ordre : la justice sociale.

Une scolarité mouvementée

« Une guerre avec l’administration », selon les termes d’un étudiant en deuxième année à Sciences Po Lyon. La lutte semble avoir mouvementé leur calendrier universitaire. Du campus au virtuel, certaines directions ont opté pour les cours en distanciel. C’est le cas pour les étudiants de Lille, qui rappellent que la tenue des cours en distanciel et leur évaluation en visioconférences n’est pas prévue dans le règlement des études. « Le comité de l’IEP de Lille souhaite s’exprimer quant à la décision de Pierre Mathiot [Directeur de l’IEP de Lille] de mettre en place les cours en distanciel [...]. Nous appelons l’ensemble des professeur.euse.s et étudiant.es à boycotter les cours prévus lors des journées de mobilisation afin de laisser la possibilité aux étudiant.es de se mobiliser » peut-on lire sur leur communiqué. Comme l’a montré l’annulation des cours pendant un mois à Toulouse, les administrations des IEP n’ont pas l’obligation de basculer les cours en distanciel. Certaines font ce choix pour assurer le maintien de l’enseignement. « Continuité pédagogique : ils n’ont que ce mot à la bouche », critique l’étudiante grenobloise. Si par ailleurs, des sciences pistes non-mobilisés regrettent l’arrêt des cours, les jeunes en lutte dénoncent une tentative de « cassage de grève » au travers de cette option dématérialisée. Compte tenu des conditions pédagogiques, les partiels qui arrivent en cette fin d’année seront allégés pour la majorité des campus.

« C’est pas tous les jours facile d’être militant » témoigne Angelina. « Psychologiquement, faut encaisser. Physiquement, on se lève tous les jours à 5 heures du matin. Mais malgré ça, je me sens portée par le collectif. La réforme des retraites et le 49.3 ont rassemblé beaucoup de personnes, ce qui a participé à créer de nouveaux liens entre les étudiants. On a vécu des moments intenses ensemble ». Des liens partagés dans chacun des campus partout en France, rassemblant 250 étudiants à Toulouse, 150 à Bordeaux ou encore 100 à Lyon, et qui s’additionnent au compteur de la mobilisation nationale.

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