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Billet de blog 14 mai 2020

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Lettre à ces jeunes qui ont traversé le monde

Donner des respirations à l’urgence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Clara, c’est ma jeunesse morte qui me rend triste. Je voudrais jouer au foot et aller à  l’école. »

Les yeux pleins de larmes sur le rebord de l´hôtel. Il faisait beau ce jour-là. L’hôtel, ça fait chic comme ça, je vous assure que c’est moins glam que ça en à l’air. L’hôtel, c’est l’endroit où LE DEMIE les oriente après qu’ils se soient présentés comme mineurs. Là ou tout commence, ou plutôt tout se poursuit après la traversée, les nuits dans les rues de Paris. L’hébergement d’urgence si vous préférez.  

Comment accompagner un jeune qui a vu ses frères mourir devant lui, comment l’accompagner pour lui faire comprendre qu’il aura le droit d’aller à l´école et de jouer au foot sans culpabiliser.

Zack a été reconnu mineur. Il a 15 ans. Il adore les mots, me demande de lui faire faire des dictées difficiles. Il a été à l’école Au Mali. Il ne fait quasiment aucune faute. Il adore les mots et devra faire avec ses maux pour espérer avoir un avenir « normal ». 

Quand je dis normal, je parle de ne pas dormir dehors, d’avoir un travail, d'être amoureux, mais qu’est-ce que la normalité ? Cet avenir qui est pour la plupart d’entre nous, normal, c’est un avenir hors normes, pour eux. En atelier d’écriture improvisé, il a écrit « Je me souviens de mes frères morts » …puis il a posé le stylo. Il n’a plus bougé durant quelques instants et je lui demandé s’il voulait aller parler ou juste prendre l’air sur les marches devant l’hôtel. Il est sorti, et c’est là que qu’il m’a dit les yeux remplis d’eau, d’eau de cette mère perdue et de cette mer traversée « c’est ma jeunesse morte qui me rend triste ».

En tant qu’éduc, je suis rassurée de me dire que Zack est un « RM », reconnu mineur dans notre jargon. Qui aura le droit à une prise en charge par l’ASE, L’Aide Sociale à l’Enfance, jusqu’à ses 18 ans, en espérant le sésame d’or, contrat de jeune majeur, qui permet d’être pris en charge par L’ASE jusqu’à ses 21ans.

Il y a les RM Et cette abréviation qu’on redoute, RF signifiant« refusé », le jeune n’est pas considéré comme mineur et doit donc quitter le dispositif d’hébergement d’urgence.  J’aurais aimé trouver une tournure jolie, la réalité c’est retour à la rue. Qu’il soit mineur ou non, on n’est jamais content de cette décision. Il restera le recours, cette ultime chance, et là-dessus c’est le juge qui décidera.

J’ai croisé une petite centaine de visages, écouté, accompagné au mieux ces jeunes dont on ne sait rien sauf, ce qu’ils nous disent, et quand ils disent, c’est déjà beaucoup.

Ils sont d’une force inexplicable. J’ai croisé Mariam, qui a mis des mots sur son viol, on apprendra quelques jours plus tard, qu’elle est enceinte, excisée et porteuse du VIH. Mariam a 15 ans. 

Ils sont là, définition de la survie, et ma définition de la résilience. 

C’était chambre 301, cette chambre que j’ai nommé dans ma tête chambre de l’injustice suite à ce soir-là. Au troisième étage, 4 jeunes partageaient cette chambre. Un soir l’un d’entre m’a dit :

« Maintenant que je suis là, j’en vais m’en sortir, je vais me battre, et je vais y arriver. »

Je me souviens, c’était très cinématographique comme moment, presque comme une scène.

Nous étions là, jeunes et éducs un soir d’hiver, les rideaux étaient ouverts et les fenêtres aussi d’ailleurs, il faisait froid mais je venais de leur répéter pour la centième fois qu’une chambre ça s’aère.

Au même étage, dans l’immeuble d’en face, il y avait cette femme et ses invités, dans cet immense appartement, elle, ses talons à la main, le champagne sur la table. Les jeunes la regardaient, et je me suis sentie gênée qu’ils voient ça, non pas ce luxe, mais ce moment de légèreté, parce que, c’est peut-êtrel e plus grand des luxes finalement d’accéder à des moments de légèreté pure. Je crois que c’est cela qu’ils m’ont le plus appris. Ils m’ont vue à mon tour regarder cette femme et ses invités durant quelques secondes. « Clara, on joue. » « Vous voulez jouer à quoi ? » « Uno. »

Désolée, j’aurais bien aimé sortir un truc grave poétique pour la fin, mais leur jeu préféré c’est bel et bien le « Uno ». Ils gagnent souvent à ce jeu-là. La vie, tu gagnes, parfois tu perds. Et je peux vous dire qu’en sept mois de regards, de bagarres, de sourires, de fous rires, de pleurs, de silences, je n’ai ni perdu ni gagné, j’ai juste reçu et donné, ce que j’ai pu.

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